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Un internaute est déclaré coupable d'avoir menacé et harcelé la chroniqueuse Sophie Durocher.

Résumé de décision : R. c. Larouche, EYB 2024-555079, C.Q., 16 octobre 2024.
Un internaute est declare coupable d'avoir menace et harcele

Pour des propos qu'il a tenus sur Twitter, l'accusé doit répondre à des accusations de menace et de harcèlement criminel. Les propos en question visent une chroniqueuse au Journal de Montréal et au Journal de Québec qui, en plus de rédiger ses chroniques, partage ses opinions et participe aux débats sur les réseaux sociaux.

La liberté d'expression est consacrée dans la Charte canadienne des droits et libertés. Cette liberté n'est pas absolue. Le Code criminel crée des infractions criminalisant la tenue de certains propos. La loi et la jurisprudence établissent une série de critères bien précis afin de déterminer si de telles infractions sont commises. Là se trouvent les questions en litige auxquelles le tribunal doit répondre.

Dire que quelqu'un « mérite » un châtiment physique ne constitue pas nécessairement une menace au sens du Code criminel. Tout est une question de contexte. Dans la présente affaire, une personne raisonnable bien au fait des circonstances verrait dans les mots prononcés par l'accusé une menace de causer des lésions corporelles graves.

Dans un débat émotif sur la vaccination, la plaignante exprime son droit d'être en colère contre les non-vaccinés. De son côté, l'accusé écrit ce qui suit : « La Durocher mérite d'être giflée si fort qu'elle tombe dans le coma pour une couple d'années… » Selon le sens commun des mots utilisés et le contexte dans lequel ils sont prononcés, l'accusé exprime publiquement que la plaignante devrait être réduite au silence et disparaître du débat public par la violence physique. Il s'agit d'une manifestation d'une intention hostile, d'un projet de nuire. Cela correspond à la définition du mot « menace » au dictionnaire Le Robert.

L'accusé affirme qu'il n'a jamais eu l'intention de s'en prendre physiquement à la plaignante. Mais là n'est pas la question. Pour savoir si l'accusé avait l'intention requise pour commettre l'infraction de menace, il faut se demander si les mots menaçants qu'il a proférés visaient soit à intimider, soit à être pris au sérieux. L'accusé mentionne qu'il a écrit ces mots sous le coup de la colère et de façon irréfléchie. Certes, il est possible de croire que l'accusé a agi sous le coup de la colère. Mais cela ne signifie pas nécessairement que ses propos sont irréfléchis. L'accusé révèle dans son témoignage et dans son message transmis directement à la plaignante ses véritables intentions. Il souhaitait que la plaignante soit réduite au silence et qu'elle soit victime de la violence qu'il croyait lui-même subir en tant que non-vacciné. Utiliser la violence ou la menace de violence pour faire taire quelqu'un est une forme d'intimidation. La Cour est convaincue hors de tout doute raisonnable que la menace proférée visait à intimider.

L'accusé s'est en outre comporté d'une manière menaçante à l'égard de la plaignante. Il est question effectivement d'un comportement de « nature à susciter un sentiment de crainte chez son destinataire, aux yeux d'une personne raisonnable consciente du contexte ». On peut aussi dire un comportement qui est « objectivement intimidant et qui ferait peur à une personne raisonnable, placée dans la situation de la plaignante ». Cette dernière décrit également la crainte qu'ont suscitée chez elle les propos de l'accusé (crainte pour sa sécurité personnelle et celle de sa famille), et la Cour la croit. Il est vrai que la plaignante a choisi de confronter l'accusé en l'interpellant sur les réseaux sociaux puis en écrivant une chronique sur lui et sa famille. Mais cela ne veut pas nécessairement dire qu'elle n'avait pas peur à l'intérieur d'elle. De plus, dans le contexte, cette crainte subjective était objectivement raisonnable. Par ailleurs, la Cour est convaincue hors de tout doute raisonnable que la plaignante a été harcelée par la conduite menaçante de l'accusé. En effet, la plaignante n'a pas été simplement contrariée ou agacée; elle a eu peur pendant plusieurs jours et cette peur s'est même accentuée lorsque l'accusé lui a écrit directement.

Un doute pourrait subsister en ce qui a trait au fait que l'accusé savait que la plaignante se sentait harcelée par sa conduite. Cependant, l'analyse de l'ensemble de la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que l'accusé était, à tout le moins, insouciant à cet égard. En effet, bien que conscient que sa conduite risquait d'engendrer le résultat prohibé par le droit criminel, l'accusé a persisté néanmoins (publication sur Twitter) malgré ce risque.

La même conduite menaçante de l'accusé est à la base des deux chefs d'accusation. Toutefois, certains des éléments essentiels de l'infraction de harcèlement criminel sont différents de ceux de l'infraction de menace, tel l'élément de crainte que le comportement de l'accusé a provoqué chez la plaignante. L'intention requise pour commettre chacune des deux infractions est également différente. La règle interdisant les condamnations multiples ne s'applique donc pas. Par conséquent, l'accusé est déclaré coupable des deux infractions reprochées.

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