Constituant un élément traditionnel et important de la procédure criminelle canadienne, le plaidoyer de culpabilité permet au délinquant qui reconnaît sans la moindre réserve les faits qui lui sont reprochés d’obtenir une réduction de peine en échange de sa reconnaissance précoce de culpabilité et d’éviter ainsi la tenue d’un procès à l’issue souvent incertaine. Une telle procédure à moindre coût permet aussi au ministère public de bénéficier d’un gain de temps non négligeable, notamment quant à la démonstration de la preuve, et au juge de veiller à une meilleure administration de la justice. Ce n’est donc pas anodin que juges, avocats de la Couronne et de la défense, et accusés aient toujours voulu privilégier ce chemin de traverse1. Mais qu’en est-il lorsque la personne poursuivie a plaidé coupable pour un motif étranger à sa culpabilité ? C’est sur ce point que portait le jugement R. v. McILvride-Lister de la Cour supérieure de justice de l’Ontario du 26 mars 2019.
- R. v. McILvride-Lister, 2019 ONSC 1869
Le 18 décembre 2018, une femme transgenre plaide coupable du chef d’agressions sexuelles sur une mineure de 15 ans. Son initiative s’inscrit dans la volonté de bénéficier de l’effet de la transaction proposée par la Couronne en échange de l’enregistrement de son plaidoyer de culpabilité. Or, peu de temps avant l’audience de fixation de sa peine du 13 février 2019, elle en demande le retrait en faisant valoir que l’accord transactionnel – qui porte entre autres sur six chefs d’accusation qualifiés par la Couronne de circonstances aggravantes – tient pour acquise sa culpabilité au sujet des faits qu’elle nie farouchement avoir commis, mais qu’elle a « admis2 » afin d’éviter de subir une longue peine de prison. La question posée était en substance la suivante : le choix de l’accusée de plaider coupable était-il univoque, volontaire et éclairé ? La base de l’entente était-elle faussée ? L’affaire pouvait-elle se passer de procès ? L’on sait déjà que le plaidoyer de culpabilité a pour effet de changer le cours de la procédure. Mais comment critiquer cette situation quand l’accusé l’accepte librement, en présence de son avocat – qui plus est expert en droit criminel3 – et s’il a tout lieu de penser qu’il y a intérêt en termes de célérité et de quantum de peine ? Le paradoxe de la situation est encore plus grand lorsque l’on sait que c’est à l’accusé, et non pas à la Couronne, qu’incombe la charge de la preuve4. Au-delà, le juge ayant ordonné l’enregistrement du plaidoyer de culpabilité se trouve lui aussi placé dans cette situation paradoxale où il devient l’arbitre de sa propre décision.
Un bref développement doit tout d’abord être consacré au champ d’application du paragraphe 606(1.1) du Code criminel, qui trouve son fondement dans le souci d’une bonne administration de la justice. Selon ce paragraphe, « le tribunal ne peut accepter un plaidoyer de culpabilité que s’il est convaincu que les conditions suivantes sont remplies : a) le prévenu fait volontairement le plaidoyer; b) le prévenu (i) comprend que, en le faisant, il admet les éléments essentiels de l’infraction en cause, (ii) comprend la nature et les conséquences de sa décision, sait que le tribunal n’est lié par aucun accord conclu entre lui et le poursuivant. ». L’acceptation du juge est systématiquement exigée compte tenu du caractère d’ordre public de la justice pénale qui ne saurait être rendue seulement par des accords entre parties, fût-ce entre accusé et ministère public. Ce faisant, le législateur a entouré de garanties procédurales le mécanisme du plaidoyer de culpabilité, en précisant ainsi les obligations du juge : il doit, en particulier, s’assurer que le plaidoyer de culpabilité n’est pas équivoque et que l’accusé agit en parfaite connaissance de cause5, c’est-à-dire qu’il est manifeste que l’accusé comprend la nature de l’infraction qui lui est reprochée, en tous ses éléments constitutifs, tout en mesurant aussi les conséquences de sa décision de plaider coupable6. Il n’en reste pas moins que le contrôle du juge en la matière est un contrôle léger7, dans la mesure où la loi n’exige pas une preuve substantielle ni même prépondérante8. Le paragraphe 606(1)(1.2) du Code énonce expressément que « l’omission du tribunal de procéder à un examen approfondi pour vérifier la réalisation des conditions visées au paragraphe (1.1) ne porte pas atteinte à la validité du plaidoyer9. (…) ». Il n’en va pas différemment lorsque l’accusé a été mal conseillé par son avocat ou a plaidé coupable sous prétexte d’en avoir fini, dès lors que la seule et unique condition de validité, laissée à l’appréciation du juge, tient à ce que le plaidoyer de culpabilité puisse être éclairé, volontaire et non équivoque, peu importe le mobile ayant déterminé l’accusé à agir de la sorte10. Le législateur a, selon toute vraisemblance, considéré qu’il était superfétatoire tant d’exiger que soient donnés des exemples de motifs susceptibles de justifier le retrait du plaidoyer que d’en dresser une liste exhaustive11. La vérité est que le but du paragraphe 606(1.1) – qui est d’éviter qu’un manipulateur mette en place une stratégie trompeuse pour le cas où le plaidoyer de culpabilité lui serait défavorable12 – ne serait pas atteint si, sous couvert d’un motif en apparence légitime ou de bonne foi, l’accusé pouvait obtenir le retrait de son plaidoyer ultérieurement.
C’est un jugement intéressant que livre ici la Cour supérieure de justice de l’Ontario, qu’il convient d’analyser en deux temps.
1. D’abord, quant aux motifs du plaidoyer de culpabilité, le juge effectue deux précisions liminaires. D’une part, tant l’enregistrement sonore que le procès-verbal d’audition attestent que l’accusée a bien été informée de sa faculté de plaider ou non coupable. D’autre part, l’audition préliminaire a permis de constater le caractère volontaire de son plaidoyer de culpabilité de telle sorte que, raisonnablement, ce dernier pouvait être considéré comme sans équivoque. Autant dire que l’univocité de son plaidoyer, qui s’infère des deux autres critères du paragraphe 606(1.1), constitue une fin de non-recevoir entraînant l’irrecevabilité de sa demande en retrait. À cela s’ajoute l’obligation pour le tribunal de rester dans le cadre juridique et factuel fixé originellement par les parties, eu égard notamment à leurs admissions communes13. Il n’empêche que, dans ce cadre qui peut paraître étroit, le juge reste libre d’apprécier si des éléments nouveaux sont de nature à justifier le retrait du plaidoyer de culpabilité.
Questionnée par le juge sur son changement de position, l’accusée affirme avoir plaidé coupable pour plusieurs raisons. Primo, le ministère public lui a proposé une peine de trois ans, tout en lui faisant savoir qu’il allait requérir huit à dix ans de prison au terme du procès en cas de plaidoyer de non-culpabilité. Or l’indication par le ministère public de la peine qu’il envisage de solliciter en cas de plaidoyer de non-culpabilité peut, à notre sens, être considérée comme une atteinte à la liberté qu’a l’accusé de plaider ou non coupable. Secundo, l’accusée avait peur non seulement que sa transidentité soit révélée à sa mère, mais qu’elle soit aussi l’objet de discrimination en raison de son statut de femme transgenre, une fois en prison. De fait, rien ne pouvait exclure que le Service correctionnel du Canada lui refuse l’accès à une prison pour femmes, dès lors que cette question est laissée à la seule discrétion de l’établissement carcéral14. Tertio, l’accusée n’avait pas les moyens financiers de se payer un avocat ni n’était à même de préparer seule une défense pleine et entière. Il faut bien admettre que l’État dispose de tous les moyens pour affirmer la culpabilité d’un accusé, tandis que ce dernier doit lui-même financer non seulement sa défense, mais aussi la recherche des preuves de son innocence, les expertises, la recherche de témoins, etc. Quarto, son propre avocat l’a ostensiblement alertée sur les risques encourus en cas de refus de la transaction, en lui disant qu’« aller en procès » aurait pour conséquence inévitable le prononcé d’une peine plus sévère que celle proposée par la Couronne et qu’elle avait donc tout intérêt à accepter l’accord afin d’éviter le pire. Il n’est en effet pas surprenant que la sanction la plus lourde imprime sa marque à toute discussion sur le plaidoyer. Quinto, elle était obligée de plaider coupable le jour de la conclusion de la transaction, à défaut de quoi, elle en perdait le bénéfice !
Compte tenu de ces éléments, la conclusion du juge est sans détour : si le paragraphe 606(1.1) pose des conditions générales à la satisfaction desquelles l’intéressé ne peut plus revenir sur son choix ultérieurement, c’est à l’exclusion « [du] cas où il aurait accepté sous l’effet de pressions de formes diverses de plaider coupable pour des motifs sans aucun rapport avec sa culpabilité ». En filigrane, le juge souligne opportunément qu’en pareille hypothèse, l’accusé est susceptible de faire des choix contraires à ses intérêts, au regard notamment de son droit aux garanties d’un procès contradictoire15. Considérer l’inverse revient à escamoter le procès et à tomber dans la répression administrée en prenant des risques inutiles. Le premier est que l’accusé soit victime d’une insoutenable erreur judiciaire16 et d’une décision non conforme à la vérité17. Dans une situation distincte, mais relativement proche du présent cas d’espèce, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu en ce sens18. En effet, ce n’est que lorsque la culpabilité de l’accusé a été abordée et décortiquée au procès que le juge s’est rendu compte qu’il avait affaire à un innocent qui, par détresse, avait préalablement accepté de plaider coupable en suivant les mauvais conseils de son avocat. Celui-ci lui avait confirmé, à tort, que le rapport d’expertise était accablant et irréfutable et que par conséquent, il n’avait pas d’autre choix que de plaider coupable de l’homicide reproché. Or il n’en était rien. Le second risque est celui d’une peine injuste et disproportionnée au regard de la gravité des faits et du degré de responsabilité de leur auteur, à supposer même que celui-ci soit bien coupable. Reste le troisième risque, celui de la violation des principes directeurs du procès criminel, qui sont également un moyen de prévenir la violation du principe de la présomption d’innocence et du droit à une défense pleine et entière, très mis en avant par la jurisprudence19.
2. Dans un second temps, le juge parvient à dépeindre l’accord négocié entre la défense et le ministère public, en faisant état d’une clause résolutoire qui peut bien surprendre. Il fait observer qu’au tout début de l’enquête préliminaire relative à l’enregistrement du plaidoyer de culpabilité, la Couronne a donné lecture des faits en axant sa version sur les formes de menace et de violence sexuelles qui avaient conduit aux actes matériels de pénétration, attouchements et abus sexuels forcés ainsi qu’à la perpétration d’atteintes à l’intégrité physique de la victime. Le juge apprend alors que la plaignante s’est soustraite à un tyran qui a abusé de sa faiblesse, l’a manipulée et violée depuis l’âge de 15 ans jusqu’à ses 18 ans. Quand elle s’est rendue au poste de police en 2017, elle a déclaré avoir toujours été étranglée, giflée au visage et saisie par la gorge pendant les rapports sexuels non consentis. Elle a décrit la situation de concubinage comme une situation subie des années durant tout en affirmant qu’à cette époque, elle n’avait ni argent, ni nourriture, ni refuge, pour échapper à la souffrance quotidienne. Surtout, elle a dit craindre qu’après avoir tué quelques animaux domestiques et menacé de causer la mort ou des blessures à d’autres, l’accusée tue son chien de compagnie qu’elle avait laissé à la maison. Sauf que la plaignante n’avait, comme élément précis, que son récit des faits qui présentait l’avantage de correspondre aux témoignages des femmes victimes d’agressions sexuelles. Il est donc possible que les faits se soient produits, mais ce n’est pas une preuve suffisante pour conclure à une déclaration de culpabilité, et cela, pour deux raisons. D’abord, eu égard au fait que la plaignante n’a pas été confrontée à ses déclarations sur l’accusée. Cette dernière ne pouvait à la fois s’opposer à cette version des faits et, dans le même temps, plaider coupable des infractions reprochées au risque de perdre le bénéfice de l’allégement de sa peine. Ensuite, parce que la défense pouvait voir son accord avec la Couronne résilié de plein droit par l’application d’une clause résolutoire lui interdisant de contre-interroger la victime à l’audience ! Il n’est pas de notre propos d’occulter le fait que la victime peut subir des pressions dans le cadre d’un contre-interrogatoire, mais de simplement douter qu’une telle clause résolutoire, quoi qu’il en soit de sa légitimité, soit en l’espèce conforme aux règles de procédure dès lors que les charges pesant sur l’accusée sont exclusivement testimoniales et pourraient, à elles seules, établir sa culpabilité. Il convient en effet de garder à l’esprit que lorsqu’à la suite d’une procédure, la peine est fixée, la personne concernée doit être considérée comme ayant été « définitivement jugée pour les faits qui lui sont reprochés ». Or ce point se révèle ici davantage problématique, dans la mesure où il soulève une difficulté quant à son articulation avec la jurisprudence relative à l’application de la norme de preuve incombant au ministère public20. Celui-ci serait donc doublement avisé de ne pas s’appesantir sur une condition susceptible de porter atteinte aux droits de l’accusé, d’une part, parce que s’il est vrai que le témoignage des victimes peut avoir pour objet de corroborer l’accusation, encore faut-il, pour qu’il soit recevable à titre de preuve, que les circonstances sur lesquelles il s’appuie permettent à la juridiction de jauger leur crédibilité et leur fiabilité21, au risque sinon de neutraliser la portée de la présomption d’innocence que protège l’article 11 d) de la Charte canadienne des droits et libertés ; d’autre part, parce que le contre-interrogatoire constitue un acte fort utile à défaut duquel l’exercice des droits de la défense se trouve bien amoindri.
Au vu de cette annulation, la question de la validité d’un vrai-faux plaidoyer de culpabilité se pose. Elle se pose d’autant plus que quand bien même s’agit-il là d’une affaire grave, le juge, en plus de dépeindre l’accord négocié avec le ministère public, a fait preuve de réalisme en prenant soin d’empêcher qu’un plaidoyer dénué de tout lien avec la culpabilité produise un effet. Si le texte est muet sur le point de droit tranché in casu par le juge ontarien, cette solution apparaît cependant logique par rapport à l’esprit du texte. Elle semble guidée par un certain pragmatisme qui vise à éviter la violation de la présomption d’innocence et du droit à un procès équitable ainsi qu’à une défense pleine et entière. Une telle solution nous paraît donc salutaire dans son principe même si, reconnaissons-le, l’accusée va bientôt devoir répondre de toutes les accusations pesant sur elle.
1 R. v. Anthony-Cook, 2016 CSC 43, [2016] 2 R.C.S. 204, EYB 2016-271705, par. 25.
2 Il est vrai qu’elle ne pouvait pas admettre certains faits et, en même temps, en nier d’autres, dans la mesure où la jurisprudence n’accepte pas les plaidoyers conditionnels. Voir, en ce sens, R. c. Fegan (1993), 21 C.R. (4th) 65, 80 C.C.C. (3d) 356 (C.A. Ont.) ; R. c. Lucas (1983), 9 C.C.C. (3d) 71 (C.A. Ont.).
3 R. c. Jacques, EYB 2017-287352, 2017 QCCA 1843 ; R. c. McLaughlin, 2013 NBCA 28. Les solutions apportées par ces deux arrêts d’appel ont le mérite de la simplicité, à défaut de la nuance. Voir, en ce sens, R. c. Tremblay, EYB 2005-97629, 2005 QCCA 1088.
4 Voir, à titre d’illustration, R. c. Hexamer, 2018 BCCA 142; R. c. Denis, EYB 2005-97630, 2005 QCCA 1089.
5 Les chefs d’inculpation ne doivent pas instiller un doute, dans l’esprit de l’accusé, quant aux faits qu’il entend reconnaître : R. v. Carty, 2010 ONCA 237, 253 C.C.C. (3d) 469; R. v. Tryron, [1994] O.J. No332 (C.A.).
6 R. v. T. (R.) (1992), 10 O.R. (3d) 514 (C.A.).
7 R. c. Smith, 2017 SKCA 81.
8 Khanfoussi c. R., 2010 QCCQ 8687, EYB 2010-180637
9 Si bien qu’un examen incomplet ne répond pas au but légitimement poursuivi par le législateur, ni aux exigences de la jurisprudence. R. c. Larrivée, EYB 2017-275528, 2017 QCCA 105.
10 R. v. Lyons, [1987] 2. R.C.S. 309, EYB 1987-67386, par.372; Antoine v. R. (1984), 40 C.R. (3d) 375 (CAQC).
11 R. c. Henneberry, 2017 NSCA 71, 351 C.C.C. (3d) 365.
12 R. c. Krzehlik, 2015 ONCA 168.
13 R. c. Nguyen (2006), 206 C.C.C. (3d) 560 (C.A. Alta).
14 Il est d’ailleurs frappant de constater combien les techniques de contrôle se sont renouvelées, à mesure que les chefs de discrimination se sont diversifiés. Voir, à propos d’une détenue transgenre s’étant vu refuser l’accès à une prison pour femmes par le Service correctionnel du Canada, Jamie Boulachanis c. PG (Procureur général du Canada), 2019 CF 456.
15 R. v. Rulli, 2011 ONCA 18 au para 2 (CanLII).
16 R. v. Hanemaayer, 2008 ONCA 580, 239 O.A.C. 241 aux 18-20; R. v. Pietrangelo, 2008 ONCA 449, 233 C.C.C. (3d) 338 au para 6 ; R. v. Dodge, 2005 NSPC 24, 234 N.S.R. (3d) 85.
17 R. v. Catcheway, 2018 MBCA 54.
18 R. v. Shepherd, 2016 ONCA 188; R. v. Kumar, 2011 ONCA 120, 273 O.A.C. 130 au para 34.
19 R. v. Lopez-Restrepo, 2018 ONCA 887 au para 23 ; Bergeron 2005 QCCA 266 ; R. c. Taillefer, [2003] 3 R.C.S. 307, 179 C.C.C. (3d) 353 ; Richard [1993] 3 R.C.S.521 ; Adgey [1975] 2 R.C.S.426.
20 R. v. Wong, 2018 CSC 25, [2018] 1. R.C.S. 696 au para 2 ; R. c. Alec, 2016 BCCA 282, 337 C.C.C. (3d) 345.
21 R. v. Darrach, 2000 CSC 46, [2000] 2 R.C.S. 443 au para 63.