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L’exercice d’une action collective pour le compte des victimes de la légionellose et de leur famille est autorisé

Résumé de décision : Allen c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale, EYB 2016-262496 (C.S., 24 février 2016)
L’exercice d’une action collective pour le compte des victimes de la légionellose et de leur famille est autorisé

La demanderesse était mariée à feu Claude Desjardins, décédé à la suite d’un diagnostic de pneumonie de Legionella. Elle impute aux défendeurs une négligence qui a conduit à la prolifération des germes de cette maladie et à une gestion fautive des évènements à la suite de l’éclosion de légionellose à Québec en 2012, qui aurait causé le décès de 14 personnes en tout et causé des dommages pécuniaires à 167 autres, en plus des proches de toutes ces personnes. Elle désire maintenant intenter une action collective au nom de ce groupe contre les défendeurs.

La demanderesse soutient que le Dr François Desbiens, en tant que directeur régional de santé publique de la région de la Capitale-Nationale, et le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale (le Centre de santé), en tant que responsable de ce dernier, auraient commis des fautes de gestion en santé publique. Elle reproche ensuite à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) d’avoir mal entretenu les tours de refroidissement de l’immeuble d’où est provenue l’éclosion de légionellose. Elle reproche finalement à la procureure générale du Québec (PGQ) de ne pas avoir donné suite au rapport publié par le Centre de santé publique du Québec en 1997 après une contamination survenue à Québec en 1996.

Saisie d’une demande d’autorisation d’exercer un recours collectif, la Cour doit écarter une demande frivole ou manifestement mal fondée, elle doit s’assurer que l’action collective envisagée présente une apparence sérieuse de droit et que les faits allégués, tenus pour avérés, sont probables. À ce stade, la Cour ne doit pas se prononcer sur la valeur probante des éléments de preuve. Cette tâche revient au juge chargé de l’audition au fond.

Les défendeurs contestent pour différents motifs le droit de la demanderesse d’intenter cette action collective. Par contre, ces motifs sont tous basés sur l’article 575(2) NCPC et les défendeurs reconnaissent que les autres critères de cet article sont satisfaits en l’espèce. Il y a néanmoins lieu d’examiner les quatre conditions d’exercice d’un recours collectif prévues à l’article 575 NCPC.

Pour ce qui est du premier critère prévu à l’article 575 NCPC, soit si les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de faits identiques, similaires ou connexes, il n’est pas nécessaire que chaque membre du groupe projeté ait parfaitement vécu la même situation. Dans le cas présent, la source de la légionellose serait, dans tous les cas, les tours de refroidissement de l’immeuble entretenu par la CSQ. En ce sens, si chaque personne devait intenter une action séparée, les faits allégués exigeraient une preuve commune à chacun des dossiers. Puisque les questions de faits et de droit sont identiques pour toutes les victimes jusqu’à ce qu’elles soient individuellement contaminées, ce premier critère est satisfait.

Le Dr Desbiens et le Centre de santé prétendent qu’en l’absence de norme régissant la fonction de directeur de santé publique, ce dernier ne pourrait être poursuivi en dommages pour faute. Or, il est faux d’affirmer qu’aucune norme n’est applicable puisque le directeur de santé publique est assujetti à l’article 1458 C.c.Q., qui prévoit qu’une personne est responsable des dommages qu’elle cause à autrui. Par ailleurs, l’article 373 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux établit la responsabilité d’un directeur de la santé publique. Le Dr Desbiens ne pouvait d’ailleurs pas vraisemblablement ignorer qu’en 1996 et 2010, la légionellose avait frappé la région de Québec. Évidemment, le non-respect d’une norme réglementaire ou de l’art peut servir à un tribunal pour établir qu’un défendeur est responsable du dommage causé pourvu que le lien de causalité entre la faute et le dommage soit établi, mais l’absence de règle précise ne constitue pas une autorisation à faire ce que l’on veut sans égard aux dommages que l’on pourrait causer à autrui.

Le Centre de santé et le Dr Desbiens soutiennent également que l’absence d’expertise soutenant un manquement aux règles de l’art, à ce stade des procédures, est fatale au recours de la demanderesse. Cet argument doit être écarté pour deux raisons. Premièrement, il est prévu par la jurisprudence qu’il n’est pas nécessaire au stade introductif de déposer une expertise. Deuxièmement, bien que le Dr Desbiens et le Centre de santé aient une obligation de moyens, il y a du moins lieu d’examiner les moyens qu’ils ont mis en place avant l’éclosion pour sa prévention, d’autant plus qu’ils ont tous deux reconnu qu’il s’agissait de l’une des pires contagions de légionellose au monde. Finalement, ils soulèvent également des incongruités entre les allégations contenues dans la demande et les pièces. Par contre, ces moyens relèvent de l’audition au fond.

La CSQ plaide également qu’il y a absence de normes en ce qui concerne l’entretien de tours de refroidissement. Elle soutient aussi avoir agi de manière appropriée en retenant les services d’une entreprise professionnelle dans ce domaine. Ces moyens relèvent également de l’audition au fond.

Quant à la PGQ, elle allègue que ce qui est reproché au gouvernement relève d’un pouvoir de nature politique et, de ce fait, bénéficie d’une immunité. Selon la Cour d’appel dans l’arrêt Carrier c. Québec (Procureur général), pour qu’une action collective ne soit pas autorisée contre l’État, les faits allégués doivent mener de manière claire et expresse à l’immunité. En l’espèce, la demanderesse reproche essentiellement au gouvernement de ne pas avoir posé de geste pour prévenir une nouvelle éclosion de légionellose. Seule la preuve permettra de déterminer si ce pouvoir est de nature politique, et donc protégé par l’immunité, ou de nature administrative. Pour tous ces motifs, force est de conclure que les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées. Ainsi, le deuxième critère de l’article 575 NCPC est satisfait.

En ce qui concerne le troisième critère, soit que la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instances, il est clair que le dossier sera complexe. Dans les circonstances, il est nécessaire d’autoriser l’action collective pour favoriser l’accès à la justice.

Finalement, le quatrième critère, soit que le membre auquel la Cour entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate de ses membres, est amplement couvert par l’admission des défendeurs à cet effet. Le statut de conjoint d’une personne décédée est suffisant pour attribuer à la demanderesse le titre de représentante du groupe des victimes et de leurs proches. La requête est donc accueillie et l’autorisation d’exercer l’action collective est accordée.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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