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Si un appareil peut recevoir ou transmettre des textos ou recevoir ou transmettre des courriels, indépendamment du fait qu'il soit connecté ou non à internet, il est un appareil muni d'une fonction téléphonique au sens de l'article 439.1 du Code de la sécurité routière

Résumé de décision : Ville de Terrebonne c. Therrien, EYB 2017-287382 (C.M., 5 octobre 2017)
Si un appareil peut recevoir ou transmettre des textos ou recevoir ou transmettre des courriels, indépendamment du fait qu'il soit connecté ou non à internet, il est un appareil muni d'une fonction té

On reproche à la défenderesse d'avoir conduit un véhicule routier en faisant usage d'un appareil tenu en main muni d'une fonction téléphonique. Celle-ci affirme que le policier n'a pas indiqué dans le rapport d'infraction abrégé qu'elle avait un téléphone dans les mains. Il s'agit là d'un élément essentiel de l'infraction. La défenderesse mentionne en outre que ce n'est pas un téléphone qu'elle utilisait, mais bien un iPod touch qui se trouvait sur ses cuisses. Elle ajoute qu'en aucun temps, elle n'a pris ledit appareil dans ses mains. Alors qu'elle était immobilisée au feu de circulation rouge, elle a changé sa musique avec ses doigts sans prendre l'iPod touch dans ses mains. Enfin, la défenderesse précise que l'appareil qu'elle utilisait n'est pas un appareil muni d'une fonction téléphonique.

Le juge André Vincent de la Cour supérieure a indiqué le 15 avril 2011, dans l'arrêt Villemaire c. Ville de L'Assomption, que les éléments constitutifs de l'infraction prévue à l'article 439.1 du Code de la sécurité routière (C.s.r.) étaient les suivants : 1) être à la conduite d'un véhicule routier ; 2) avoir en main ; 3) un appareil muni d'une fonction téléphonique ; 4) faire usage dudit appareil muni d'une fonction téléphonique. Il est ici important de noter que le juge Vincent ne parle pas de téléphone cellulaire, mais bien d'un appareil muni d'une fonction téléphonique tel que le prévoit l'article 439.1 C.s.r. Il faut donc penser que le législateur ne parle pas que des téléphones cellulaires, mais de tous les appareils pouvant avoir une fonction téléphonique de quelque nature que ce soit. Ce jugement a été suivi par tous les juges jusqu'au 17 mars 2015, date du jugement du juge Louis Dionne dans l'affaire Richard Pedneault-Turmel c. D.P.C.P.. Pour la première fois, un juge de la Cour supérieure, après avoir comparé la version française et la version anglaise de l'article 439.1 C.s.r., arrive à la conclusion que la version anglaise répond mieux à l'intention du législateur et détermine, compte tenu de la version anglaise, que l'infraction prévue à l'article 439.1 C.s.r. n'a que trois éléments constitutifs : 1) être à la conduite d'un véhicule routier ; 2) faire usage ; 3) d'un appareil portable muni d'une fonction téléphonique. À l'instar du juge Dionne, l'on considère que tous les jugements traitant des éléments essentiels de l'infraction prévue à l'article 439.1 C.s.r. qui ont été rendus avant le 17 mars 2015 ne peuvent pas être considérés dans le présent dossier, car aucun de ces jugements n'a traité de la différence entre la version française et la version anglaise dudit article. Le 17 mai 2016, la juge Manon Lavoie, dans l'arrêt Christopher Lafontaine c. Ville de Rimouski, a été la première juge de la Cour supérieure à rendre un jugement écrit sur l'article 439.1 C.s.r. après le jugement du juge Dionne. La juge Lavoie a fait siens les propos du juge Dionne dans son interprétation de l'article 439.1 C.s.r. Le 9 février 2017, le juge Michel Pennou a été le deuxième juge de la Cour supérieure à rendre un jugement écrit sur les éléments essentiels de l'infraction prévue à l'article 439.1 C.s.r. après le jugement du juge Dionne. Contrairement à la juge Lavoie, le juge Pennou conclut qu'il ne peut pas suivre le raisonnement du juge Dionne et revient à la position du juge Vincent dans l'arrêt Villemaire c. Ville de L'Assomption. Avec le jugement du juge Pennou qui va à l'encontre de la décision du juge Dionne, la règle du stare decisis ne s'applique plus et il faut opter pour la position qui semble la plus appropriée. Avec respect pour le juge Pennou, on ne peut souscrire à sa position.

Le raisonnement du juge Pennou au chapitre de l'interprétation des textes de loi est exactement le même que celui du juge Dionne. C'est dans l'application de ces principes que les deux juges diffèrent d'opinion. Dans la recherche du sens commun à donner aux différents textes de loi et à leur interprétation et en tentant de réconcilier la version française et anglaise du texte de l'article 439.1 C.s.r., le juge Dionne arrive à la conclusion qu'il faut revoir ces versions à la lumière de l'objectif global recherché par le législateur. Pour ce faire, il consulte les commentaires de la ministre des Transports (Julie Boulet) aux débats de la Commission des transports et de l'environnement, à sa séance du 13 décembre 2007, laquelle mentionne que le simple fait d'avoir une conversation téléphonique augmente d'une manière significative la possibilité d'avoir un accident. Il indique aussi que la lecture des travaux parlementaires visant l'étude détaillée du projet de loi 42 (Loi modifiant le Code de la sécurité routière et le Règlement sur les points d'inaptitude) lui fait voir que les parlementaires conviennent que la version anglaise de l'article 439.1 C.s.r. est la plus claire. Il mentionne qu'il partage cet avis des parlementaires et que la version anglaise, laquelle n'exige pas que l'appareil soit tenu en main, doit avoir priorité. Le juge Pennou, quant à lui, préfère traiter de l'intention du législateur en prenant en considération les termes des articles 439, 439.1 et 440 C.s.r. Plus particulièrement, il mentionne que, dans cette série d'articles, on prohibe la présence ou l'utilisation de certains types d'appareils qui, en raison de leur nature, sont susceptibles de distraire le conducteur, et de détourner de la conduite automobile certains des organes qu'elle sollicite : les téléviseurs ou écrans qui peuvent distraire les yeux de la route ; les baladeurs ou écouteurs qui peuvent empêcher les oreilles de capter les bruits de la circulation environnante ; les appareils portables munis d'une fonction téléphonique qui peuvent détourner les mains de la conduite du véhicule. Nous sommes en accord avec cette position. Ajoutons cependant que les appareils portables munis d'une fonction téléphonique peuvent aussi détourner les yeux d'une personne qui conduit un véhicule. Le juge Pennou admet qu'à l'ère de l'écran tactile, le téléphone portable, tel que nous le connaissons aujourd'hui, peut être une source de distraction autant pour les mains que pour les yeux, qu'il soit tenu en main ou non. Il n'est pas rare que ces appareils possèdent un écran pouvant afficher de l'information. Il n'est donc pas exclu que leur utilisation pendant la conduite tombe sous le coup de la prohibition prévue à l'article 439 C.s.r. Mais le juge Pennou refuse de considérer que ce genre de distraction est celle que le législateur envisageait en adoptant l'article 439.1 C.s.r., contrairement à ce que la ministre Boulet et les parlementaires avaient cru comprendre du projet de loi. En conséquence, nous privilégions la position du juge Dionne et considérons que l'infraction prévue à l'article 439.1 C.s.r. n'a que trois éléments constitutifs, et non quatre, et qu'il n'est pas nécessaire de tenir en main l'appareil muni d'une fonction téléphonique pour être déclaré coupable de ladite infraction.

Dans la présente affaire, le policier allègue que la défenderesse utilisait un téléphone cellulaire. Cette dernière allègue plutôt qu'elle n'utilisait pas un appareil muni d'une fonction téléphonique, mais un iPod touch, que cet appareil pouvait recevoir des messages et aller sur internet, à la condition toutefois d'être connecté au Wi-Fi, et qu'au moment allégué de la commission de l'infraction, son iPod touch n'était pas connecté au Wi-Fi. Or, dans l'arrêt Ville de Longueuil c. Paquette, après avoir constaté que le défendeur tenait un iPod dans ses mains pour écouter de la musique et devant l'aveu du défendeur que ledit iPod pouvait recevoir et faire des appels, le juge Jerry Zigman de la Cour supérieure a considéré que ledit iPod était un appareil muni d'une fonction téléphonique. En outre, dans l'affaire Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Charest, la juge Anne-Marie Sincennes de la Cour du Québec est d'avis que la fonction téléphonique englobe la communication par l'échange de la voix, du texte ou de l'image. Ainsi, un appareil muni de l'un, de deux ou de tous ces moyens de communiquer est un appareil muni d'une fonction téléphonique, car autant l'échange de la voix que l'échange du texte ou de l'image entraînent une distraction chez le conducteur. Finalement, dans l'affaire Ville de Montréal c. Sakr, un défendeur qui utilisait un ancien téléphone cellulaire comme GPS, la carte SIM ayant été enlevée dudit téléphone cellulaire, a été déclaré coupable. Le juge Alain St-Pierre de la cour municipale de Montréal est d'avis que la connexion à un réseau téléphonique n'est pas nécessaire puisque cette exigence ne fait pas partie des éléments essentiels de l'infraction. Il suffit que l'appareil ait la possibilité dans ses applications d'être utilisé comme téléphone. En appliquant ce principe avec celui énoncé par la juge Sincennes dans l'affaire Charest précitée, l'on conclut que si l'appareil en cause peut recevoir ou transmettre des textos ou recevoir ou transmettre des courriels, indépendamment du fait qu'il soit connecté ou non à internet, cet appareil est un appareil muni d'une fonction téléphonique au sens de l'article 439.1 C.s.r. En l'espèce, si l'on tient pour acquis que l'appareil utilisé par la défenderesse était un iPod touch qui est capable d'aller sur internet et de recevoir des messages textes et des courriels s'il est connecté au réseau Wi-Fi, il faut conclure que l'appareil était un appareil muni d'une fonction téléphonique. Enfin, on ne peut pas croire la défenderesse lorsqu'elle mentionne dans son témoignage que l'appareil iPod touch a toujours été sur sa cuisse droite durant tout le trajet entre Mont-Tremblant et le lieu de l'interception par le policier.

Pour ces motifs, la défenderesse est déclarée coupable de l'infraction reprochée.


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