
Le sort du litige repose sur une preuve contradictoire où la crédibilité des parties et la fiabilité de leurs témoignages sont déterminantes. La demanderesse soutient avoir été agressée sexuellement par le défendeur lors d'une soirée chez elle, près de deux ans après leur séparation, il y a de ça plus de 20 ans. Elle rapporte avec honnêteté les évènements survenus sans chercher à embellir sa position, reconnaissant même certains éléments pouvant lui être préjudiciables. Son témoignage est détaillé et rempli de sobriété. Elle décrit avec précision ce qui s'est passé et ce qu'elle a ressenti. De plus, la preuve offerte corrobore divers éléments importants de sa version des faits que ce soit par l'entremise de témoins ou d'observations et même par le biais de son journal intime qu'elle a produit sans rature pour la période visée, sans enlever les parties qui pourraient nuire à sa position. Son témoignage est également corroboré par l’analyse de ses bulletins scolaires, ses CV et ses rapports médicaux.
Le défendeur, pour sa part, nie vigoureusement avoir agressé sexuellement la demanderesse, se targuant qu’aucune accusation criminelle n’ait été portée contre lui. Or, le fait que la plainte criminelle n’ait pas donné de suite ne constitue pas en soi un critère permettant de conclure que l’agression sexuelle n’a pas eu lieu. Le témoignage du défendeur se veut une dénégation totale de l'agression et de la version des faits de la demanderesse. Cependant, il contient certaines contradictions qui entachent sa crédibilité, comme le fait qu'il nie avoir revu la demanderesse après leur rupture, alors que la preuve testimoniale, et même matérielle, montre le contraire.
Il est également accordé une grande valeur probante à l'expertise produite en demande par une psychologue spécialisée dans les traumas. Celle-ci conclut que la demanderesse présente tous les critères d'un trouble de stress post-traumatique (TSPT) dont le déclencheur est l'agression sexuelle survenue. Ses symptômes et son tableau clinique sont typiques des victimes de viol. La principale différence entre les opinions des experts est que celle entendue en demande retient un lien exclusif entre l’évènement et les symptômes apparus, tandis que celui qui a témoigné en défense affirme qu'il est hasardeux d’établir un tel lien direct exclusif, alors qu'au moins deux autres mésaventures vécues par la demanderesse peuvent avoir contribué à ses dommages. Cette dernière opinion est écartée, car rien ne permet de croire que ces autres évènements auraient pu engendrer l'état de la demanderesse. Celle-ci ne vit pas de réaction d’évitement et elle n’a pas développé de symptôme ni de reviviscence en lien avec ces évènements. L'expert ne procède à aucune étude de l’impact potentiel de ces évènements sur les difficultés rencontrées. Au contraire, les symptômes qu’il relève lui-même sont liés à l'agression. Les tests psychométriques, les observations cliniques et les rapports de divers intervenants du domaine de la santé mettent en lumière la présence de difficultés post-traumatiques sévères et incapacitantes, incluant un trouble de stress post-traumatique d’intensité sévère et chronique, déclenchée par l'agression sexuelle subie.
Considérant l'ensemble de la preuve, force est de conclure que la demanderesse a démontré selon la prépondérance des probabilités que le défendeur l'a agressée sexuellement et qu'il a ainsi engagé sa responsabilité.
Le lendemain de l'agression, la demanderesse s'est confiée à deux amis qui ne l'ont pas cru. À partir de ce montant, elle n'a plus parlé des évènements et a refoulé ses sentiments pour tenter d'oublier et se protéger, se culpabilisant beaucoup pour ce qui est survenu. Son journal intime est devenu l’exutoire de sa honte et de son sentiment de culpabilité. Elle a ressenti des émotions intenses de peur et d’impuissance lors de l'agression et le fait d’avoir craint pour sa vie ont activé des phénomènes tels un état de stress aigu incluant la dissociation, l’hypervigilance, l’hyperactivation neurovégétative, un état d’alerte et l’évitement sexuel. Elle s'est isolée de ses amis et s'est éloignée de sa famille. Elle s'est investie dans le travail et les études pendant plusieurs années. Ses relations avec les hommes sont devenues insatisfaisantes, ne ressentant plus de désir et ayant de la difficulté à faire confiance et à tomber amoureuse. Elle a éprouvé des difficultés de fonctionnement qui se sont illustrées notamment par l’anxiété, l’isolement, des symptômes dépressifs et de la difficulté dans ses relations amoureuses, ce qui l'a mené à un arrêt de travail complet près de 20 ans après les faits. En effet, c'est à la suite de la montée du mouvement #MoiAussi que des réactions post-agression sévères, envahissantes et incapacitantes sont apparues et qu'elle a réalisé qu'elle avait été violée. Malgré ses efforts de refoulement pendant plus de 20 ans, les images, les sensations et le traumatisme ont ressurgi et ont mené à un diagnostic de dépression majeure, ce qui l'a obligée à se mettre en arrêt de travail et à consulter plusieurs professionnels de la santé. Bien que depuis l’évènement le fonctionnement global de la demanderesse ait pu être variable, elle a toujours été affectée par l'agression de différentes manières. Sa perte de jouissance de la vie pendant 20 ans est significative. Vu la gravité de l'agression subie alors que la demanderesse n’était âgée que de 19 ans et de ses séquelles à long terme qui ont affecté toutes les sphères de sa vie, une somme de 65 000 $ lui est accordée pour le préjudice moral subi. Dans un objectif de dissuasion et de prévention, elle a également droit à un montant de 10 000 $ en dommages-intérêts punitifs, vu le caractère manifestement intentionnel du geste posé et la gravité de la faute. Enfin, la différence entre sa perte salariale et les indemnités de remplacement de revenus qu'elle a reçues lui donne droit à 13 650 $ pour perte de revenus.
Du reste, la demande reconventionnelle du défendeur, dans laquelle il allègue une poursuite abusive et l'atteinte à sa réputation en raison de propos diffamatoires, est rejetée. Les messages textes envoyés par la demanderesse à trois personnes de l'entourage du défendeur témoignent de son besoin d’être crue, dans une démarche de réparation intérieure, sans intention de nuire. Finalement, le recours entrepris ne constitue aucunement un abus de procédure, la demande étant d'ailleurs partiellement accueillie et la demanderesse n'ayant pas eu de comportement vexatoire et n'ayant aucunement abusé de son droit d'ester en justice.