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Mise en liberté provisoire : le juge doit accorder une attention particulière à la situation des prévenus autochtones (art. 493.2 C.cr.). Le législateur fait ainsi appel à l’ouverture d’esprit, l’humanisme et la sensibilité face à la surreprésentation des Autochtones dans les établissements de détention.

Résumé de décision : R. c. Tullaugak, EYB 2021-421019, C.Q., 10 décembre 2021
Mise en liberté provisoire : le juge doit accorder une attention particulière à la situation des prévenus autochtones (art. 493.2 C.cr.). Le législateur fait ainsi appel à l’ouverture d’esprit, l’huma

Le ministère public s'oppose à la mise en liberté de l'accusée, une Inuk âgée de 21 ans qui est détenue à Puvirnituq en attente de son procès. Il invoque le critère de la protection et de la sécurité du public prévu à l'al. 515(10)b) C.cr. L'avocate de l'accusée propose un plan d'élargissement et soumet des arguments en lien avec l'art. 493.2) C.cr. (attention particulière devant être portée à la situation des prévenus autochtones) ainsi que des arguments reliés à l'impact de la pandémie de COVID-19 sur sa cliente. En cours d'enquête, l'avocate de l'accusée a aussi appris que sa cliente était enceinte d'environ six mois.

L'article 493.2 C.cr. s'applique dans sa pleine mesure, peu importe lequel des critères énumérés au par. 515(10) C.cr. est en cause. Au départ, il faut tenir compte du principe de la retenue qui est prévu à l'art. 493.1 C.cr. et qui prévoit que le juge doit chercher, en premier lieu, à remettre en liberté le prévenu à la première occasion raisonnable et aux conditions les moins sévères possible dans les circonstances. Le principe de la retenue est en outre réitéré au par. 515(2.01) C.cr. On pourrait donc penser que l'exercice de privilégier la mise en liberté s'applique de toute façon à tous les prévenus, vu le principe de la retenue. C'est vrai. Sauf que l'art. 493.2 C.cr. requiert du juge d'être conscient et sensible à la réalité des Autochtones et il doit en être tenu compte de façon concrète en vue de réduire l'emprisonnement de ces derniers. Autrement, l'art.  493.2 C.cr. ne serait qu'un vœu pieux n'ayant aucune résonance pratique dans la situation des prévenus autochtones.

Qu'en est-il de « l'attention particulière » que les juges doivent accorder à la « situation » des prévenus autochtones? Le rôle du juge est de rendre justice dans le cadre du droit. Le cadre du droit, dépendamment de la question à déterminer, est parfois large et parfois restreint. L'exercice de la discrétion judiciaire au sujet de la détermination de la détention ou de la mise en liberté est encadré, mais n'est pas un exercice mathématique. C'est donc dans ce contexte que l'art. 493.2 C.cr. rappelle aux juges que dans l'exercice de leur discrétion, ils doivent tenir compte de la situation particulière des Autochtones afin de favoriser la mise en liberté de ces derniers. Les juges pourront imposer des conditions — créatives et novatrices, le cas échéant, et en lien avec la culture autochtone — qui permettront de respecter les préoccupations de protection et de sécurité du public, dont celles des victimes et des témoins. Ce message du législateur fait appel à l'ouverture d'esprit, l'humanisme et la sensibilité face à la surreprésentation des Autochtones dans les établissements de détention, et ce, de façon concrète. Les objectifs en lien avec le principe de la retenue, l'attention particulière à la situation des Autochtones et la protection et la sécurité du public sont tout à fait conciliables. Ne pas donner pleinement effet à l'obligation prévue à l'art. 493.2 C.cr. dans l'évaluation des critères de l'al. 515(10)b) C.cr. contribuerait à l'augmentation du taux de détention des Autochtones, d'autant que cette disposition constitue le motif d'objection à la mise en liberté qui est le plus souvent invoqué par le ministère public. De plus, comme c'est le cas lors de la détermination de la peine à infliger à un délinquant autochtone, la nature du crime et son caractère violent, le cas échéant, n'excluent pas l'application des principes énoncés dans les arrêts Gladue et Ipeelee et, incidemment, du principe de l'art. 493.2 C.cr.

Qu'en est-il de la situation particulière des Autochtones dans le cas qui nous concerne? La communauté inuite de Puvirnituq a subi et subit encore des bouleversements en lien avec des facteurs systémiques et historiques dont, entre autres, les pensionnats autochtones et la sédentarisation forcée de ce peuple chasseur nomade. Ces événements du passé provoquent encore aujourd'hui des répercussions négatives sur le peuple inuit et contribuent ainsi au haut niveau d'incarcération. Toujours en lien avec la situation particulière des Autochtones et, principalement, des femmes inuites, il convient de souligner que la détention de ces dernières a lieu à l'Établissement Leclerc, à Laval. Or, cet établissement se situe à une distance de 1 600 km de Puvirnituq. De surcroît, les détenus inuits se retrouvent confrontés à un environnement allochtone. Qui plus est, aucune route ne relie le Nunavik au sud de la province. Seule la voie aérienne est possible. Quant à la situation spécifique de l'accusée, la preuve révèle que celle-ci est une survivante d'agressions sexuelles et qu'elle a un historique de tentatives de suicide.

Par ailleurs, considérant notamment que l'accusée est enceinte (la grossesse en est au troisième trimestre), qu'elle a besoin d'un suivi serré puisqu'elle est à risque de plusieurs complications sur le plan obstétrique et qu'elle a également besoin d'un suivi sur le plan de sa santé physique et mentale, il va de soi que le risque de contracter la COVID-19 a un impact sur elle et que les conséquences dans le cas d'une contamination pourraient être beaucoup plus grandes dans un contexte où elle serait incarcérée, et ce, tant pour elle que pour son bébé.

Certes, l'accusée est en attente de procès pour des infractions relativement graves (conduite avec facultés affaiblies, conduite avec un excès d'alcool, conduite dangereuse et bris de conditions) qu'elle aurait commises alors qu'il lui était interdit de conduire et de consommer de l'alcool (condamnation antérieure en semblable matière), les probabilités qu'elle soit condamnée semblent sérieuses et, le cas échéant, elle encourt une peine d'emprisonnement. Cela dit, l'accusée reconnaît avoir un problème de consommation d'alcool et elle a décidé, après l'accident ayant mené aux présentes accusations, de cesser de consommer. Elle n'a d'ailleurs pas consommé d'alcool depuis. Ainsi, compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que le plan d'élargissement proposé et les conditions qu'il contient démontrent, de façon prépondérante, que la détention de l'accusée n'est pas nécessaire pour la protection ou la sécurité du public.

Par conséquent, l'accusée est mise en liberté sous conditions.

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