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L’utilisation de l’outil de navigation virtuelle Google Street View est possible si cette preuve fait l’objet d’une authentification

Résumé de décision : Granger c. Montcalm (Municipalité de), EYB 2016-273927 (C.S., 7 décembre 2016)
L’utilisation de l’outil de navigation virtuelle Google Street View est possible si cette preuve fait l’objet d’une authentification

Le défendeur a été déclaré coupable d'avoir circulé à une vitesse de 94 km/h dans une zone où la vitesse est limitée à 50 km/h. Il se pourvoit en appel.

Le constat d’infraction reprochait au défendeur d’avoir circulé à une vitesse de 94 km/h, soit une vitesse supérieure à celle indiquée par la signalisation installée (50 km/h), en contravention avec l’article 329 du Code de la sécurité routière (C.s.r.). C’est l’article 310 C.s.r. qui prévoit le principe général applicable à la signalisation routière : toute personne doit se conformer à la signalisation installée. L’infraction reprochée au défendeur en vertu de l’article 329 C.s.r. crée une infraction de responsabilité absolue. Nul ne peut circuler à une vitesse supérieure aux limites indiquées sur la signalisation installée. Lors du procès, le défendeur a témoigné qu'il n'y avait pas de panneau de signalisation indiquant la limite de vitesse sur les lieux, ni de signal avancé de cette limite de vitesse. En cela, il contredisait en tous points le témoignage rendu en preuve principale par le policier l'ayant intercepté. Le procès, en apparence simple, se complexifie ensuite. Une fois que le défendeur a eu terminé son témoignage, l’on a examiné le lieu de l'infraction par le biais de l’outil de navigation virtuelle Google Street View en vue d’établir la présence de panneaux de signalisation routière indiquant la limite de vitesse que devait respecter le défendeur. Subséquemment, dans le cadre d’une contre-preuve, le policier authentifie les images visionnées dans cet outil de navigation virtuelle, commente les photographies présentées par le défendeur dans le cadre de sa défense et contredit le témoignage de ce dernier. Après la présentation de la contre-preuve, le juge d’instance entend les observations du défendeur et, par la suite, rend son jugement.

D’entrée de jeu, mentionnons que lorsqu'un accusé n'est pas assisté d'un avocat, il revient au juge qui préside le procès d'expliquer le processus, de souligner les obligations de la poursuivante et de rappeler les droits fondamentaux de la personne accusée, dont celui au silence. De plus, sans devenir l’avocat de cette personne, le juge doit s’assurer que le procès demeure juste et équitable, conformément aux règles applicables en matière criminelle. Le juge doit prêter une aide raisonnable pour que la personne poursuivie puisse faire valoir toute défense qu'elle peut avoir. Le devoir d'assistance du juge existe, quelle que soit la gravité de l'infraction. L'intensité de cette obligation n'est pas moins grande lorsqu'il s'agit d'une infraction moins sérieuse. Et le fait que les rôles des tribunaux soient chargés ne diminue en rien l'obligation qui incombe au juge.

Dans la présente affaire, le juge d’instance n’a fourni aucune explication au défendeur, au début de l’instruction, au sujet du déroulement de la procédure. Même en tenant pour acquis, aux fins de la discussion, que la connaissance du système judiciaire du défendeur ne justifiait pas une assistance quelconque de la part du juge d’instance, ce dernier avait l’obligation de trancher la demande de remise présentée par le défendeur, qui recherchait l’ajournement de l’instruction afin de présenter de nouvelles photographies. De plus, le défendeur avait présenté une demande de communication de la preuve pour obtenir une copie du manuel de signalisation routière dans lequel le ministre des Transports consigne, entre autres, les normes d’installation de la signalisation routière et d’un extrait du registre du lieu approximatif de l’installation de la signalisation routière tenu par le ministère des Transports. Ayant été informé de cette demande, le juge d’instance devait, au minimum, vérifier si elle avait été présentée à la poursuivante avant l’instruction et, le cas échéant, entendre les observations des parties à cet égard. En présumant, pour l’instant, de l’admissibilité de l’examen du lieu de l’infraction à l’aide de Google Street View, de même que de l’admissibilité du témoignage du policier en contre-preuve, la situation nouvelle posée par la présentation de ces preuves démontrait certainement que le registre tenu par le ministre des Transports constituait, dans ce contexte particulier, une preuve pertinente au sens de l’arrêt O’Connor. En effet, en raison du déroulement singulier de l’instruction, le défendeur pouvait légitimement réclamer la communication de cette preuve pour tenter de contredire le témoignage du policier au sujet de l’emplacement de la signalisation. Par ailleurs, il existe une possibilité raisonnable que la non-divulgation ait compromis l’équité globale du procès en raison de l’utilité potentielle du registre pour le droit à une défense pleine et entière du défendeur. Il ne s’agit pas ici d’imposer un régime de communication de la preuve complexe qui dépasse les exigences de l’équité procédurale pour une infraction relativement simple de vitesse supérieure à la limite autorisée. Mais le principe de communication de la preuve demeure, peu importe que l'infraction soit criminelle ou réglementaire, simple ou complexe. Certes, l'application de ce principe peut varier en fonction de différents facteurs. Les infractions réglementaires graves et complexes qui exposent l'accusé à des sanctions importantes en cas de condamnation justifieront l'application de la panoplie complète d'obligations en matière de communication. Ce ne sera pas le cas pour les infractions réglementaires mineures et routinières qui ne mènent qu'à des sanctions modestes en cas de condamnation. Ici, toutefois, la dynamique impulsée à l’instruction par l’administration d’une preuve nouvelle non communiquée au défendeur exigeait que le juge d’instance résolve l’accroc à la communication de la preuve auquel le défendeur faisait référence lors de ses observations.

En résumé, l’assistance fournie par le juge d’instance se révèle nettement insuffisante. Ce dernier omet de trancher une demande de remise devenue raisonnable dans les circonstances. Il décide de questions relatives à la communication de la preuve sans vérifier auprès de la poursuivante si cette demande avait bien été présentée. Il décide de la question sans évaluer le bien-fondé de la demande dans le contexte particulier de l’instruction. Cela justifie, en soi, une nouvelle instruction.

Qu’en est-il maintenant de l’utilisation de l’outil de navigation virtuelle Google Street View ? L'admissibilité des images tirées de Google Street View, de Google Earth ou d’outils similaires de navigation virtuelle soulève plusieurs questions. La consultation de la jurisprudence laisse paraître des incertitudes quant aux conditions d’utilisation de ces outils. L’utilisation de l’outil de navigation virtuelle Google Street View présente les attributs de différents moyens traditionnels de preuve matérielle. Cet outil comporte les propriétés et caractéristiques d’une photographie, d’une vidéo ou de la visite des lieux. L’utilisation de Google Street View constitue l'équivalent moderne d'une visite des lieux. Lorsque, comme en l’espèce, la preuve concerne un élément essentiel qui influe directement sur l’issue du procès, ce sont les règles de preuve relatives à l’authentification de ce type de preuve matérielle qui s’appliquent à l’utilisation de Google Street View ou à la production d’une image tirée de cet outil de navigation virtuelle, et non les règles de la connaissance d’office. L’authentification des images tirées de Google Street View s’avère particulièrement cruciale en raison de la possibilité que les lieux représentés aient changé, ce qui, en l’espèce, ne peut être déterminé. Par ailleurs, comme l’établit la présente affaire, lorsqu’on utilise cet outil de navigation virtuelle séance tenante, il s’avère difficile pour le tribunal d’appel de savoir avec précision ce qui a été vu lors de l’instruction. À défaut de produire des images tirées de cet outil qui sont authentifiées par un témoin sous serment, la tâche du tribunal d’appel peut devenir insurmontable. Le tribunal d’appel doit effectivement être en mesure de vérifier la base factuelle qui a mené à la conclusion du juge d’instance.

En conclusion, lorsque l’établissement d’un fait concerne une question substantielle lors d’un procès, l’examen d’un lieu à partir de l’outil de navigation virtuelle Google Street View ou la production d’images tirées de cet outil s’avère possible si cette preuve fait l’objet d’une authentification selon les exigences formulées par la Cour suprême dans l’arrêt Nikolovski.

Par ailleurs, le déroulement du procès du défendeur nécessite le rappel de certaines règles de notre système accusatoire et contradictoire. Dans un système de justice pénale accusatoire et contradictoire, le juge du procès doit agir en arbitre impartial du litige dont il est saisi. Celui-ci ne doit pas s'écarter, en apparence ou dans les faits, de son rôle d'arbitre neutre et devenir l'avocat de l'une des parties. Il ne plaide pas. Il ne mène pas d'enquête, ni d'interrogatoire. Il n'accuse ni ne défend personne. Cela dit, l'intervention du juge n'est pas exclue, mais la délicate tâche de faire apparaître la vérité revient d’abord et avant tout aux parties. Il est essentiel de ne pas brouiller les rôles distincts des différents acteurs de notre système accusatoire. En l’espèce, lorsqu’il a décidé d’accepter la suggestion de la poursuivante d’examiner le lieu de l’infraction par l’intermédiaire de Google Street View, le juge d’instance était animé, certes, d’une conviction sincère de rechercher la vérité. Bien que ce souci soit légitime, cette finalité doit s’insérer dans les règles d’équité du système contradictoire. Notre système de justice pénale ne permet pas la recherche de la vérité à tout prix et par tout moyen. Ici, plusieurs principes du système contradictoire s’opposent à la décision du juge d’instance d’examiner le lieu de l’infraction après la clôture de la preuve du défendeur.

Normalement, la communication de la preuve doit être complétée avant le début du procès. Si ce n’est pas le cas, l’omission de communication peut donner lieu à une ordonnance de communication, au rappel d’un témoin, à un ajournement, à un avortement de procès ou, dans les cas les plus manifestes, à un arrêt des procédures. La divulgation de la preuve est essentielle pour permettre à l’accusé d’exercer de façon appropriée son droit à une défense pleine et entière. Elle contribue également à garantir un procès équitable, en éliminant la possibilité que la poursuivante prenne l’accusé par surprise. L'équité envers tout témoin, y compris l'accusé, exige que la poursuivante ne puisse tendre un piège à un témoin en cachant des éléments de preuve contradictoires en sa possession sans que l’accusé ou ses témoins aient eu la possibilité d'en prendre connaissance avant leur témoignage. La poursuivante a donc l'obligation de communiquer, avant la tenue du procès, toute preuve qui peut être utilisée pour mettre en doute la crédibilité ou la fiabilité du témoignage de l'accusé ou de tout élément de preuve présenté en défense. Il serait inconcevable que la poursuivante contre-interroge l'accusé à l'aide de photographies non divulguées de la scène de crime afin de mettre en doute la véracité de son témoignage. Si la poursuivante souhaite utiliser, lors d’un procès, l’outil de navigation virtuelle Google Street View pour visualiser la scène du crime ou le lieu d’une infraction, ou déposer des images tirées de cet outil, celles-ci doivent être communiquées à l’accusé avant la tenue du procès. Une initiative spontanée, séance tenante, n’est pas compatible avec le devoir de la poursuivante de communiquer la preuve avant la tenue du procès et, surtout, avant le témoignage de l’accusé.

L'article 202 du Code de procédure pénale prévoit le droit de la poursuivante de présenter une contre-preuve. Normalement, la contre-preuve permet de répondre à un fait ou à un élément nouveau et imprévisible soulevé par la preuve de la défense et qui se rapporte à une question essentielle qui peut être déterminante pour trancher l’affaire. Lors de l’instruction de la présente affaire, aucun élément nouveau n’émanait du témoignage du défendeur. Ce témoignage ne faisait que contredire celui du policier au sujet de la présence d’un panneau de signalisation et d’un signal avancé. En outre, même en tenant pour acquis que la poursuivante ne pouvait pas prévoir que le défendeur nierait la présence de ces panneaux, il faut rappeler que le policier situait le lieu d’installation de ces derniers dans son témoignage. Bref, à la fin du témoignage du défendeur, le procès était terminé. Le juge d’instance se trouvait simplement confronté à des versions contradictoires. Il lui appartenait d’évaluer les témoignages contradictoires en appliquant les principes énoncés dans l’arrêt R. c. W.(D.) et de déterminer si la poursuivante avait prouvé les éléments de l’infraction à la lumière de la preuve présentée jusqu’à la fin du témoignage du défendeur. L’utilisation de l’outil de navigation Google Street View et la contre-preuve ne pouvaient être autorisées par le juge d’instance. Il n’y avait pas de preuve nouvelle et imprévue. De plus, le policier avait déjà témoigné au sujet de l’emplacement de la signalisation.

Enfin, le principe de la preuve complète -- principe voulant qu’avant que l’accusé produise une preuve pour sa propre défense, il doive connaître la preuve complète qui pèse contre lui -- fait partie des fondements de la règle interdisant la contre-preuve. Mais puisqu’il s’agit d’un principe de justice fondamentale, sa violation constitue un motif en soi pour conclure que le droit du défendeur à un procès juste et équitable n’a pas été respecté.

Un dernier commentaire s’impose. Les interventions du juge d'instance lors de ses échanges avec le défendeur font en sorte que l’on peut légitimement douter de sa capacité à trancher la question avec un esprit judiciaire objectif. En effet, la conclusion du juge d’instance quant à la présence des panneaux semble tirée avant même la fin de l’instruction et des observations du défendeur. Le juge d’instance a formulé sa conclusion définitive sur la présence ou l'absence des panneaux dès qu’il a examiné le lieu de l’infraction à l’aide de Google Street View. Voilà un exemple du péril qui guette le juge d’instance qui participe trop activement à la présentation de la preuve.

Il ressort de l’ensemble de l’analyse qui précède que le procès du défendeur ne se conforme pas aux exigences de notre système accusatoire et contradictoire de justice pénale. Bien que la preuve de la culpabilité du défendeur présentée devant le juge d’instance soit persuasive, il ne suffit pas que justice ait été rendue pour disposer d’un pourvoi. Il faut aussi que la justice paraisse avoir été rendue. Lorsque les irrégularités sont graves au point de rendre le procès inéquitable ou de créer une apparence d’iniquité, seule une nouvelle instruction peut être ordonnée. En effet, une déclaration de culpabilité dans de telles circonstances constitue en général ce qui est considéré comme une erreur judiciaire.

Pour ces motifs, la tenue d’une nouvelle instruction est ordonnée.

Photo : Byrion Smith | https://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/


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