Le défunt a mis fin à ses jours en 1996, alors que les demandeurs Jonathan et Marie-Claude étaient âgés de 11 et de 13 ans. Dans un premier temps, il y a lieu de préciser la teneur du document que les demandeurs considèrent comme étant le testament olographe de leur père et dont leur mère, la défenderesse, nie avoir eu connaissance avant 2014. Les parties ont obtenu une photocopie de ce testament par le bureau du coroner et l'original n'est pas produit. Sur la photocopie, les parties reconnaissent toutes l'écriture du défunt et sa signature. Ce sont sept pages tirées d'un agenda dont certains mots sont de lecture très difficile et qui est rédigé et signé de la main du défunt. Ces pages contiennent des messages d'affection aux demandeurs et des dispositions testamentaires, notamment celle-ci : « Prenez note que tous mes biens appartiennent à Marie et Jonathan. Les articles contraires du testament notarié sont nuls et non avenus ». Il y est également indiqué que : « Contrairement à ce que dit mon testament, je souhaite que Jean célèbre une messe signalant mon départ. Je ne veux pas être exposé ni enterré. Je veux que mes cendres soient répandues par mes enfants le long du chemin de la ferme où je suis né ». La défenderesse reconnaît que dans ce document, feu Camille Lacharité veut changer son testament et léguer ses biens à ses enfants, comme elle en témoigne spontanément à l'audience. Ainsi, malgré les moyens de défense annoncés, la validité de la pièce P-6, pour valoir à titre de testament, n'est pas contestée. De la même façon, aucune preuve d'incapacité du défunt, lors de sa rédaction, n'est administrée et la teneur des propos ne permet pas de conclure à une telle incapacité, malgré le contexte dramatique. Le respect des règles de forme propres au testament olographe est en conséquence établi. Rien ne s'oppose à sa vérification.
Les questions en litige à déterminer et soulevées par les parties portent davantage sur la connaissance, réelle ou présumée, par la défenderesse de son existence et le cas échéant, de sa volonté de le dissimuler aux demandeurs, de même que sur le délai écoulé de plus de 10 ans malgré les dispositions des articles 626 et 650 C.c.Q. qui empêcheraient les demandeurs de faire valoir le testament de 1996 à l'encontre du testament antérieur reçu en 1989, dont la mère a entrepris l'exécution en 1996.
Il y a lieu de conclure que la défenderesse et son époux Raymond Turcotte ont connu l'existence du testament olographe dès la découverte du décès par suicide de Lacharité en janvier 1996. D'une part, leur témoignage n'apparaît pas crédible compte tenu du cadre factuel révélé par les pièces produites et le déroulement des événements rapportés par les différents témoins. De plus, Me Rudel-Tessier explique la mission et la procédure d'investigation au bureau du coroner dans de telles circonstances malgré le fait qu'elle n'ait pas été présente ou en poste au moment des événements. Enfin, les témoignages de la défenderesse et de Turcotte sont remplis de trous de mémoire sur les faits qui pourraient être compromettants pour leur thèse, alors qu'ils sont très clairs et précis sur d'autres faits, notamment sur l'aspect financier des sujets abordés lors de leur témoignage. Sur ce dernier plan, la défenderesse reprend son aplomb et démontre beaucoup plus d'insistance et d'assurance sur sa gestion de la succession et des immeubles que lorsqu'il est question du testament. Elle relate alors son insatisfaction et les difficultés de sa relation avec le défunt, pour rappeler le travail effectué sur l'immeuble et le fait qu'il lui a laissé un « héritage empoisonné » selon les termes qu'elle utilise. De plus, les circonstances de la découverte du corps contredisent ou à tout le moins font douter de leur version qu'il n'a pas été question à ce moment des notes laissées par Lacharité. En effet, le rapport des policiers et la documentation remplie ce soir-là démontrent que tant la défenderesse que son époux ont identifié le corps du défunt, que la défenderesse a fourni des informations personnelles à son égard, qu’elle a immédiatement été avisée qu'il s'agissait d'un suicide et que l’on a retrouvé des flacons vides de médicaments et des notes du défunt contenant ses dernières volontés. La durée de la présence du couple sur les lieux avec les policiers est certainement plus longue que celle qu'ils rapportent et correspond davantage à celle dont témoigne Marie-Claude Lacharité, lorsqu'elle explique qu'elle et son frère ont attendu longtemps dans la voiture, soit environ 30 minutes, alors que Turcotte évoque cinq minutes au plus et sa présence sur les lieux tout au plus de 15 minutes. Si cela n'était pas suffisant, le dossier du coroner et les explications de Me Rudel-Tessier contredisent leur version quant à la mission du bureau du coroner de s'assurer que la famille ait toutes les informations disponibles sur les volontés exprimées par les défunts et les circonstances du décès. Peu importe que la défenderesse ait elle-même rédigé le texte apparaissant à la pièce P-7 lors de la visite au bureau du coroner ou si ses paroles ont plutôt été reproduites par la représentante du coroner qu'ils ont rencontrée, ces informations n'ont pu être communiquées que par elle. Il est invraisemblable que la note à contexte suicidaire et testamentaire qui y est rapportée n'ait pas été abordée, d'autant qu'il est indiqué que la défenderesse réclame, sur cette même page où elle reconnaît sa signature, de récupérer l'original. En outre, des faits concordants dans le comportement de la défenderesse et de son époux militent dans le même sens. Ainsi, Turcotte révèle l'existence d'une note à Marie-Claude Lacharité sans toutefois faire état de son caractère testamentaire, mais il affirme qu'il est impossible de l'obtenir des policiers. La défenderesse et Turcotte soutiennent tous deux n'avoir pas pensé à s'enquérir si une telle lettre ou note aurait été laissée par le père malgré le désarroi des enfants durant le deuil du père. De surcroît, après avoir laissé les cendres du défunt dans un crématorium pendant quelques années, la défenderesse décide de les répandre dans le village où il est né. Selon Marie-Claude Lacharité cette décision de la défenderesse est prise pour des raisons financières. Or, en procédant ainsi, la défenderesse rejoint la volonté exprimée par le défunt dans sa dernière note, alors que cela n'apparaissait pas dans le testament de 1989.
La défenderesse reproche à ses enfants de ne pas avoir fait de recherches auparavant pour retrouver cette note et après sa découverte, elle leur reproche aussi de ne pas avoir voulu en discuter avec elle par la suite. Pourtant, après avoir obtenu une copie du bureau du coroner en 2014, elle se plaint de harcèlement de la part de son fils et a recours à la police pour y mettre fin. Il y a lieu de retenir le témoignage des demandeurs qu'en 2014, lorsqu'il a été question des notes, leur mère a soutenu que leur père était incapable au moment de la rédaction de ces notes et qu'elles ne pouvaient être considérées comme un testament. De fait, ce sont deux des moyens de défense annoncés par la défenderesse. Ainsi, la défenderesse et son époux connaissaient l'existence du testament olographe du défunt et ils l'ont sciemment dissimulé aux demandeurs.
En s’appuyant sur les articles 626 et 650 C.c.Q. et sur l’arrêt McLennan (Succession de) c. Québec (Sous-ministre du Revenu) de la Cour d’appel, la défenderesse et son époux indiquent qu’il s’agit d’un délai de déchéance empêchant tout recours après 10 ans. En l'espèce, lors de l'institution des procédures, 18 années se sont écoulées depuis le décès et les demandeurs ignoraient l'existence d'un testament en leur faveur. Or, les faits relatés dans cet arrêt se distinguent de ceux de la présente action, du fait que la défenderesse a volontairement caché l'existence du testament et qu’elle a clairement laissé les demandeurs dans l'ignorance de leurs droits. De plus, il est vrai que la date d'ouverture des droits des demandeurs peut difficilement se situer avant la vérification du testament olographe, mais surtout, dans l'arrêt précité, la Cour d'appel ajoute que l'héritier qui ignore sa qualité, mais à qui on a caché délibérément cette qualité, peut demander réparation. Ainsi, dans l'analyse du recours particulier des demandeurs, l’on ne peut conclure que le législateur ait voulu priver un héritier trompé et protéger celui qui l'a trompé parce qu'il a réussi à dissimuler ses droits pendant plus de 10 ans. Que l'on aborde le recours des demandeurs sous l'angle de la vérification d'un testament olographe et sa reconnaissance par l'octroi des ordonnances recherchées ou sous l'angle d'une action extracontractuelle comme le suggère la Cour d'appel dans cet arrêt, les éléments nécessaires aux deux recours sont établis et les demandeurs ont droit au bénéfice du testament en leur faveur et dont leur mère les a sciemment privés.
En plus de la vérification du testament et que par son exécution, les demandeurs soient déclarés propriétaires de l'immeuble transmis à la défenderesse en 1996, ceux-ci demandent la condamnation de leur mère à leur rembourser les loyers nets de l'immeuble depuis 1996, en plus de dommages de 50 000 $.
Quelques remarques s'imposent sur la preuve faite par les parties à cet égard. L'index aux immeubles démontre qu'après que l'immeuble lui ait été transmis en avril 1996, la défenderesse l'a hypothéqué à trois reprises : en juin 1996, pour 85 000 $. La défenderesse témoigne avoir acquitté, à même ce prêt, les dettes de la succession, certaines rénovations faites à l'immeuble et avoir subvenu aux besoins de la famille ; en janvier 2002, une hypothèque pour un montant de 131 475 $ et en 2005, une hypothèque pour un montant de 172 000 $. Ces trois hypothèques n'apparaissent pas radiées à l'index aux immeubles, mais selon le témoignage de la défenderesse, chacune d'elles devait servir à acquitter la précédente et à dégager des liquidités. La preuve ne démontre pas non plus le solde de l'hypothèque à ce jour.
Quant à la liquidation de la succession effectuée par la défenderesse, elle a été complétée par l'intermédiaire du notaire Côté. L'actif transmis à la défenderesse, après le paiement des dettes, se limite à cet immeuble, dont les demandeurs demandent d'être déclarés propriétaires à titre de légataires universels à charge de l'hypothèque actuelle. Les demandeurs réclament aussi que les revenus nets depuis 1996 leur soient remboursés par la défenderesse, considérée à cet égard comme un possesseur de mauvaise foi au sens de l'article 958 C.c.Q. Pour étayer leur demande, les demandeurs produisent un sommaire des revenus et des dépenses reliés à l'immeuble à compter de 1996 jusqu'en décembre 2015, préparé à partir des déclarations de revenus de la défenderesse. Ils y soustraient les dépenses d'intérêts payées sur les prêts obtenus au motif que la défenderesse a profité des revenus de l'immeuble au fil des années et utilisé ces revenus et les liquidités dégagées par les hypothèques pour investir dans d'autres immeubles lui appartenant. Les demandeurs réclament que cette somme porte intérêt à compter du présent jugement.
Ayant dissimulé le testament, source des droits des demandeurs, la défenderesse doit être considérée comme un possesseur de mauvaise foi. À défaut d'autres preuves, la défenderesse ayant choisi de se désister de sa demande reconventionnelle où elle réclamait 494 600 $, pour les dépenses de rénovations et d'entretien de l'immeuble, il apparaît équitable de retenir, comme frais engagés pour la gestion de l'immeuble, ceux qu'elle a fournis pour cet immeuble à sa déclaration de revenus, année après année à compter de 1996. Toutefois, les revenus de l'année 1996 doivent être soustraits pour tenir compte des frais reliés à la liquidation de la succession qui n'auraient pas autrement été acquittés, c'est-à-dire une somme de 7 430 $, ce qui laisse une somme de 291 179 $, qu'elle devra rembourser à titre de possesseur de mauvaise foi.
Jonathan et Marie-Claude Lacharité réclament 50 000 $ pour leurs troubles et inconvénients qu'ils demandent au tribunal d'arbitrer pour compenser le préjudice de ne pas avoir eu accès aux dernières volontés de leur père pendant une période où ils en auraient eu grandement besoin. Or, cette demande relève davantage du préjudice moral qui aurait nécessité la présence d'un expert. Dans ces circonstances et en l'absence de toute autre preuve, cette demande doit être rejetée.
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