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Covid-19 : la notion d’urgence permettant de présenter une demande en matière familiale et jurisprudence récente

Covid-19 : la notion d’urgence permettant de présenter une demande en matière familiale

Le présent billet traite de la notion d’urgence devant les tribunaux de droit de la famille et de certains jugements pertinents récemment rendus en matière familiale en lien avec la crise de la Covid-19.

En cette période exceptionnelle due à la pandémie de la Covid-19, la Ministre de la Justice a décrété le 13 mars dernier une réduction importante du niveau de service dans les palais de justice. Par conséquent, seules les affaires urgentes sont entendues par les tribunaux jusqu’à nouvel ordre.

En matière familiale, seules les demandes urgentes ayant trait à la garde ou aux pensions alimentaires sont entendues, ainsi que toutes autres demandes portant sur des questions qui sont considérées comme étant urgentes par le tribunal.

Toute demande que l’on désire présenter devant le tribunal doit actuellement faire l’objet d’une analyse préalable par un juge qui, avant la date de présentation de la demande, détermine si celle-ci sera entendue ou non par le tribunal.

D’emblée, tout n’est pas urgent : l’empressement d’un justiciable ou le fait qu’une question aurait intérêt à être réglée rapidement ne la qualifie pas nécessairement comme une question urgente.

Tout d’abord, rappelons que les demandes d’ordonnances de sauvegarde doivent toujours respecter le critère de l’urgence.

La jurisprudence s’est d’ailleurs penchée par le passé sur la notion d’urgence en matière d’ordonnance de sauvegarde en matière familiale, notamment dans l’affaire Droit de la famille 191066, de juin 2019, dans laquelle la Cour supérieure est venue rappeler ce qui suit en matière d’urgence :

[6] L’urgence requise dans une demande de sauvegarde doit être une urgence objective, non une urgence capricieuse. Le soussigné répète sans cesse la même formule aux avocat(e)s qui présentent des demandes de ce type: Maître, ce n’est pas parce que votre client est pressé que c’est urgent. Un justiciable ne peut provoquer l’urgence pour ensuite l’invoquer à son bénéfice. Il n’y a pas ici l’urgence requise par la loi et la demande d’ordonnance de sauvegarde doit être rejetée.

C’est en gardant en tête ce principe de base que le tribunal devra analyser toute demande qui lui sera soumise en cette période de réduction importante des services judiciaires afin de déterminer si la demande que l’on désire lui présenter est objectivement urgente afin qu’elle puisse être entendue.

Bien que la jurisprudence concernant la covid-19 soit encore à un stade embryonnaire, nous avons recensé trois décisions récentes et pertinentes en matière familiale en lien avec la crise de la Covid-19.

Le 18 mars dernier, dans la décision Droit de la famille 20453, le tribunal, saisi d’une demande en garde partagée du père, s’est prononcé sur une mesure intérimaire en raison de l’état de santé de la mère et de la période de confinement prescrite par un médecin pour elle et l’enfant.

Le tribunal a suspendu les accès du père, avec son consentement, pendant la période de confinement prescrite pour la mère et l’enfant, et a accordé la reprise des droits d’accès du père suite à la fin de celle-ci : le tribunal ayant ordonné que ce jugement allait être valide jusqu’au 1er avril dernier, date à laquelle les parties devaient procéder sur la demande de garde partagée du père.

Le 19 mars dernier, dans la décision Droit de la famille 20455, rendue séance tenante, le tribunal a refusé d’accorder une demande intérimaire en changement de garde des enfants présentée par la mère dans le contexte de la pandémie du Covid-19.

Plus particulièrement, le tribunal a statué qu’il n’y avait aucune raison ni aucune urgence à modifier les modalités de la garde partagée qui avait été initialement convenue entre les parties en février 2020 aux termes d’une convention intérimaire qui avait été homologuée par le tribunal, et ce malgré les arguments avancés par la mère.

Une troisième décision, celle-là un peu plus étoffée, a été rendue le 27 mars 2020 dans l’affaire Droit de la famille 20474. Dans cette affaire, les parties sont présentement en instance de divorce, et la garde des enfants a été confiée au père. La mère s’est vu accorder quant à elle des droits d’accès aux enfants, à la fréquence de deux fins de semaine sur trois.

Dans le contexte de la pandémie de la Covid-19, le père a demandé de suspendre les droits d’accès de la mère et suggère des contacts par moyens technologiques. Le père souhaitait obtenir une ordonnance de sauvegarde afin que soient modifiés les droits d’accès de la mère, et qu’ils soient suspendus et remplacés via des moyens technologiques (Skype, Facetime, etc.).

Le tribunal se prononce sur la question et se questionne d’abord s’il y a urgence à modifier le statu quo, c’est-à-dire les accès de la mère aux enfants tel que prévu au jugement qui avait été rendu en février 2020.

Malgré les arguments présentés, notamment que l’un des enfants a des problèmes respiratoires, que la mère demeure avec ses parents âgés de 79 et 84 ans, ainsi que les problèmes de santé de la conjointe du père, le tribunal refuse de modifier le statu quo :

[15] Le Tribunal doit d’abord déterminer s’il y a urgence à modifier le statu quo, c’est-à dire, à modifier les modalités d’accès de la mère auprès des enfants, telles qu’elles ont été prévues au jugement du 6 février 2020.

[16] Partant du fait que le demandeur a la garde des enfants, ce dernier a mis en place des mesures d’hygiène et s’est assuré de respecter les consignes émises par les autorités gouvernementales.

[17] Le Tribunal doit évaluer si, tel que le demandeur le soutient, le milieu de la mère présente des dangers pour la santé et la sécurité des enfants.

[18] La mère, dans sa déclaration sous serment, précise qu’elle est parfaitement au courant des mesures sanitaires et d’hygiène qui s’imposent dans les circonstances actuelles et qu’il n’est pas dans son intention de mettre en péril la santé du père, celle de sa conjointe, pas plus que celle des enfants, de ses parents et, par conséquent, la sienne.

[19] Les autorités, qui sont présentes quotidiennement dans les médias, tout en exposant avec transparence les tenants et aboutissants de la situation, sont rassurantes à l’effet que lorsque les exigences sanitaires et d’hygiène sont respectées, les contacts avec les personnes non infectées et qui ne présentent aucun symptôme sont possibles. Toutefois, la vigilance et le respect des droits de chacun demeurent de mises.

[20] Par conséquent, malgré que cela puisse paraître paradoxal, la présence de la COVID-19 considérée comme une urgence sanitaire n’est pas en soi, en absence de symptômes pour les individus concernés, un motif suffisant nécessitant une modification du statu quo, de la garde et des accès pour les enfants.

Le tribunal rejette donc la demande de modification d’accès du père.

Somme toute, il semble que le critère de l’urgence pour les demandes intérimaires présentables devant les tribunaux de droit de la famille est appliqué de façon stricte en cette période de pandémie.

Ces décisions sont les premières à être publiées et les tribunaux vont continuer de se pencher davantage sur la question dans les prochaines semaines. Entre temps, les décisions citées nous indiquent que la notion d’urgence pour justifier qu’une demande en matière familiale puisse être dans un premier temps présentée devant le tribunal, et qu’elle puisse ensuite être accordée, est interprétée très restrictivement, le tout en conformité avec les directives susmentionnées de la Ministre de la justice.

Par conséquent, ce ne sera que dans des cas manifestement exceptionnels que les tribunaux interviendront actuellement pour modifier le statu quo.

About the Author

Me Johara Obaïd pratique en droit de la famille au sein de la firme LANE, avocats et conseillers d’affaires inc. Me Obaïd œuvre en litige familial et possède une expertise significative et une grande expérience en matière de divorces, de séparations, de garde d’enfants et de pensions alimentaires. Détentrice d’un baccalauréat en droit de l’Université de Sherbrooke et d’une maîtrise en Common law et droit transnational, elle a acquis au cours de sa pratique une solide expertise quant aux aspects internationaux des litiges familiaux. Membre du Barreau du Québec depuis 2013, elle est présentement présidente du conseil d’administration de l’organisme Repère et s’est impliquée bénévolement dans des projets en droit de la famille, tel que la supervision d’étudiants dans le cadre de projets présentés par Probono Students Canada.