Skip to content

La démolition n’est pas un usage au sens de la garantie légale de qualité

Par Me Bryan-Éric Lane, LANE, avocats et conseillers d’affaires inc.
La démolition n’est pas un usage au sens de la garantie légale de qualité

L’une des quatre conditions prévues par l’article 1726 C.c.Q. pour être en présence d’un vice caché couvert par la garantie légale est celle de la gravité (également appelée le déficit d’usage), c’est-à-dire que le vice doit être suffisamment grave pour rendre le bien impropre à l’usage auquel il était destiné. Toutefois, lorsqu’un acheteur achète un immeuble dans le but de le démolir et qu’il découvre avant sa démolition que l’immeuble en question est affecté d’un vice, la démolition prévue de l’immeuble affecté d’un vice caché portera-t-elle obstacle à l’application de la garantie légale de qualité ?

La Cour supérieure, dans l’affaire Immeubles Jacques Robitaille inc. c. Province canadienne des religieux de Saint-Vincent-de-Paul (EYB 2005-97879 – Texte intégral | Fiche quantum) est venue répondre à cette question par la négative.

Dans cette affaire, l’acheteur Immeubles Jacques Robitaille inc. a fait l’acquisition d’un immeuble vacant et désaffecté de son vendeur, une congrégation religieuse, dans le but de le transformer en hôtel, ce qui impliquait la démolition de toute la partie ouest de l’immeuble. À la suite de la vente, l’acheteur a découvert de l’amiante dans l’immeuble et réclamé une somme de plus de 480 000 $ à son vendeur pour les travaux d’enlèvement de l’amiante.

Dans un premier temps, la Cour, sous la plume de l’honorable Dominique Bélanger, j.c.s., nous rappelle ce qui suit en ce qui concerne la seule présence d’amiante dans un immeuble à la lueur des règles relatives à la garantie légale de qualité :

[40] D’entrée de jeu, il est utile de dire que la demanderesse ne prétend pas, pas plus qu’elle n’en a apporté de preuve, que la présence d’amiante risque d’engendrer un préjudice pour la santé des occupants de l’immeuble. Elle ne soulève pas un déficit d’usage sécuritaire. La demanderesse ne prétend pas non plus que la présence d’amiante contrevient à quelques lois ou règlements applicables.
[41] Les parties s’entendent sur le fait que la présence d'amiante, comme telle, ne pose pas problème si on n'y touche pas et s'il est enfoui dans les matériaux. Le problème survient lorsque l'on veut démolir ou rénover un bâtiment, car les coûts pour l'enlever et en disposer sont très élevés. L’amiante de type crocidolite ou amosite est proscrit, mais non l’amiante de type chrysotile.
[...]
[63] Bien avant d’examiner si l’on retrouve les autres conditions pour qu’un vice soit considéré comme caché, il y a lieu de s’assurer que la présence d’amiante crée un déficit d’usage du bâtiment. Posée par Zérah, la question serait : la présence d’amiante constitue-t-elle un fait destructeur de l’usage ?
[64] La présence d’amiante comme telle n’est pas un fait destructeur de l’usage. Il est admis que si l’on ne procède pas à des travaux de démolition, la présence d’amiante ne cause aucun déficit d’usage.
[65] Le professeur Jobin estime quant à lui que l’utilité du bien vendu peut être compromise de trois façons et qu'il existe donc trois principales formes de vice.
[66] La première forme de vice, la défectuosité matérielle, survient lorsque le bien livré est détérioré ou brisé. La deuxième forme de vice, la défectuosité fonctionnelle, survient lorsque le bien est totalement ou partiellement incapable de servir à son usage normal. Finalement, la défectuosité conventionnelle survient quand le bien est incapable de servir à l'usage spécifique que les parties avaient en vue lors de la vente.
[67] La preuve ne démontre pas que l'immeuble souffre d'une défectuosité soit matérielle, soit fonctionnelle ou encore conventionnelle. Pour faire jouer la défectuosité conventionnelle en cas de démolition ou réparation, il aurait fallu qu’il y ait fausse déclaration du vendeur eût égard aux coûts ou aux méthodes de démolition. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.

La Cour nous rappelle dans un premier temps que la seule présence d’amiante ne constitue pas un vice couvert par la garantie légale de qualité.

Poursuivant son analyse, la Cour statue également que la démolition d’un immeuble ne constitue pas un usage protégé par la garantie légale de qualité :

« Il apparaît incongru d’établir que la démolition d’un immeuble constitue un usage. La démolition est justement le fait de ne pas vouloir faire usage du bien ou d’une partie du bien tel qu’il se trouve. Ce serait détourner la garantie conçue pour assurer à l’acheteur l’usage du bien acquis, que de considérer qu’il doit aussi garantir qu’une démolition ne coûtera pas plus cher que prévue. »

[68] Ceci étant décidé, doit-on tenir compte du fait que l’acheteur voulait faire usage de l’immeuble en le démolissant en grande partie ? En d’autres mots, la démolition peut-elle constituer un usage ?
[69] Notre dossier a ceci de particulier que l'acheteur devait procéder à une rénovation complète de l'immeuble. Bien que monsieur Robitaille n’ait pas spécifiquement représenté vouloir transformer l’immeuble en hôtel, l’agent immobilier a bien saisi ses intentions.
[70] Mais il y a plus. On peut aussi penser que peu importe l'acheteur, cet immeuble était destiné à être transformé et en conséquence, à subir de réels changements. Dans cette optique, la démolition était inévitable et prévisible, étant donné tous les témoignages relatifs à la désuétude de l'immeuble. Le Tribunal retiendra donc, aux fins de la discussion, qu’un acheteur normal et raisonnable aurait procédé à l’acquisition de l’immeuble avec l’intention d’en démolir certaines parties contenant de l’amiante.
[71] Il apparaît incongru d’établir que la démolition d’un immeuble constitue un usage. La démolition est justement le fait de ne pas vouloir faire usage du bien ou d’une partie du bien tel qu’il se trouve. Ce serait détourner la garantie conçue pour assurer à l’acheteur l’usage du bien acquis, que de considérer qu’il doit aussi garantir qu’une démolition ne coûtera pas plus cher que prévue. Cette garantie, qui aurait pu être donnée dans le contrat, ne s’y retrouve pas.

« Ainsi, l’usage protégé par la garantie légale de qualité est l’usage physique du bien, lequel doit être compromis par le vice. Dans un contexte où la présence d’amiante ne constitue pas un élément destructeur de l’usage, on ne peut parler de vice caché, et encore moins dans un contexte où l’immeuble en question composé d’amiante était destiné à être démoli en grande partie par l’acheteur comme c’était le cas dans cette affaire. »

Ainsi, l’usage protégé par la garantie légale de qualité est l’usage physique du bien, lequel doit être compromis par le vice. Dans un contexte où la présence d’amiante ne constitue pas un élément destructeur de l’usage, on ne peut parler de vice caché, et encore moins dans un contexte où l’immeuble en question composé d’amiante était destiné à être démoli en grande partie par l’acheteur comme c’était le cas dans cette affaire.

Essentiellement, la présence d’amiante entraînait pour l’acheteur l’imposition de contraintes et de normes statutaires et/ou réglementaires au niveau de son enlèvement, augmentant ainsi les coûts de démolition. De telles contraintes, que l’auteur en droit Jeffrey Edwards appelle déficit d’usage d’ordre juridique, ne sont pas couvertes par la garantie légale de qualité, celle-ci se résumant à tout fait nuisant à l’usage physique du bien.

Cette décision nous permet ainsi d’affirmer que la présence d’un vice affectant un immeuble destiné à être démoli n’est pas en principe couvert par la garantie légale de qualité, puisque l’usage de l’immeuble, destiné â être démoli, n’est aucunement compromis par la présence du vice. Au surplus, la garantie légale de qualité ne couvre pas non plus le fait qu’une démolition/transformation anticipée d’un immeuble puisse coûter plus cher que prévu à l’acheteur.

Si on analyse cette décision sous l’angle de la garantie légale de l’article 1725 C.c.Q. relative aux violations de droit public qui grèvent le bien au moment de la vente, la responsabilité du vendeur n’aurait pas pu être retenue, puisque la présence d’amiante ne contrevenait à aucune loi ou aucun règlement applicable.

Toutefois, et dans l’hypothèse où le vendeur aurait fait des représentations à son acheteur avant la vente selon lesquelles l’immeuble n’était pas composé d’amiante, ce qui se serait alors révélé erroné, la responsabilité du vendeur aurait alors pu être retenue sous l’angle de la garantie de délivrance en vertu de l’article 1716 C.c.Q., ou encore possiblement sous celui des règles générales des contrats (1407 C.c.Q.).

Il importe de préciser que cette décision a été maintenue par la Cour d’appel (EYB 2007-124025 – Texte intégral | Fiche quantum).

You May Also Like
© Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Mise en garde et avis d’exonération de responsabilité.

About the Author

Diplômé en droit de l'Université de Sherbrooke, Me Bryan-Éric Lane oeuvre au sein de la firme LANE, avocats et conseillers d'affaires inc., qu'il a fondée en 2006. En parallèle à sa pratique en droit des affaires, Me Lane se spécialise en droit immobilier, et plus particulièrement en matière de recours pour vices cachés, domaine dans lequel il a développé avec les années une solide expertise. Me Lane a donné de nombreuses conférences en matière de recours pour vices cachés. Il a également collaboré avec les Éditions Yvon Blais au développement de l'outil de recherche La référence Quantum – Vices cachés.