Une association québécoise militant contre l’avortement et deux de ses membres contestent la constitutionnalité de l’art. 16.1 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS), qui interdit aux manifestants de se trouver à moins de 50 mètres d’une clinique qui offre des services d’interruption volontaire de grossesse, plaidant que cette disposition porte atteinte à leurs droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique garantis par la Charte québécoise et la Charte canadienne. Ils revendiquent le droit d'interpeller directement les femmes et leurs accompagnateurs qui entrent ou sortent des cliniques pour les dissuader de recourir aux services d'interruption volontaire de grossesse.
Les gestes pacifiques consistant à scander des slogans, brandir des pancartes, prier ensemble et interpeller des patientes ou des employés des cliniques possèdent un contenu expressif de prime abord protégé par le droit à la liberté d’expression, bien que le message véhiculé puisse paraître choquant. Le lieu et le mode d'expression projetés ne s'écartent pas de la protection de l'al. 2b) de la Charte canadienne. Les trottoirs et les rues sont des lieux traditionnels d'expression et le périmètre de 50 mètres n'est pas exclusivement dédié, dans sa fonction historique ou réelle, à l'accès aux soins offerts dans les cliniques. En empêchant certaines activités expressives dans un périmètre défini et en exposant les contrevenants à des poursuites pénales, l'art. 16.1 LSSSS porte atteinte, par son objet, au droit à la liberté d’expression.
Le droit à la liberté de réunion pacifique est intimement lié au droit à la liberté d’expression. En effet, dans le traitement juridique du phénomène de la manifestation, la liberté de réunion pacifique devient le moyen rattaché à l’expression et en est indissociable. Par conséquent, l’art. 16.1 LSSSS porte atteinte à la liberté de réunion pacifique de l’association et de ses membres.
Il existe un objectif réel et urgent à la restriction imposée par l’art. 16.1 LSSSS. Cette disposition a pour objectif de garantir un accès sécuritaire aux services d’interruption volontaire de grossesse et de permettre aux employés et aux médecins traitants d’exercer leur profession sans harcèlement ni intimidation. La preuve fait état de comportements troublants, harcelants et parfois violents de manifestants qui se tenaient très près des portes d'entrée des cliniques avant l'adoption de l’art. 16.1 LSSSS, créant un malaise et une détresse pour les femmes qui sentaient leur vie privée être envahie. Une patiente s’étant présentée à une clinique à cette époque a témoigné de la situation qu’elle a vécue où elle a été entourée de pancartes affichant des photos de foetus avortés et interrogée de manière insistante sur les motifs de sa consultation. La preuve démontre qu’encore aujourd’hui, des gestes inquiétants et intrusifs sont posés malgré le respect de la zone de 50 mètres. Un lien rationnel existe entre la restriction imposée et l'objectif du gouvernement de protéger l'accès aux services de santé. Cette restriction est nécessaire pour assurer le respect de la vie privée et la sécurité de ceux qui travaillent dans les cliniques ou qui y obtiennent des soins. L’art. 16.1 LSSSS constitue une atteinte minimale aux droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique. Il proscrit les manifestations et expressions d’opinions à un endroit particulier dans une zone précise. Cette approche est retenue dans la majorité des provinces et territoires canadiens ainsi que dans plusieurs juridictions internationales. Enfin, il y a proportionnalité entre les effets de la mesure restrictive et l’objectif de l’art. 16.1 LSSSS. Les membres de l'association continuent de manifester quotidiennement à plus de 50 mètres des cliniques, maintiennent une présence active sur les réseaux sociaux et diffusent leurs messages par diverses plateformes. Cette distance ne stérilise pas complètement le contact, puisque les manifestants réussissent à identifier qui entre et qui sort des cliniques. Considérant les comportements inquiétants et intrusifs d'interpellation des femmes avant l'entrée en vigueur de la loi ainsi que les atteintes aux droits à la vie privée, à l'intégrité et à la dignité des patientes et du personnel, l'encadrement prévu est étroitement adapté à l'objectif législatif. La restriction crée un équilibre entre les droits à la liberté d'expression et de réunion pacifique de l'association et les droits des personnes accédant aux services des cliniques en toute dignité et dans le respect de leur vie privée. Les effets bénéfiques de la protection des droits à la dignité et à la vie privée dans l'accès aux services médicaux l'emportent sur les effets préjudiciables générés.
Ainsi, bien que l’art. 16.1 LSSSS porte atteinte aux droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique de l’association et de ses membres, il s’agit d’une limite raisonnable dont la justification a été démontrée au sens de l’art. 1 de la Charte canadienne et de l’art. 9.1 de la Charte québécoise.