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Loi et droit acquis: Un jugement a été rendu

Me Clément Lucas, DE GRANDPRÉ JOLICOEUR s.e.n.c.r.l.
Loi et droit acquis: un jugement déclaratoire est attendu…

Cette chronique traite plus spécifiquement de la situation des non-canadiens ayant signé une promesse d’achat avant cette date mais dont la vente est prévue après. Elle a été mise à jour à la suite du jugement rendu le 31 janvier 2023 et à l’égard duquel un certificat de non-appel a été émis le 27 mars 2023.

  1. La présente chronique a trait à la Loi sur l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens1 (« Loi »). L’entrée en vigueur de cette Loi est fixée au 1er janvier 2023.

A. LA LOI

  1. La Loi vise à interdire aux entreprises commerciales étrangères et aux personnes qui ne sont ni citoyennes canadiennes ni résidentes permanentes d’acquérir des immeubles résidentiels non récréatifs au Canada pendant une période de 2 ans (du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2024).
  2. C’est dans l’optique de lutter contre l’inflation et de ralentir la spéculation immobilière que le gouvernement fédéral avait annoncé en décembre 2021, parmi les mesures de « sa politique du logement », une interdiction temporaire d’achat de propriétés résidentielles au Canada par des étrangers. La Loi n’a toutefois été adoptée que bien plus tard sous des contours plus précis.
  3. Le site du parti libéral affiche ainsi ce qui suit2 :
  4. Une consultation a été lancée quant au règlement d’application (« Règlement ») de la Loi3. Elle est aujourd’hui close. Le document de consultation4 indique notamment ce qui suit :
  5. Le Règlement était annoncé comme devant comprendre certaines définitions et clarifications, ainsi que des détails sur les exceptions éventuellement applicables5.
  6. Le 21 décembre 2022, le Règlement vient d’être publié6. Il ne répond pas à des questions pourtant essentielles.
  7. Le 19 décembre 20227, DJC a pris une procédure pour faire clarifier le tout. Une réponse de la Cour a été obtenue le 31 janvier 2023.

B. L’ÉTAT DES QUESTIONS

  1. La Loi a un impact potentiel sur tous les contrats préliminaires (à des ventes immobilières) conclus antérieurement à la sanction de la Loi (23 juin 2022), mais dont les effets sont prévus pour être postérieurs à son entrée en vigueur imminente (« Contrats »). S’applique-t-elle à ces Contrats ?
  2. Plus largement, un contrat préliminaire conclu après le 23 juin 2022 peut-il donner lieu à un contrat de vente notarié le ou après le 1er janvier 2023 ?
  3. Cette dernière question concerne dans les faits de nombreux projets de développements immobiliers au travers du Canada.
  4. Certaines se disent d’avis que « Si une promesse d’achat et un acte de vente sont signés avant le 1er janvier 2023, la personne ne sera pas assujettie à interdiction d’acheter. Mais si la promesse d’achat est signée avant la date d’entrée en vigueur et que la personne devient propriétaire après le 1er janvier 2023, elle devra respecter le moratoire »8.
  5. D’autres publications de la communauté juridique sont, d’ailleurs, plus nuancées9 et même en sens contraire10.
  6. Plusieurs d’entre elles font valoir que l’exemption prévue au paragraphe 4 (5) de la Loi est de nature à exclure les Contrats et de manière générale tout contrat préliminaire conclu antérieurement à son entrée en vigueur même si la vente elle-même doit être notariée ou autrement formalisée durant la période de moratoire.
  7. Il régnait donc une controverse dans la communauté juridique, que la publication du Règlement aurait pu clore.
  8. Faute de ce faire, ces questions ont été soumises à l’attention de la Cour supérieure dans le cadre d'une procédure en jugement déclaratoire11.

C. OPINION

  1. La Loi est sans ambiguïté lorsqu’elle énonce, à son article 4, que :
  2. « (1) Malgré l’article 34 de la Loi sur la citoyenneté, il est interdit à tout non-Canadien d’acheter, directement ou indirectement, tout immeuble résidentiel », sous réserve des « (3) […] situations visées par règlement. » (Nos soulignés)
  3. Ainsi, même un achat indirect via une société contrôlée par un non-Canadien y est assujetti.

C.1 EXEMPTION

  1. Le paragraphe 5 de ce même article 4 mérite qu’on s’y arrête. Il se lit comme suit :
  2. « Non-application
    (5) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si, aux termes d’une convention d’achat-vente, le non-Canadien devient responsable de l’immeuble résidentiel ou en assume la responsabilité avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi. » (Nos soulignés)
  3. La version anglaise de 4 (5) réfère à un « agreement of purchase and sale », qui en common law signifie « promesse de vente », suivie d’une « clôture » ; la version anglaise semble donc bel et bien référer à une promesse de vente, ce qui est l’interprétation voulue, et qui donnerait un sens pratique audit paragraphe 4 (5) de la Loi.

C.2. DROITS ACQUIS

  1. Alternativement, le soussigné soumet que la Loi aurait, par son application aux Contrats, pour effet de remettre en cause des droits acquis à la fois par le vendeur, et son promettant-acheteur.
  2. À cet égard, la Loi ne comporte aucune indication relativement à son application dans le temps si ce n’est que d’indiquer qu’elle entrera en vigueur le 1er janvier 2023 et qu’elle sera abrogée deux ans plus tard.
  3. Ici, rappelons que les Contrats ont été conclus antérieurement à la sanction de la Loi et qu’à cette époque prévalait, et prévaut toujours en date des présentes, la Loi sur la citoyenneté12, laquelle indique ce qui suit :
  4. « Droits
    34 Sous réserve de l’article 35 :
    a) le non-citoyen peut acquérir, détenir ou aliéner des biens meubles ou immeubles de toute nature au même titre que le citoyen ;
    b) le non-citoyen peut transmettre un titre afférent à des biens meubles ou immeubles de toute nature soit directement, soit en servant d’intermédiaire, soit par voie de succession, au même titre que le citoyen.
    Interdiction ou limitation visant les non-Canadiens
    35 (1) Le lieutenant-gouverneur en conseil d’une province, ou la personne ou l’autorité qu’il désigne, peut, sous réserve du paragraphe (3), interdire, annuler ou limiter de quelque façon que ce soit l’acquisition directe ou indirecte notamment par dévolution successorale de droits sur des biens immeubles situés dans la province par des non-citoyens ou par des personnes morales ou associations qui sont en fait contrôlées par des non-citoyens.
    Règlements
    (2) Le lieutenant-gouverneur en conseil peut, par règlement, définir :
    a) les opérations qui constituent une acquisition, directe ou indirecte, de droits sur des biens immeubles situés dans la province ;
    b) ce qu’il faut entendre par personnes morales ou associations en fait contrôlées par des non-citoyens ;
    c) la notion d’association.
    Réserve
    (3) Les paragraphes (1) et (2) n’ont pas pour effet de permettre au lieutenant-gouverneur en conseil, ou à la personne ou autorité qu’il désigne, de prendre des décisions ou mesures visant à :
    a) appliquer les restrictions en matière de biens immeubles aux résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ;
    b) faire obstacle à l’exécution des obligations imposées au Canada, sur le plan international, par le droit, la coutume ou une convention ;
    c) établir des distinctions entre les non-citoyens en fonction de leur nationalité, sauf si les obligations imposées au Canada, sur le plan international, par le droit, la coutume ou une convention exigent de sa part un traitement privilégié à leur égard ;
    d) empêcher tout État étranger d’acquérir des biens immeubles situés dans une province pour un usage diplomatique ou consulaire ;
    e) appliquer les restrictions en matière de biens immeubles aux investissements au sujet desquels le ministre est d’avis ou est réputé être d’avis aux termes de la Loi sur Investissement Canada qu’ils seront vraisemblablement à l’avantage net du Canada. » (Nos soulignés)
  5. Cette loi n’est, cependant, pas formellement constitutive de droit, mais plutôt permissive, comme exposé par la Cour suprême du Canada dans Morgan c. Procureur général de l’Île-du-Prince-Édouard13.
  6. En revanche, il est indéniable que l’application de la Loi aux Contrats remettrait en cause les droits en résultant, ce qui entrerait, de l’avis du soussigné, en contradiction avec le principe du respect des droits acquis.
  7. La Loi d’interprétation14 (fédérale) donne d’ailleurs certaines balises en prévoyant ce qui suit :
  8. « Définitions
    Abrogation
    (2) Pour l’application de la présente loi, le remplacement d’un texte emporte son abrogation; vaut aussi abrogation du texte sa cessation d’effet par caducité ou autrement.
    Abrogation et modification
    Pouvoir d’abrogation ou de modification
    42 (1) Il est entendu que le Parlement peut toujours abroger ou modifier toute loi et annuler ou modifier tous pouvoirs, droits ou avantages attribués par cette loi. […]
    Effet de l’abrogation
    43 L’abrogation, en tout ou en partie, n’a pas pour conséquence : […] c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé ; » (Nos soulignés)
  9. À ce sujet, l’auteur Pierre-André CÔTÉ indique ce qui suit15 :
  10. « 380. La réponse à cette question paraît simple en matière fédérale : le second paragraphe de l’article 2 de la Loi d’interprétation permet de considérer, pour l’application de cette loi, qu’une loi qui a cessé d’avoir effet a été abrogée. Tous les articles de cette loi qui traitent des effets de l’abrogation devraient donc s’appliquer en principe lorsqu’un texte cesse d’avoir un effet en raison de la prépondérance d’un autre texte. […]
    391. En ce qui concerne les effets de l’abrogation, les lois d’interprétation confirment ou modifient certaines règles de common law, et gardent le silence sur certaines autres : […] 2. Le principe du maintien des droits acquis est confirmé (loi québécoise, art. 12; loi canadienne, art. 43 c)). On a signalé qu’il est peut-être même amplifié par la mention, à l’article 43 c) de la loi fédérale, non seulement des droits acquis, mais aussi dans la version anglaise du texte, des droits naissants (accruing). […]
    596. Le principe général retenu en jurisprudence veut que la loi nouvelle soit réputée respecter ces situations car la loi n’est pas censée porter atteinte aux droits acquis. […]
    640. En matière contractuelle, on a jugé qu’une loi nouvelle ne pouvait régir les effets en cours d’un prêt ou d’une vente, d’un contrat d’assurance ou d’un contrat de bail. La Cour suprême a également jugé que les droits acquis pour l’obtention d’un brevet d’invention ne devaient pas être touchés par l’abrogation de la loi en vigueur au moment de la délivrance du brevet. » (Nos soulignés)
  11. Dans Dikranian c. Québec (Procureur général du Québec)16, la Cour suprême du Canada énonce ce qui suit :
  12. « Le principe du respect des droits acquis est reconnu en droit canadien depuis fort longtemps. Il fait partie des nombreuses intentions attribuées au Parlement et aux assemblées législatives. […] L’arrêt-clé qui a trait à cette présomption est Spooner Oils Ltd. c. Turner Valley Gas Conservation Board, [1933] R.C.S. 629, p. 638, où notre Cour a formulé le principe en ces mots :
    [TRADUCTION] Un texte législatif ne doit pas être interprété de manière à porter atteinte à des droits acquis ou à une «  situation juridique existante » (Main c. Stark [(1890), 15 App. Cas. 384, p. 388]), sauf si son libellé le commande. La règle est qualifiée par Coke de « loi du Parlement » (2 Inst. 292), ce qui veut dire sans aucun doute qu’elle se fonde sur la pratique du Parlement, l’hypothèse sous-jacente étant que, lorsqu’il compte porter atteinte à de tels droits ou situations juridiques, le législateur le dit expressément sauf si, de toute façon, cette intention se dégage clairement d’une déduction nécessaire.
    Depuis, les lois d’interprétation ont codifié ce principe. La Loi d’interprétation ne fait pas exception. » (Nos soulignés)
  13. À cet égard et malgré le libellé de l’article 4 (5) de la Loi, elle ne devrait pas s’appliquer aux obligations contractuelles nées ou assumées avant l’entrée en vigueur de la Loi.
  14. La Loi ne peut pas avoir pour effet de porter une si lourde atteinte aux droits acquis ou à naître, notamment celui du vendeur de disposer de ses biens et de rembourser avec le fruit de la ou les ventes son prêt construction.

D. JUGEMENT RENDU

Le 31 janvier 2023, l’honorable Sylvain Lussier, j.c.s. a rendu un jugement retenant qu’effectivement « en vertu de l’exemption prévue au paragraphe 4(5) de la Loi sur l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens, l’interdiction d’achat de tout immeuble résidentiel par tout non-Canadien prévue au paragraphe 4(1) de la Loi sur l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens ne s’applique pas à une vente résultant d’une promesse d’ achat et de vente conclue par un non-Canadien avant le 1o janvier 2023.

Ce jugement a été rendu dans le cadre d’un projet de développement particulier dont DJC représentait le promoteur. Il s’applique à toutes les situations similaires. Il a été rendu en présence ou avec avis donné au Procureur général du Canada, Procureur général du Québec et la Chambre des notaires du Québec.

Le 27 mars 2023, un certificat de non-appel a été émis à l’égard de ce jugement qui est dès lors définitif et représente l’état du droit


1. L.C. 2022, ch. 10, art. 235.

2. https://liberal.ca/fr/logement/interdire-les-achats-immobiliers-aux-etrangers/.

3. https://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/salle-de-presse/notices/2022/votre-avis-sur-linterdiction-aux-non-canadiens-dacheter-des-biens-immobiliers#:~:text=Dans%20son%20budget%20de%202022,sur%20le%20march%C3%A9%20immobilier%20canadien.

4. https://assets.cmhc-schl.gc.ca/sites/cmhc/media-newsroom/notices/2022/thoughts-ban-non-canadians-buying-real-estate/consultation-paper-draft-limited-distribution-fr.pdf?rev=80ee63de-320a-418a-a23a-e96c8386bd60.

5. https://gazette.gc.ca/rp-pr/p1/2022/2022-08-20/html/commis-fra.html.

6. https://www.gazette.gc.ca/rp-pr/p2/2022/2022-12-21/html/sor-dors250-fra.html

7. 500-17-123410-220

8. Le magazine de la Chambre des notaires du Québec - Vol. 31, n4 - HIVER 2023, p. 11.

9. https://www.fasken.com/fr/knowledge/2022/11/bulletin-canadian-government-to-prohibit-non-canadians-from-purchasing-residential-real-estate.

10. https://mcmillan.ca/fr/perspectives/nouvelles-restrictions-a-la-vente-dimmeubles-survol-de-la-loi-sur-linterdiction-dachat-dimmeubles-residentiels-par-des-non-canadiens/; https://www.dentons.com/en/insights/articles/2022/october/12/canadian-government-enacts-a-two-year.

11. 500-17-123410-220

12. L.R.C. (1985), ch. C-29.

13. 1975 CSC 162, voir p. 359 et ss.; voir également Li v. British Columbia, 2021 BCCA 256.

14. L.R.C. (1985), ch. I-21.

15. Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des loise éd., Les Éditions Thémis, Montréal, 2009, p. 118, no 380, puis p. 121, no 391, puis p. 181, no 596, puis pp. 193-194, no 694.

16. 2005 CSC 73.

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About the Author

Me Clément Lucas est avocat associé au sein du cabinet De Grandpré Jolicoeur s.e.n.c.r.l. (DJC).

Il représente et conseille dans les divers domaines du droit immobilier et notamment en droit de la copropriété divise ou indivise. Il intervient tant devant les différentes instances judiciaires que les instances d’arbitrage qui sont un important volet de pratique en  copropriété.

Me Clément Lucas est également arbitre notamment en copropriété et dans le cadre des arbitrages de plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (GAMM). Il est également accrédité par l’Institut de médiation et d’arbitrage du Québec (IMAQ) et par le Ministère de la justice du Québec (MJQ).

Me Clément Lucas agit occasionnellement comme avocat-conseil dans le cadre de procédures d’appel ou nécessitant une expertise en droit immobilier et spécialement en droit de la copropriété divise ou indivise. Il agit également comme maître de stage et mentor auprès de ses pairs et anime à cet égard les formations internes. Il agit également comme formateur ou présentateur à l’externe pour la magistrature, le public, les membres d’autres ordres professionnels.

À cet égard, il a dispensé de la formation ou effectué des présentations devant certains Tribunaux, l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec, la Chambre d’assurance de dommages, le Barreau du Québec et à présent l’Association du Barreau Canadien. Les formations données portent ou ont porté sur divers sujets et notamment celui de l’assurance en copropriété divise, la médiation et l’arbitrage en copropriété ou encore la planification des grands travaux en copropriété.

Il est l’auteur ou le co-auteur de divers ouvrages et articles de doctrine, dont la chronique mensuelle des Actualités juridiques en copropriété.