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L'ex-juge Delisle demeurera en prison le temps que la ministre fédérale de la Justice détermine s’il a été victime d’une erreur judiciaire

R. c. Delisle, EYB 2016-274230 (C.S., 21 décembre 2016)
L'ex-juge Delisle demeurera en prison le temps que la ministre fédérale de la Justice détermine s’il a été victime d’une erreur judiciaire

À l'issue d'un procès devant juge et jury, le requérant, l'ex-juge Jacques Delisle, a été déclaré coupable du meurtre au premier degré de son épouse, Nicole Rainville, puis condamné à l'emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. Le requérant a porté sa déclaration de culpabilité en appel. La Cour d'appel du Québec a rejeté l'appel. Le requérant a par la suite demandé l'autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada. Le plus haut tribunal du pays n'a pas accordé l'autorisation demandée. Ultérieurement, alléguant une erreur judiciaire, le requérant a formulé une demande de révision auprès de la ministre de la Justice du Canada (la ministre) en vertu de la partie XXI.1 du Code criminel. Le groupe de révision des condamnations criminelles qui a procédé à l'évaluation préliminaire de la demande pour la ministre a fait savoir aux avocats du requérant, une fois cette évaluation terminée, que la ministre, conformément au paragraphe 4(1) du Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires), enquêterait sur la demande. Selon le requérant, il appert de cette décision que la ministre a constaté qu'il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu'une erreur judiciaire s'est probablement produite dans son cas. Le requérant demande alors d'être mis en liberté en attendant la décision finale de la ministre.

Le Code criminel ne contient aucune disposition autorisant une personne qui purge une peine d'emprisonnement pour un crime dont elle a été reconnue coupable à présenter une requête pour mise en liberté dans le cadre d'une demande de révision auprès du ministre (erreur judiciaire) si, à la suite d'une évaluation préliminaire, le ministre décide de procéder à une enquête. Toutefois, dans l'affaire R. c. Phillion, le juge Watt, siégeant alors à la Cour supérieure de justice de l'Ontario, a conclu qu'une cour supérieure avait le pouvoir de se prononcer sur une telle demande, tant pour des motifs d'ordre constitutionnel qu'en vertu de sa compétence inhérente. Selon le juge Watt, maintenir en détention une personne reconnue coupable d'un crime alors qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'une erreur judiciaire a été commise contreviendrait, notamment, à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. De plus, selon le juge Watt, lorsqu'il existe un pouvoir de révision d'une condamnation, le pouvoir de mettre la personne visée en liberté pendant le processus, s'il n'est pas prévu expressément, doit être considéré comme accessoire. La Cour du Banc de la Reine du Manitoba et la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse ont aussi statué, à plusieurs reprises, sur une demande de mise en liberté dans le même contexte. Dans l'affaire R. c. Phillion, le juge Watt propose comme critères d'analyse ceux qu'une cour d'appel applique en vertu du paragraphe 679(3) C.cr. lorsqu'un accusé condamné à une peine d'emprisonnement demande d'être mis en liberté pendant le processus d'appel. Dans les jugements rendus au Manitoba et en Nouvelle-Écosse, les critères d'analyse que le juge Watt a proposés dans l'affaire R. c. Phillion ont été considérés, mais avec des variantes. Ainsi, eu égard au troisième critère, celui de l'intérêt public, on constate que selon le juge Watt, le requérant doit démontrer par des informations additionnelles de « sérieuses préoccupations » quant à la justesse du verdict, et ce, même dans le contexte d'une condamnation remontant à plus de 30 ans, alors que selon le juge Scurfield (R. v. Driskell), le requérant doit démontrer l'existence d'une preuve nouvelle et fiable suffisamment importante pour soulever de « très sérieuses préoccupations » quant à la fiabilité du verdict.

Dans la présente affaire, le ministère public ne prétend pas que la demande du requérant est futile. Le fait que la ministre, à partir des éléments qui lui ont été soumis, ait décidé de procéder à une enquête permet, selon le ministère public, de ne pas écarter la requête pour un motif de futilité. Le ministère public concède, aussi, que s'il est mis en liberté, le requérant respectera les conditions qui pourraient lui être imposées, notamment celle de se livrer, le cas échéant. Par contre, le ministère public est d'avis que le requérant ne démontre pas, par prépondérance des probabilités, que l'intérêt public justifie sa mise en liberté. Le ministère public est plutôt d'avis que dans l'intérêt public, le requérant doit continuer de purger la peine qui lui a été imposée. Malgré la violence du crime, le volet de la « protection du public » n'est pas en cause ici, compte tenu de l'âge du requérant (81 ans), de la situation de ce dernier, laquelle est décrite, notamment, dans des déclarations sous serment d'ex-collègues, et du fait que celui-ci n'a pas d'antécédents judiciaires et ne présente pas de risque de récidive. L'objection du ministère public repose sur le volet de la « confiance du public dans l'administration de la justice ». Au stade actuel des procédures, il ne s'agit pas de décider du bien-fondé des moyens invoqués par le requérant, mais d'évaluer si ces moyens soulèvent de très sérieuses préoccupations quant à la fiabilité du verdict ou, à tout le moins, de sérieuses préoccupations quant à sa justesse. Cette évaluation nécessite l'examen des faits ayant conduit au verdict en regard des informations additionnelles soumises.

Les faits ayant conduit au verdict sont amplement décrits dans l'arrêt de la Cour d'appel qui rejette l'appel du requérant à l'encontre de ce verdict. Quant aux informations additionnelles, le requérant produit les rapports de plusieurs experts. Le requérant produit aussi plusieurs déclarations sous serment détaillées, dont celle qu'il a soumise à la ministre dans le cadre de sa demande de révision. Dans cette déclaration sous serment, le requérant ne nie pas son implication dans le décès de son épouse. Plus précisément, le requérant reconnaît avoir apporté à son épouse l'aide dont elle avait besoin pour mettre fin elle-même à ses jours. Le requérant aurait mis à la portée de son épouse l'arme à partir de laquelle le coup fatal est parti. Il aurait en outre chargé cette arme. Il aurait agi à la demande de son épouse, qui voulait mettre fin à ses jours puisqu'elle ne tolérait pas l'état dans lequel elle se trouvait. Dans cette même déclaration sous serment, le requérant raconte également avoir confessé à son avocat, quelques mois avant le début du procès, son implication dans le décès de son épouse. Plus tard, le requérant a en outre relevé son avocat de son secret professionnel et l'a autorisé à transmettre l'information à ses enfants et à leurs conjoints. Selon le requérant, il était prévu qu'il témoigne au procès et que, dans le cadre de son témoignage, il fasse part de son implication dans le décès de son épouse. Sa belle-fille lui aurait toutefois rendu visite la veille du jour prévu pour ce témoignage pour le dissuader de témoigner. La belle-fille, dans une déclaration sous serment, confirme pour l'essentiel cette explication. Elle soulève cependant un aspect qui porte à réflexion sur la stratégie de défense de son beau-père. Le requérant n'aurait donc pas témoigné au procès pour éviter que ses proches soient exposés à la « disgrâce » et pour sa propre image. Le ministère public soulève aussi la question du crédit que le jury aurait accordé à cette version si elle lui avait été présentée dans le contexte où le requérant a déployé beaucoup d'efforts pour démontrer, par une preuve d'expert, que son épouse, malgré les problèmes physiques qui l'affligeaient, aurait été en mesure d'aller prendre le pistolet et de l'armer.

L'analyse des opinions des divers experts mène à la conclusion, à tout le moins, que la preuve pathologique et balistique demeure litigieuse : si une partie de cette preuve soulève, comme au procès, l'hypothèse d'un suicide, une autre partie de cette même preuve exclut cette hypothèse. Par ailleurs, aucun expert n'exclut l'homicide. De plus, le verdict n'a pas été prononcé sur la seule preuve des experts. Qui plus est, retenir la version que le requérant expose dans sa déclaration sous serment entraîne la conclusion qu'il est impliqué dans le décès de son épouse. Le requérant reconnaît effectivement, dans cette déclaration, avoir commis l'infraction d'aide au suicide prévue au paragraphe 241(1) C.cr., laquelle est passible d'un emprisonnement maximal de 14 ans. Il pourrait aussi, comme le soutient le ministère public, avoir commis un homicide involontaire coupable en fournissant à une personne suicidaire une arme à feu chargée, un crime passible d'un emprisonnement à perpétuité. La considération de l'ensemble des informations additionnelles produites par le requérant démontre que la situation de ce dernier est bien différente de celles traitées dans les jugements qui ont statué sur des demandes de mise en liberté dans le cadre d'une demande de révision auprès du ministre (erreur judiciaire). En effet, dans ces jugements, la preuve nouvelle est une preuve disculpatoire non contestée non seulement à l'égard du crime reproché, mais aussi quant à une infraction incluse ou concomitante. Ce n'est pas le cas en l'espèce. Une preuve nouvelle qui démontre qu'un crime n'a pas été commis de la façon invoquée dans un procès n'invalide pas nécessairement le verdict. Ainsi, même si la trajectoire du projectile qui a causé le décès de Mme Rainville n'était pas exactement celle préconisée par le pathologiste, le verdict ne deviendrait pas de ce seul fait non fiable ou injuste. Rappelons qu'aucun expert n'exclut l'homicide, qu'une partie de la preuve nouvellement administrée exclut le suicide et que la preuve circonstancielle à l'appui du verdict demeure pertinente.

Somme toute, les informations additionnelles soumises dans le cadre de la présente requête, en tenant pour acquis que toutes constituent de la preuve nouvelle, ne soulèvent pas de sérieuses préoccupations quant à la justesse du verdict, encore moins de très sérieuses préoccupations quant à sa fiabilité. Dans ces circonstances, la confiance du public dans l'administration de la justice commande que le requérant continue de purger sa peine : un public formé de personnes raisonnables, bien informées des dispositions législatives et des circonstances réelles de l'affaire, qui apprécient les fondements de notre système de justice criminelle et qui ne sont pas mues par la passion, mais par la raison, n'accepterait pas que le requérant soit mis en liberté en attendant que la ministre complète son enquête et rende une décision finale. L'âge du requérant et le soutien dont celui-ci bénéficie de la part de ses proches et de plusieurs ex-collègues, de même que la conviction que certains expriment quant à son innocence, ne diminuent en rien cette conclusion.

Pour ces motifs, la requête du requérant est rejetée.


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