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Terrains contaminés : la présence de tuyaux reliés à un réservoir souterrain qui étaient visible avant la vente ne constitue pas automatiquement un indice annonciateur d’une problématique de contamination du sol

Par Me Bryan-Éric Lane, LANE, avocats et conseillers d'affaires inc.
Terrains contaminés : la présence de tuyaux reliés à un réservoir souterrain qui étaient visible avant la vente ne constitue pas automatiquement un indice annonciateur d’une problématique de contamina

Dans l’arrêt Placements Beauvais-Chabot c. Fogel, rendu en 2014, la Cour d’appel a statué que la seule présence d’un tuyau pouvant constituer un indice de la présence d’un réservoir souterrain n’est pas un indice positif annonciateur d’une problématique de contamination du sol.

Dans cette affaire, l’acheteur d’un immeuble multirésidentiel de seize logements ayant découvert après la vente que son terrain était contaminé par des hydrocarbures a poursuivi son vendeur pour vices cachés, lui réclamant le remboursement des coûts de décontamination.

En défense, le vendeur plaidait que la problématique de contamination du sol n’était pas un vice caché, mais plutôt un vice apparent puisqu’il était possible pour l’acheteur, avant la vente, de voir qu’il y avait des tuyaux d’alimentation reliés à un réservoir souterrain qui sortaient du sol. Le vendeur soutenait que la présence de tuyaux constituait un indice suffisant de la présence de réservoirs souterrains.

La juge de première instance a néanmoins conclu que la présence des tuyaux permettant de soupçonner la présence de réservoirs souterrains ne constituait pas un indice de contamination des sols. La Cour d’appel a d’ailleurs maintenu cette décision :

[4] La juge est consciente du caractère apparent de certains tuyaux et du fait que cela pouvait constituer un indice de la présence de réservoirs souterrains. D'ailleurs, elle énonce la position de l'appelante qui l'invite à conclure que le vice était apparent, mais elle la rejette en raison des faits particuliers de l'affaire. Elle s'exprime ainsi : […]

[32] En effet, les photos prises par l'évaluateur de la Caisse populaire montrent clairement que les tuyaux sont visibles lors de l'achat.

[33] Or, le demandeur soutient que ni lui ni son inspecteur ne remarquent les tuyaux en question, pas plus que l'évaluateur de la Caisse populaire n'en fait mention dans son évaluation.

[34] Au surplus, le demandeur souligne qu'à l'acte de vente, il est écrit que [TRADUCTION] « l'immeuble ne déroge pas aux lois et règlements concernant la protection de l'environnement », ce qui, selon lui, s'ajoute à la garantie légale.

[35] Il plaide que la présence de tuyaux n'est pas un indice que les sols sont contaminés.

[36] Il n'a pas tort. Ce n'est pas la présence de réservoirs inutilisés qui contrevient à la loi, mais plutôt la contamination des sols, et celle-ci ne pouvait être décelée par un examen raisonnable.

[…]

[38] En conséquence, le Tribunal considère que le vice était caché, et que le demandeur ne pouvait le déceler par un examen raisonnable.

[…]

[6] En l'espèce, la juge a eu raison de conclure que la contamination des sols constituait un vice caché.

Il importe de préciser que dans cette affaire, le vendeur ignorait au moment où il a vendu l’immeuble en cause que des réservoirs étaient enfouis dans le sol et que des tuyaux d’alimentation sortaient du sol, d’autant plus qu’au moment de la vente de l’immeuble à l’acheteur en 2004, personne n’avait soupçonné la présence de réservoirs d’huile. Au surplus, le vendeur avait même affirmé à l’acheteur, dans une lettre de réponse à la mise en demeure de ce dernier, que les immeubles en cause n’étaient pas et n’ont jamais été dotés de réservoirs souterrains.

Dès lors, comment un vendeur ignorant lui-même la présence de tuyaux sortant du sol ainsi que l’existence même de réservoirs souterrains au moment où il a vendu l’immeuble à son acheteur pourrait-il prétendre que ce dernier aurait dû découvrir une problématique dont il ne soupçonnait même pas l’existence ? Pour citer l’auteur Pierre-Louis Bazinet dans son article publié en 2015 et intitulé « Satisfaction de la condition de non-apparence d'un vice environnemental par l'acheteur d'un immeuble en en faisant un examen approfondi : notions et indice du vice » : « Un vendeur qui ignore le défaut ne peut pas exiger de l'acheteur qu'il connaisse mieux que lui la propriété en devant découvrir le défaut qu'il ignore lui-même. »

En 2016, dans le jugement rendu dans l’affaire Laquerre c. Joseph, qui a ensuite été maintenu par la Cour d’appel en 2018, la Cour supérieure a décidé qu’une problématique de contamination du sol d’une propriété n’était pas apparente malgré la présence de tuyaux extérieurs qui aurait pu alerter les acheteurs quant à la présence possible d’un réservoir souterrain.

Dans cette affaire, les acheteurs n’avaient pas donné suite aux recommandations de leur inspecteur préachat, qui recommandait une inspection additionnelle de certains éléments situés à l’extérieur de la propriété, qui n’avaient pas pu être examinés en raison de l’accumulation de la neige au sol.

Bien que le tribunal ait estimé que les acheteurs n’avaient pas agi de façon prudente et diligente, il a néanmoins jugé que la preuve administrée ne lui permettait pas de conclure de manière probante que la présence des tuyaux aurait été observée dans le cadre d’une inspection additionnelle et que, le cas échéant, elle aurait entraîné une recommandation de procéder à des vérifications plus poussées :

[68] Le Tribunal est d'avis que les Acheteurs n'ont pas fait preuve de prudence et de diligence en choisissant de ne pas faire effectuer l'inspection visuelle extérieure complémentaire de la Propriété recommandée par AmeriSpec. Un acheteur prudent et diligent aurait demandé à l'inspecteur d'effectuer une seconde visite afin de lui permettre de compléter l'inspection extérieure de la Propriété. En choisissant de ne pas donner suite à cette recommandation, les Acheteurs ont assumé le risque découlant d'une inspection incomplète.

[…]

[73] De l'avis du Tribunal, il est possible qu'une inspection extérieure complète de la Propriété aurait permis à AmeriSpec de constater la présence des tuyaux sortant du sol et ancrés au mur extérieur situé à l'arrière de la Propriété, visibles en l'absence de neige au sol.

[74] Par ailleurs, les Acheteurs ont raison d'affirmer qu'il est également possible qu'une telle inspection n'aurait pas donné lieu à un tel constat. Les Acheteurs ou leur inspecteur aurait-il été négligent pour autant ? Le Tribunal ne le croit pas.

[75] La preuve administrée ne permet pas au Tribunal de conclure qu'il est probable, et non seulement possible, que la présence des tuyaux aurait été notée par l'inspecteur et l'aurait mené à recommander un examen plus poussé.

[…]

[80] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est d'avis que la contamination des sols constitue un vice caché, puisqu'il n'a pas été démontré, de manière prépondérante, que cette contamination était apparente en raison de la présence des tuyaux extérieurs. Aux yeux du Tribunal, il ne s'agit pas d'un « vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert ».

Il est pertinent d’ajouter que les vendeurs avaient déclaré aux acheteurs avant la vente qu’à leur connaissance, il n’y avait pas de réservoir souterrain.

Toutefois, qu’en aurait-il été si les acheteurs avaient fait effectuer l’inspection additionnelle recommandée, que l’inspecteur avait constaté, lors de celle-ci, la présence des fameux tuyaux, qu’il avait dès lors recommandé aux acheteurs de procéder à un examen plus poussé en lien avec une contamination possible et qu’aucun examen plus poussé n’avait été fait par les acheteurs ?

Dans un tel cas, nous sommes d’avis que l’issue de ce dossier aurait pu être différente et que la problématique de contamination aurait été susceptible d’être considérée par le tribunal comme étant apparente. En effet, et comme nous l’avons souligné dans une publication précédente, le défaut d’effectuer les vérifications et expertises recommandées par son inspecteur préachat avant la vente sera fatal à une réclamation pour vices cachés, bien qu’il soit nécessaire de rappeler qu’une recommandation générale d’effectuer une vérification formulée par un inspecteur préachat ne constitue pas automatiquement un indice positif de la présence d’un vice caché.

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About the Author

Diplômé en droit de l'Université de Sherbrooke, Me Bryan-Éric Lane oeuvre au sein de la firme LANE, avocats et conseillers d'affaires inc., qu'il a fondée en 2006. En parallèle à sa pratique en droit des affaires, Me Lane se spécialise en droit immobilier, et plus particulièrement en matière de recours pour vices cachés, domaine dans lequel il a développé avec les années une solide expertise. Me Lane a donné de nombreuses conférences en matière de recours pour vices cachés. Il a également collaboré avec les Éditions Yvon Blais au développement de l'outil de recherche La référence Quantum – Vices cachés.