Les deux demandeurs étudient à l’Université McGill, sur le campus de laquelle des manifestants « pro-Palestine » se sont installés dans des tentes depuis le 27 avril 2024. Ils ont déposé une demande en injonction provisoire, interlocutoire et permanente contre les cinq regroupements défendeurs, demande qu’ils qualifient d’« injonction quia timet », cette expression latine signifiant « parce qu’il/elle craint », un tel remède visant à empêcher que surviennent des gestes fautifs imminents ou que se concrétisent des menaces que de tels gestes soient posés. Le tribunal dispose aujourd’hui de la demande au stade provisoire.
Les critères pour l’émission d’une injonction provisoire sont bien connus. Il faut que la partie qui sollicite l’injonction démontre une urgence à prononcer les ordonnances souhaitées, une apparence de droit et un risque de préjudice sérieux ou irréparable. Il faut aussi qu’elle démontre que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur.
Les demandeurs ne nous convainquent pas qu’il y a urgence à rendre les deux ordonnances qu’ils sollicitent. L’urgence alléguée, soit la fin de la période d’examens, n’est pas suffisante, puisqu’aucune déclaration sous serment ne démontre l’impossibilité pour les étudiants de l’Université McGill d’avoir accès aux lieux de la tenue de leurs examens ni que ces examens ne pourront être tenus. Rien non plus ne démontre que des examens spécifiques seront manqués ou, encore, qu’ils ont été manqués depuis le 27 avril. Les craintes de blocage de l’accès à des édifices sont insuffisantes également, car elles découlent de faits liés à d’autres manifestations qui ont eu lieu antérieurement. En fait, rien, à ce stade-ci, n’indique que les manifestants ont l’intention de faire manquer des examens aux étudiants ou de bloquer leur accès aux édifices de l’université et de les priver de passer leurs examens. Il est vrai que les manifestants occupent illégalement les lieux en y campant. Toutefois, contrairement aux prétentions des demandeurs, McGill a été proactive quant à ce campement. Elle a appliqué le processus qu’elle a prévu pour ce genre d’incidents et a tenté de négocier une entente pour un démantèlement progressif du campement. Vu le défaut d’en arriver à une entente, elle a donné des avertissements aux campeurs. Finalement, en dernier recours, elle a fait appel aux policiers. Toutes ces mesures ont été appliquées depuis le 27 avril, soit en cinq jours. Nous estimons donc qu’il est pour l’instant prématuré de conclure que la situation ne se résoudra pas adéquatement et de façon non violente, ce qu’une ordonnance judiciaire ne favoriserait pas nécessairement.
Puisque tous les critères mentionnés précédemment doivent être remplis pour que les ordonnances sollicitées soient prononcées par le tribunal, l’absence de preuve d’une urgence mène au rejet de la demande au stade provisoire.
Malgré cette conclusion, le tribunal analysera aussi les autres critères pertinents.
L’apparence de droit à l’ordonnance cherchant à bannir les manifestations sans égard à leur contenu, à moins de 100 mètres des entrées et sorties des édifices de l’Université McGill, est très douteuse. Telle ordonnance est bien plus large et bien plus restrictive des libertés fondamentales que sont la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique que le seul démantèlement du campement. Les universités sont des lieux particuliers. Vu la nature de leur mission, il est bien possible que, à l’occasion d’une analyse plus en profondeur effectuée à une autre étape, il faille conclure que les libertés d’expression et de réunion pacifique doivent s’y voir donner un poids important. Telle ordonnance serait de plus contraire aux politiques de l’Université McGill, qui reconnaît elle-même l’importance de ces libertés en son sein. Par ailleurs, des questions sérieuses se posent quant à certains des éléments de l’autre ordonnance sollicitée, qui vise celle-là à ce qu’il soit « ordonné aux défendeurs à leurs agents, officiers, dirigeants, employés, mandataires, etc. ou à toute personne ayant connaissance de l’ordonnance ou de toute autre personne présente sur les lieux de s’abstenir de poser des actes de nuisance publique, de troubler la paix, ou par leur conduite de tenter d’intimider, effrayer, menacer, créer un environnement hostile, harceler ou empêcher toute personne d’avoir un accès sécuritaire aux 154 édifices de l’Université McGill, et ce, à l’intérieur d’une distance de 100 mètres des entrées et sorties de ces édifices ».
Ensuite, la preuve présentée par les demandeurs est bien fragile quant à leur préjudice irréparable en lien avec plusieurs éléments des ordonnances demandées. Enfin, tant en ce qui concerne la première ordonnance demandée que la deuxième, la prépondérance des inconvénients milite de façon générale en faveur des manifestants.
En conclusion, au stade provisoire et dans l’état actuel de la preuve, la demande en injonction est rejetée faute de démonstration d’une urgence. Il vaut cependant la peine de rappeler à tous que, si les circonstances n’évoluaient pas dans le bon sens ou se détérioraient, une nouvelle demande pourra être présentée au tribunal par les demandeurs ou même par McGill. Le tribunal se permet aussi d’inviter les défendeurs et les manifestants à revoir les mots utilisés lors des manifestations et à se dispenser d’utiliser ceux susceptibles d’être perçus, à tort ou à raison, comme des appels à la violence ou comme des propos antisémites.
Les demandeurs nous ont aussi présenté une demande de mise sous scellés des déclarations sous serment qu’ils ont produites. Les allégations au dossier sont toutefois insuffisantes pour leur accorder cette demande suivant les critères énoncés dans la jurisprudence. Elle est conséquemment rejetée.