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La vidéosurveillance en copropriété divise et le respect de la vie privée vus par la Commission d’accès à l’information du Québec : décision Lowney II

Pierre-Alexis Bombardier et Annie Madigan, DE GRANDPRÉ JOLICOEUR s.e.n.c.r.l.
La vidéosurveillance en copropriété divise et le respect de la vie privée vus par la Commission d’accès à l’information du Québec : décision <em>Lowney II</em>

Il est de pratique courante pour les syndicats de copropriétaires d’installer et de faire fonctionner des caméras de surveillance au sein des immeubles qu’ils administrent. Le but est souvent de dissuader le vol ou le vandalisme et d’assurer la sécurité des occupants. Un autre objectif peut être de veiller au respect des règlements, par exemple l’interdiction des locations à court terme de type Airbnb.

Toutefois, les syndicats et leurs gestionnaires doivent considérer les répercussions sur la vie privée des copropriétaires, occupants ou même simples utilisateurs de l’immeuble (ex. : invités ou employés). Ils doivent notamment s’assurer du respect du cadre juridique relatif à la collecte et à l’utilisation de renseignements personnels.

C’est un sérieux rappel qui a été lancé à cet égard par la Commission d’accès à l’information du Québec (« Commission ») à un immeuble du centre-ville de Montréal.

Les mêmes principes peuvent concerner et s’appliquer à de nombreux immeubles détenus en copropriété divise. Qu’en est-il ?

Cadre juridique

Le droit au respect de la vie privée est un droit fondamental protégé par diverses lois, telles que la Loi sur les renseignements personnels dans le secteur privé1 (« Loi sur le privé »), le Code civil du Québec2 (« C.c.Q. ») et la Charte des droits et libertés de la personne3 (« Charte »). Plus particulièrement, la Loi sur le privé prévoit des règles pour toute personne qui recueille, détient, utilise ou communique des renseignements personnels à l’occasion de l’exploitation d’une entreprise « au sens de l’article 1525 du Code civil »4.

Les syndicats de copropriétaires ne font pas exception et doivent se conformer aux obligations qui y sont contenues. En effet, tel qu’établi par la doctrine5, la notion d’« entreprise » prévue à l’article 1525 alinéa 3 C.c.Q. doit être interprétée largement6, ce qui englobe notamment les syndicats de copropriétaires.

Décision Association des copropriétaires du Lowney II7

Cette interprétation a récemment été confirmée dans une décision rendue par Me Lina Desbiens, membre de la section de surveillance de la Commission8.

La Commission y précise qu’un syndicat de copropriétaires, étant une entreprise inscrite au Registraire des entreprises, est assujetti à la Loi sur le privé.

Dans les faits, un système de vidéosurveillance, comprenant 14 caméras, avait été installé depuis 2009 ou 2010. Il était en activité depuis cette date, soit plus de dix ans au moment où la décision a été rendue, le 19 octobre 2020.

La décision de la Commission n’a porté que sur la caméra installée sur la terrasse se trouvant sur le toit de l’immeuble, laquelle terrasse est accessible aux résidents du Lowney I, immeuble voisin géré par un autre syndicat des copropriétaires, et du Lowney II, immeuble administré par le syndicat visé par la décision. La caméra litigieuse était orientée vers la terrasse.

La Commission rappelle dans un premier temps que la Loi sur le privé s’applique aux renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l’identifier, et ce, quelle que soit la nature de leur support et la forme sous laquelle ils sont accessibles. L’image d’une personne est considérée comme un renseignement personnel à partir du moment où l’identification de la personne est possible.

Ainsi, la Commission souligne que les images captées par la caméra de surveillance de la terrasse sont accessibles sur les serveurs de l’immeuble qui permettent d’identifier non seulement les occupants résidents, mais également leurs invités. Elles constituent donc un renseignement personnel.

La Commission rappelle : « La Loi sur le privé prévoit qu’une entreprise (incluant un syndicat ou son gestionnaire) peut recueillir uniquement les renseignements personnels nécessaires à l’objet du dossier qu’elle constitue au sujet d’une personne, et ce, pour minimiser l’atteinte à la vie privée. »

Ainsi, une entreprise (y compris un syndicat ou son gestionnaire) qui entend recourir à la vidéosurveillance pour collecter les images des résidents et de leurs invités qui se trouvent dans les espaces communs doit justifier la nécessité de cette collecte. Pour ce faire, elle doit démontrer le caractère légitime, important et réel de cette collecte et la proportionnalité de l’atteinte à la vie privée qu’elle constitue quant aux objectifs qu’elle poursuit. Ici, le syndicat soutient que les caméras avaient pour objectif :

- d’augmenter la sécurité des résidents et de leurs biens, et de dissuader la perpétration de crimes ;

- mais également d’éviter des infractions au règlement de l’immeuble.

Sur le deuxième point, le syndicat explique qu’un feu important a eu lieu sur la terrasse avant que les caméras ne soient installées. N’eût été la vigilance de passants ayant vu la fumée, « l’événement aurait pu être dramatique ». Le feu a été causé par des fumeurs et, selon le syndicat, la présence de caméras dissuade les fumeurs qui ne respectent pas le règlement (on suppose qu’il est interdit de fumer).

La Commission décide d’abord que le respect de l’interdiction de fumer n’est pas un objectif suffisamment important pour porter atteinte à la vie privée des résidents et autres utilisateurs des deux immeubles. Selon la Commission : « La violation du règlement de copropriété par des infractions mineures y compris le respect de l’interdiction de fumer n’est pas un objectif suffisamment important pour porter atteinte à la vie privée des résidents. »

La Commission conclut toutefois que l’objectif d’augmenter la sécurité (il est évident que le feu met en danger la vie des résidents et autres utilisateurs des deux immeubles) et de dissuader la perpétration de crimes est important et réel.

Cette conclusion amène la Commission à évaluer la proportionnalité de l’atteinte à la vie privée. Pour être justifiée, l’atteinte doit être minimisée afin de ne pas être disproportionnée par rapport aux objectifs poursuivis. Or, la Commission conclut que les résidents qui s’installent dans cet espace récréatif ont une expectative de vie privée et que l’atteinte à la vie privée est disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi9. Elle indique que d’autres moyens moins intrusifs permettent d’atteindre ce dernier, tels que les cartes à puces et les caméras dans les escaliers.

Ainsi, la Commission ordonne au syndicat de réorienter la caméra « de manière à ce que les résidents et leurs invités qui profitent de la terrasse ne se sentent pas filmés en permanence »10.

Avec égards, nous nous interrogeons quant à l’efficacité d’une telle ordonnance. Comment vérifier son respect ? Qui aura accès aux enregistrements ? Combien de temps ces enregistrements seront-ils conservés ? Que faire avec les 13 autres caméras installées dans la copropriété ? N’est-il pas plus approprié de mettre en place une politique globale et ordonnancée pour assurer le respect de la vie privée pour l’ensemble du système de vidéosurveillance ? Par ailleurs, la vidéosurveillance n’est qu’un des aspects à considérer puisque Loi sur le privé s’applique aux renseignements qui concernent une personne physique et permettant de l’identifier, et ce, quelle que soit la nature de leur support et la forme sous laquelle ils sont accessibles.

Le point de vue de la Cour supérieure

Autre forum, mêmes enjeux : en 2011, la Cour supérieure du Québec a été saisie de la question dans l’affaire Boivin11. Dans cette cause et dans les faits, le syndicat, ayant constaté plusieurs méfaits, avait pris la décision d’installer un système de vidéosurveillance. La question du respect de la vie privée était l’un des aspects discutés. Afin d’assurer la protection des renseignements personnels, le conseil d’administration avait instauré des normes d’utilisation du système de surveillance en s’inspirant des Règles sur l’utilisation de la vidéosurveillance avec enregistrement dans les lieux publics par les organismes publics, publiées par la Commission en 2004. À l’époque de la décision, la Commission n’avait pas formulé de règles quant aux lieux privés ; elle ne l’a toujours pas fait. La Cour a, néanmoins, salué l’initiative du syndicat et l’a considérée dans l’évaluation de l’atteinte à la vie privée. Elle a conclu que l’atteinte était minime et qu’elle se justifiait dans le contexte de la protection d’un lieu partagé par tous les copropriétaires.

Projet de loi 64 et règles d’utilisation de vidéosurveillance en copropriété

La Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels (communément appelée « projet de loi 64 ») prévoit des modifications à la Loi sur le privé.

Le projet de loi 64 prévoit notamment l’obligation de mettre en œuvre des politiques et des pratiques encadrant la gouvernance à l’égard des renseignements personnels et propres à assurer leur protection. Ces politiques et pratiques doivent prévoir l’encadrement applicable à la conservation et à la destruction des renseignements, les rôles et responsabilités des membres du « personnel de l’entreprise » (quid des syndicats, qui n’ont généralement pas de personnel ?) tout au long du cycle de vie des renseignements ainsi qu’un processus de traitement des plaintes. Le projet de loi 64 décrit les mesures de protection pouvant être applicables à un projet impliquant la collecte, l’utilisation, la communication, la conservation ou la destruction de renseignements personnels. Ainsi, un responsable de la protection des renseignements personnels pourrait nommer une personne chargée de la mise en œuvre de la protection des renseignements personnels, instaurer des mesures de protection des renseignements personnels dans tout document relatif au projet, préparer une description des responsabilités des participants au projet en matière de protection des renseignements personnels ou prévoir la tenue d’activités de formation sur la protection des renseignements personnels pour les participants au projet. Ces règles vont-elles s’appliquer aux syndicats et, si oui, sera-t-il tenu compte de leur spécificité afin de ne pas leur imposer un fardeau trop lourd ? Pour l’heure, la question ne semble pas avoir été expressément soulevée.

En pratique

La Commission semble s’intéresser de plus en plus à la question de la vidéosurveillance et de manière générale au respect de la vie privée en copropriété. Les tribunaux, pour leur part, se penchent sur cette question depuis déjà plusieurs années.

À notre avis, les syndicats et gestionnaires devraient être proactifs et se munir des outils appropriés pour faire face à la contestation, quel qu’en soit le forum. Nous estimons ainsi qu’il est essentiel pour les syndicats de se doter d’une politique encadrant la gestion des renseignements personnels en copropriété et, plus précisément, la vidéosurveillance. Plusieurs de nos clients sont déjà équipés ou en voie de s’équiper à cet égard.


1. Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, RLRQ, c. P-39.1.

2. Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991.

3. Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.

4. Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, préc., note 1, art. 1.

5. Ludovic LE DRAOULLEC et Bruno BOURDELIN, « Le virage numérique en copropriété divise », dans S.F.P.B.Q., vol. 491, Développements récents en copropriété divise, Montréal, Éditions Yvons Blais, p.168.

6. Conseil de presse du Québec c. Lamoureux-Gaboury, EYB 2003-40844 (QC C.Q.) ; M.G. c. Le Café A, 2017 QCCAI 33.

7. Association des copropriétaires du Lowney II, 1016883-S, 19 octobre 2020 (Commission d’accès à l’information du Québec).

8. À mentionner également que d’autres décisions de la Commission permettent d’inférer l’opinion de cette dernière quant à l’application de la Loi sur le privé aux syndicats de copropriétaires : Rudski c. Condominium l’Elysée association, 01 01 28, 24 mai 2001 (Commission d’accès à l’information du Québec) ; X c. Syndicat des copropriétaires le 1560 Van Horne, 05 23 42, 31 mai 2007 (Commission d’accès à l’information du Québec).

9. Association des copropriétaires du Lowney II, préc., note 7, par. 27.

10. Ibid., par. 28.

11. Boivin c. Syndicat des copropriétaires Terrasse Le Jardin Durocher inc., 2011 QCCS 6110.

12. Ibid., par. 80.

13. Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels, projet de loi 64 (adoption du principe – 20 octobre 2020), 1re sess., 42e légis. (Qc).

14. Ibid., art. 95.

15. Ibid.

16. Ibid.

17. Barbana c. Syndicat des copropriétaires Les condos 2460-62-64 Boisvin, 2018 QCCS 1259 ; Syndicat de copropriété du 186 St-Paul c. Lafrance, 2019 QCCQ 7891 ; Singh c. Lal, 2016 QCCQ 316.

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