La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse réclame des dommages-intérêts totalisant 110 505 $ au couple défendeur, à qui elle reproche d’avoir porté atteinte aux droits de
Mme A. et de M. D. (les victimes) à la protection contre toute forme d’exploitation et à la sauvegarde de leur dignité, sans distinction ou exclusion fondées sur leur handicap, le tout en contravention des art. 4, 10 et 48 de la Charte québécoise.
L’affaire repose sur des allégations d’exploitation financière, psychologique, physique et sexuelle d’un couple de personnes handicapées intellectuellement, par un couple d’amis, pendant plus de trois ans. Les versions des faits des protagonistes sont diamétralement opposées et la délicate question de l’évaluation de leur crédibilité s’inscrit dans un contexte où trois des acteurs principaux de l’histoire souffrent de difficultés de compréhension et d’expression. Par ailleurs, l’affaire a ceci de particulier qu’il s’agit d’un deuxième procès, puisqu’un premier jugement a été rendu par défaut contre les défendeurs en mai 2020, puis rétracté en novembre 2020. Les parties ont versé au présent dossier la transcription de la preuve recueillie au premier procès, de sorte que le Tribunal n’a pas observé les victimes témoigner en chef.
Les défendeurs ne contestent pas que les victimes se qualifient de personnes handicapées au sens des art. 10 et 48 de la Charte ni qu’elles sont des personnes vulnérables. Mme A. souffre de dysphasie sévère alors que M. D. est atteint de déficience intellectuelle légère. Par contre, ils nient les avoir exploités. Ils soutiennent qu’ils leur ont seulement apporté aide et conseils. Le Tribunal n’accorde aucune crédibilité aux défendeurs. Leurs témoignages doivent être écartés parce que flous et empreints de contradictions majeures sur des faits importants, et parce que leurs tentatives vaines de les expliquer démontrent un manque de sincérité, d’honnêteté, et de bonne foi. Ajoutons que le défendeur Vibert esquive, se ferme et se montre même agressif. Le Tribunal retient les témoignages des victimes, qui sont vraisemblables, cohérents, sans contradictions importantes, sincères et sobres. Ils sont crédibles et fiables. Et ajoutons que la version des faits des victimes est corroborée par une intervenante qui travaille avec Mme A. et qui connaît aussi M. D., ainsi que par une travailleuse du CLSC.
Ce que nous retenons de la preuve, c’est que nous sommes face à un cas patent d’exploitation de personnes handicapées. En prenant complètement et exclusivement en charge la gestion de l’argent des victimes, en payant leurs comptes, en leur remettant un montant ridicule d’argent de poche par semaine, en effectuant l’épicerie avec eux et en triant ensuite les denrées achetées collectivement pour ne leur laisser que le minimum, en envahissant tout le champ de leur vie sociale et de leurs loisirs, les défendeurs se sont placés en position de force par rapport aux victimes, alors qu’ils admettent qu’il s’agit de personnes handicapées, vulnérables et sans défense. Ils ont mis à profit cette position de force pour piger dans leurs comptes en banque, les faire travailler sans rémunération et, dans le cas de Vibert, pour obtenir des faveurs sexuelles de Mme A. Étant donné leur vulnérabilité, les victimes n’étaient pas en mesure de demander une rémunération, de poser des questions et d’exiger des réponses sur l’utilisation de leur argent et sur la gestion de leurs finances, ou de faire cesser les agressions sexuelles de Vibert.
En agissant comme ils l’ont fait, les défendeurs ont aussi porté atteinte au droit des victimes à la sauvegarde de leur dignité. Mme A. travaille à temps plein dans un organisme voué à l’intégration sociale des personnes handicapées et une intervenante s’est rendue compte à un moment donné qu’elle apportait peu de nourriture pour dîner, parfois rien, et que, souvent, elle n’avait même pas un dollar sur elle. Elle a appris qu’elle n’avait rien dans son réfrigérateur. Quant à M.D., qui fréquentait le centre exploité par l’organisme, l’intervenante a constaté qu’il était maigre, qu’il portait des vêtements beaucoup trop petits, qu’il présentait une hygiène négligée et qu’il fumait des mégots de cigarette trouvés par terre. C’est elle qui a alerté le CLSC. Les victimes étaient sans défense face aux abus des défendeurs. Elles craignaient de briser leur relation « amicale » et sociale avec eux si elles protestaient. Cet enfermement dans cette relation toxique les a atteintes dans leur dignité, les a privées du respect de leur qualité intrinsèque d’être humain.
La Commission réclame tout d’abord aux défendeurs le remboursement des achats qu’ils ont effectués à leur profit avec les cartes bancaires des victimes. Cette réclamation est accueillie : les défendeurs sont solidairement condamnés à payer 486 $ à Mme A. et 100 $ à M. D. Ces derniers, qui habitaient ensemble dans un logement loué, ont droit aussi au remboursement du loyer du mois d’octobre 2014, que les défendeurs n’ont jamais versé à leur locateur. Finalement, la Commission fait la preuve de retraits injustifiés dans les comptes en banque des victimes. Ces retraits totalisent 15 210 $ dans le cas de Mme A. et 3 234 $ dans le cas de M. D. Ces sommes devront aussi leur être remboursées.
Le Tribunal accorde aussi à chacune des victimes un montant de 8 000 $ pour compenser le préjudice moral découlant de l’exploitation financière et psychologique que leur ont fait subir les défendeurs sur une période de près de quatre ans. Cette condamnation est solidaire. Le défendeur Vibert devra pour sa part payer en outre à Mme A. un montant de 30 000 $ pour compenser le préjudice moral résultant de l’exploitation de nature sexuelle qu’il lui a fait subir pendant environ cinq mois.
L’atteinte aux droits des victimes était ici manifestement intentionnelle. Les défendeurs ont exploité celles-ci sans vergogne. Il importe de punir, de prévenir et de dissuader ce genre de comportement. Le Tribunal note que la situation patrimoniale des défendeurs s’est considérablement améliorée en juillet 2018, alors qu’ils ont gagné 100 000 $ à la loterie. La défenderesse est condamnée à payer des dommages-intérêts punitifs de 3 000 $ à chacune des victimes. Quant à Vibert, il devra payer 10 000 $ à Mme A. et 5 000 à M. D.