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Peine record au Québec : Benjamin Hudon-Barbeau, connu pour sa spectaculaire évasion de prison en hélicoptère, passera au moins 35 ans derrière les barreaux pour avoir commandé le meurtre de deux hommes à son homme de main

Résumé de décision : R. c. Hudon-Barbeau, EYB 2018-291183 (C.S., 28 février 2018)
Blogue juridique Éditions Yvon Blais - Droit criminel et pénal

L'accusé a été déclaré coupable, à l'issue de son procès devant juge et jury, de deux meurtres, l'un au premier degré et l'autre au deuxième degré, ainsi que de deux tentatives de meurtre. Le meurtre au premier degré est punissable de l'emprisonnement à perpétuité, avec une possibilité de libération conditionnelle après 25 ans. Cette peine minimale obligatoire a déjà été imposée à l'accusé. Reste à déterminer la peine pour les autres infractions. Le meurtre au deuxième degré est aussi punissable de l'emprisonnement à perpétuité. La période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour ce type de meurtre se situe cependant entre 10 ans et 25 ans. Quant à la tentative de meurtre, lorsqu'il y a usage d'une arme à feu lors de la perpétration de l'infraction, elle est punissable de l'emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans. Le ministère public demande que la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour le meurtre au deuxième degré soit fixée à 25 ans et qu'elle soit purgée consécutivement à celle pour le meurtre au premier degré, pour un total de 50 ans. Quant aux tentatives de meurtre, le ministère public demande une peine d'emprisonnement à perpétuité pour chacune d'elles. De son côté, l'accusé demande que la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour le meurtre au deuxième degré soit fixée à 10 ans et qu'elle soit purgée concurremment à celle pour le meurtre au premier degré. En ce qui concerne les tentatives de meurtre, l'accusé laisse le soin au tribunal de déterminer la peine à imposer.

Le tribunal doit fixer la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle qui est juste et appropriée eu égard aux circonstances en fixant d'abord le terme entre 10 et 25 ans. Dans l'arrêt de principe en matière de fixation du délai préalable à la libération conditionnelle pour les meurtres au deuxième degré (R. c. Shropshire), la Cour suprême souligne que la prorogation du délai n'exige pas de circonstances exceptionnelles et que le pouvoir de proroger le délai préalable à la libération conditionnelle n'a pas à être exercé avec modération.

Une fois ce délai fixé, le tribunal doit ensuite déterminer si celui-ci doit être purgé consécutivement à la période d'inadmissibilité minimale de 25 ans déjà imposée pour le meurtre au premier degré. L'article 745.51 C.cr. prévoit que le tribunal peut ordonner que les périodes d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation de meurtre soient purgées consécutivement. Cette disposition est entrée en vigueur le 2 décembre 2011 à la suite de la sanction royale du projet de loi C-48 intitulé Loi protégeant les Canadiens en mettant fin aux peines à rabais en cas de meurtres multiples. Elle laisse aux tribunaux une large discrétion pour adapter la peine aux circonstances en cas de condamnation de meurtres multiples.

Enfin, si le tribunal considère, au terme de cet exercice, que la peine doit être purgée consécutivement, il devra se demander si la globalité de la peine respecte la règle de la proportionnalité. En effet, les principes généraux de détermination de la peine énoncés à la partie XXIII du Code criminel s'appliquent aux ordonnances rendues conformément aux art. 745.4 et 745.51 C.cr. La proportionnalité demeure le principe qui doit guider le tribunal dans l'imposition de la peine. Cette dernière ne doit pas excéder ce qui est juste et approprié, compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l'infraction. Pour qu'une peine soit proportionnelle à la responsabilité pénale du délinquant, il faut tenir compte de la conduite morale de ce dernier, de son intention, de ses motivations et de son degré de participation. C'est ainsi que toutes les circonstances entourant la commission de l'infraction doivent être prises en considération afin que la peine soit appropriée, juste et modelée à l'individu. Il faut rechercher un juste équilibre entre la réprobation sociale, la dissuasion générale, l'exemplarité et l'imposition d'une peine qui est adaptée au délinquant sur une base individuelle plutôt que de châtier un crime.

Dans la présente affaire, la gravité objective des infractions se situe au plus haut niveau. Les quatre infractions se sont échelonnées sur une période de 20 jours, elles couvrent trois incidents distincts et elles ont toutes été commises à l'aide d'armes à feu différentes. Le désir de vengeance et l'appât du gain sont les principaux moteurs ayant conduit l'accusé à ordonner à son homme de main (Ryan Wolfson) de commettre l'irréparable. L'accusé n'est effectivement pas l'auteur réel des infractions, mais il en est le grand chef d'orchestre. Wolfson a agi sous sa gouverne. L'accusé est la cause directe de tous les attentats et, à ce titre, il porte la responsabilité la plus élevée. Et la responsabilité morale de l'accusé est accrue en raison de son ascendant sur Wolfson, qui exécutait ses ordres.

Aux fins de l'évaluation du caractère de l'accusé, plusieurs éléments doivent être considérés. Retenons d'abord le témoignage de Tiziana Costi, psychologue au service de l'Institut Philippe-Pinel de Montréal, et son rapport d'expertise. L'évaluation de cette spécialiste en matière d'évaluation du risque chez les délinquants révèle que l'accusé se situe au niveau de la limite supérieure des cas mixtes, proche du taux de psychopathie. La psychologue ajoute que si les verdicts de culpabilité rendus contre l'accusé avaient été connus au moment de son évaluation, ce dernier aurait coché plus haut dans l'échelle de la psychopathie étant donné le nombre de crimes et leur violence. Dans cette optique, les condamnations de l'accusé sont importantes. La psychologue mentionne en outre que l'accusé ne se reconnaît aucune responsabilité et que cela démontre qu'il a encore moins d'empathie. Cela le rapprocherait davantage du psychopathe. La psychologue indique également plusieurs éléments antisociaux chez l'accusé. Enfin, dans son rapport, la psychologue mentionne que l'accusé peut présenter des risques de violence future, en raison de ses traits de personnalité. Mais compte tenu du fait que l'accusé a été reconnu coupable de deux tentatives de meurtre et de deux meurtres depuis la rédaction de son rapport, la psychologue indique que le risque de récidive est très important, vu la tendance de l'accusé à se déresponsabiliser. Et il est manifeste que le comportement de l'accusé tout au long de son procès correspond indubitablement à la description qu'a faite la psychologue de son caractère et de ses traits de personnalité. Aucun changement ne semble s'être opéré. L'accusé demeure impulsif, agressif, manipulateur et contrôlant.

Certains faits en lien avec un attentat survenu sur la personne de Dannick Lessard que le ministère public a été autorisé à mettre en preuve au procès sont aussi d'une grande pertinence quant au caractère de l'accusé. Lessard a été la cible d'un tireur à sa sortie du bar où il travaillait. Le tireur a tiré 14 balles sur lui, dont 9 l'ont atteint. Ce tireur, c'était Wolfson. Ce dernier n'avait aucun mobile de tuer Lessard. Il ne le connaissait même pas. En revanche, l'accusé en voulait à Lessard qu'il tenait responsable de ses années passées en prison. Wolfson était donc l'arme de l'accusé. Il exécutait les basses besognes de ce dernier qui espérait ainsi échapper à toute responsabilité criminelle. Ces faits démontrent la nature de la relation entre l'accusé et Wolfson et, plus particulièrement, le lien de subordination de Wolfson envers l'accusé.

Par ailleurs, le dossier disciplinaire de l'accusé comporte de très nombreux manquements et ce dernier représente un défi de taille pour les institutions carcérales. Cela indique encore une fois le caractère de l'accusé. Par contre, au moment de la perpétration des crimes, l'accusé avait peu d'antécédents judiciaires, soit une condamnation pour voies de fait causant des lésions corporelles et une condamnation pour méfait. Il s'agit de faits atténuants. On ne peut cependant mettre dans la balance des faits atténuants les récents antécédents judiciaires de l'accusé relativement à son évasion de prison en hélicoptère. Ces faits illustrent une fois encore le manque de respect de l'accusé pour la vie d'autrui et nos institutions.

Le ministère public a déposé une déclaration assermentée assimilable à une déclaration de type KGB de Luana Larose, l'ex-conjointe de l'accusé. Ce dernier ne s'est pas opposé au dépôt de cette déclaration et n'a pas requis la présence de son ex-conjointe pour en vérifier la fiabilité. Après avoir entendu et observé ce témoin lors du procès, nous estimons que sa déclaration assermentée est fiable et nous la tenons pour avérée. Cette déclaration comprend plusieurs incidents dont ce témoin a été personnellement victime et qui n'ont pas été révélés devant jury parce qu'ils n'étaient pas pertinents dans la détermination de la culpabilité de l'accusé. Toutefois, ces éléments s'avèrent pertinents dans l'appréciation du caractère de l'accusé. Certains passages de la déclaration sont choquants. Ils relatent des incidents d'une grande violence de la part de l'accusé envers son ex-conjointe. La valeur probante de ces faits dépasse largement le préjudice causé à l'accusé dans l'évaluation de son caractère. Les faits contenus dans la déclaration sont le reflet pratique des propos de la psychologue Costi, lesquels se révèlent d'une réelle acuité. Les éléments mis en preuve glacent le sang et démontrent les graves problèmes de comportements antisociaux de l'accusé.

L'accusé nous renvoie aux propos que l'honorable juge David a tenus concernant sa santé mentale lorsqu'il a imposé la peine relative aux incidents entourant son évasion de prison en hélicoptère. Contrairement à la preuve faite devant le juge David, l'aptitude de l'accusé à subir son procès n'a pas été remise en question lors du procès dans la présente affaire. L'accusé n'a pas non plus présenté de défense en vertu de l'art. 16 C.cr. ni de défense de responsabilité diminuée. Cependant, même si telle preuve n'a pas été faite à l'audience ou lors des représentations sur la peine, il est évident, selon le témoignage de la psychologue Costi, que l'accusé présente de graves troubles de comportements liés à la psychopathie. C'est d'ailleurs ce qui en fait un individu dangereux, au faible pronostic de réhabilitation et qui présente des risques de violence future.

Reste le comportement de l'accusé lors du procès. L'accusé a fait obstruction durant le procès afin de mettre en péril la bonne marche de celui-ci. Il a aussi refusé d'y assister à quelques reprises. De plus, l'accusé a tenu des propos vulgaires et très agressifs à l'endroit des avocats du ministère public et des policiers. Qui plus est, l'accusé est même allé jusqu'à frapper violemment la paroi blindée le séparant du reste de la salle d'audience en injuriant et en menaçant les avocats du ministère public et les policiers. Ces différents événements illustrent l'impulsivité, l'agressivité, la manipulation et la dangerosité de l'accusé.

Un constat s'impose. La preuve se rapportant au caractère de l'accusé est très négative. La perspective de réhabilitation à court, à moyen et même à long terme est quasi inexistante. Sa personnalité aux limites de la psychopathie, son caractère extrêmement manipulateur, violent et narcissique jumelé à son absence de reconnaissance de responsabilité, sa tendance répétée à reporter sur les autres la responsabilité de ses actes et son absence d'introspection et de sens moral font de l'accusé un individu très dangereux pour la société. Le risque de récidive est très important. Il importe de souligner que chacun des crimes a été planifié et orchestré par l'accusé qui a choisi, à peine neuf mois après sa sortie de prison, de régler ses comptes dans le sang. L'accusé a entraîné dans son sillage son homme de main, Wolfson, avec le résultat que deux personnes sont mortes et que deux autres ont bien failli perdre la vie. Il y a malheureusement peu de faits atténuants, outre le peu d'antécédents judiciaires de l'accusé et le fait que ce dernier soit dans la force de l'âge. Il y a donc lieu de prendre en considération l'absence de perspective de réhabilitation de l'accusé, le haut risque de récidive, le haut niveau de responsabilité morale de l'accusé, le caractère et les graves problèmes de comportements de l'accusé, la réprobation sociale, l'exemplarité, la nature des infractions et leur étalement dans le temps, le nombre de victimes et la protection de la société.

Ainsi donc, tout en considérant la globalité de la peine et dans l'espoir, malgré tout, que l'accusé amorce une véritable introspection, la période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour le meurtre au deuxième degré est fixée à 10 ans. Considérant tout ce qui précède et, plus particulièrement, le fait que les meurtres sont distincts et qu'ils n'ont pas été commis en même temps, cette période d'inadmissibilité à la libération conditionnelle sera purgée consécutivement à celle pour le meurtre au premier degré, pour un total de 35 ans. En ce qui a trait aux tentatives de meurtre, l'emprisonnement à perpétuité doit être imposé. La culpabilité de l'accusé par rapport à ces infractions ne se distingue guère de celle d'un meurtrier et il y a peu d'espoir de réhabilitation. Une ordonnance d'interdiction de possession d'armes, de munitions ou d'explosifs, une ordonnance de prélèvement d'échantillons de substances corporelles pour analyse génétique et une ordonnance de non-communication sont également prononcées.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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