De nombreux bâtiments résidentiels ont été construits par des propriétaires pour eux-mêmes. C’est ce qu’on appelle des autoconstructeurs. Plus particulièrement, l’autoconstructeur réalisera lui-même certains travaux et/ou en fera réaliser par des entrepreneurs spécialisés sous son contrôle et sa supervision. L’autoconstructeur jouera ainsi le rôle de l’entrepreneur général, en ce qu’il sera le maître d’oeuvre des travaux.
Le vendeur d’un immeuble qui a construit/fait construire lui-même sa résidence sera-t-il assujetti à une responsabilité particulière si jamais son acheteur venait à découvrir des vices cachés dans cet immeuble ?
L’article 1730 du Code civil du Québec prévoit notamment que le fabricant est tenu à la responsabilité du vendeur.
Dans l’arrêt de principe Kravitz (EYB 1979-147762 – Texte intégral), la Cour suprême est venue statuer que le fabricant d’un bien est présumé connaître ce vice et qu’il doit, à titre de fabricant du bien, porter l’ultime responsabilité de son impéritie, actuelle ou présumée.
La Cour suprême, dans l’arrêt ABB c. Domtar inc. (EYB 2007-126361 – Texte intégral), est venue nous rappeler que le fabricant est considéré en droit civil québécois comme l’expert ultime à l’égard du bien, puisqu’il contrôle la main-d’oeuvre ainsi que les matériaux utilisés dans la production de ce bien. Plus particulièrement, la Cour suprême nous a rappelé dans cet arrêt de 2007 que le fabricant est assujetti à la présomption de connaissance la plus rigoureuse et qu’il est débiteur de l’obligation la plus exigeante de dénoncer les vices cachés, étant entendu que cette présomption est réfragable et ne peut être repoussée que dans des cas bien précis.
« En matière de vices cachés, l’autoconstructeur est assimilé à un fabricant au sens de l’article 1730 du Code civil du Québec, faisant ainsi peser sur l’autoconstructeur la présomption de connaissance des vices cachés pouvant affecter l’immeuble vendu par ce dernier. »
En matière de vices cachés, l’autoconstructeur est assimilé à un fabricant au sens de l’article 1730 du Code civil du Québec, faisant ainsi peser sur l’autoconstructeur la présomption de connaissance des vices cachés pouvant affecter l’immeuble vendu par ce dernier.
Dans la récente décision Brès c. Giraud (EYB 2016-274373 – Texte intégral | Fiche quantum) de novembre 2016, la Cour supérieure vient réitérer ce principe. Plus particulièrement, dans cette affaire, le vendeur avait effectué des travaux d’agrandissement et de rénovation d’un bâtiment datant de plus de 35 ans à titre d’autoconstructeur et de maître d’oeuvre. La Cour conclut que le vendeur est présumé connaître tous les vices se rapportant aux travaux de rénovation et d’agrandissement qu’il a effectués :
[38] Le Tribunal conclut que M. Giraud a agi comme autoconstructeur et maître d’oeuvre lors des travaux de rénovation et d’agrandissement. Il est donc présumé connaître les vices qui résultent des travaux qu’il a lui-même réalisé ou fait réaliser sous sa supervision. Les acheteurs admettent que cette présomption de connaissance ne saurait toutefois s’appliquer aux vices reliés à la ventilation du toit, à la contamination fongique et aux installations septiques.
Il importe de souligner qu’à partir du moment où une personne se lance dans un projet d’autoconstruction pour la construction d’un bâtiment, cette personne ne sera plus considérée comme un simple vendeur : elle devra assumer les conséquences découlant du fait qu’elle est le constructeur de l’immeuble, et ce, même si ses compétences/connaissances sont très limitées ou encore absentes.
Dans la décision Lefebvre c. Rousseau (EYB 2014-241749 – Texte intégral | Fiche quantum) de 2014, l’honorable Steve Reimnitz, j.c.s. nous rappelle que celui qui se lance dans un projet d’autoconstruction et qui n’a pas les connaissances ou compétences requises doit assumer les conséquences du fait qu’il est le fabricant du bâtiment et qu’il est présumé connaître les vices affectant le bien qu’il a construit :
[239] Outre madame qui est courtier en immeuble, monsieur Rousseau a agi comme autoconstructeur. Tel qu’indiqué dans la preuve, il a engagé certains sous-traitants, mais il agissait comme maître d’oeuvre de la construction. La jurisprudence a toujours considéré ce fait comme important dans l’analyse de la responsabilité du vendeur constructeur.
[240] Le tribunal retient de la preuve que le défendeur Rousseau était de bonne foi certes, mais n’avait pas la compétence requise pour agir comme autoconstructeur. Il aurait été difficile qu’il en soit autrement, il en était à sa première construction. Il n’avait pas acquis de compétence par le nombre de maisons qu’il avait construites auparavant, il n’avait pas davantage acquis de compétence par des cours qu’il aurait pu suivre dans ce domaine.
[241] Ses connaissances étaient très limitées et il s’est engagé dans un domaine qu’il ne connaissait pas.
[242] Le résultat a été très décevant. Cette absence de compétence doit être considérée lorsque vient le temps de déterminer l’application de la garantie de défaut et de son caractère occulte ou caché.
[243] Sur les conséquences juridiques à apporter au fait que le défendeur Rousseau était aussi constructeur, le tribunal se réfère à l’ouvrage de Pierre-Gabriel Jobin, La vente, au paragraphe 165 :
« Vice présumé connu du vendeur. Rejet de la présomption. Fabricant. À ce sujet, on songe immédiatement aux pages célèbres de l’arrêt Kravitz sur l’impossibilité pour le fabricant et tout autre vendeur professionnel spécialisé de repousser la présomption de connaissance. Toutefois, d’après le texte même du jugement de la Cour Suprême, cette partie de sa décision est un obiter. On doit donc retourner à un autre arrêt classique de la Cour suprême, Samson et Filion, qui admet la possibilité de repousser la présomption ; cet arrêt n’a jamais été modifié par une décision subséquente de cette même cour et il a été suivi par la Cour d’appel. La présomption n’est donc pas irréfragable, et dans certaines circonstances le vendeur peut la repousser. À ce sujet, il faut cependant distinguer le cas du fabricant et celui des autres vendeurs professionnels spécialisés.
Premièrement, en principe le fabricant ou constructeur ne peut pas repousser la présomption de connaissance, car son ignorance du vice constitue une faute en soi. (À l’appui de cette affirmation l’auteur donne en référence de bas de page plusieurs décisions : Samson et Fillion c. Davie Shipbuilding, 1924 CanLII 57 (SCC), [1925] R.C.S. 202, M. le juge Anglin page 210 ; Blandino c. Colagiacorno, 1988 CanLII 1193 (QC C.A.), [1989] R.D.I. 148 ; Cicione c. Habitations Clobert inc., [1990] R.J.Q. 2022 ; Oakwook Construction inc c. Ratthé, [1993] R.D.I. 181 ; Concasseur de Beauce inc. c. W.S. Tyler Canada, [1997] R.R.A. 1075 ; Goldstein, Observation sur la vente). »
(Le tribunal souligne)
[244] Il faut donc considérer que le vendeur qui est en même temps constructeur du bien ne peut repousser la présomption vu que son ignorance du défaut constitue en soi une faute. Le constructeur qui a construit un bien affecté d’un défaut commet une faute. Le fait qu’il déclare ignorer le défaut comme l'a fait le défendeur ne peut constituer une manière de repousser la présomption. Sinon, il deviendrait trop facile pour tout constructeur de se mettre à l’abri de leurs responsabilités par cette simple affirmation.
[245] Comme l’indique l’auteur Jobin, il est aussi possible de repousser cette présomption en soutenant la faute d’un tiers, par exemple celui qui a eu le bien et l’a mal conservé ou a agi de manière à développer ou aggraver le risque qui existait initialement. Cette défense ne peut être soutenue dans le présent dossier.
[246] Il peut aussi démontrer qu’au moment où le bien a cessé d’être sous son contrôle (délivrance à un grossiste par exemple), le vice n’existait pas parce qu’il résulte d’une conservation inadéquate ou autre cause subséquente attribuable à un tiers. Telle preuve n’existe pas dans le dossier.
[247] En l’instance, ce fardeau qui appartenait au constructeur vendeur n’a jamais été repoussé.
[248] Un constructeur vendeur doit assumer les conséquences de fait qu’il est constructeur de l’immeuble. Il n’est pas simple vendeur. Si cette construction a été mal faite, il doit en assumer les conséquences.
Essentiellement, l’impact de la présomption de connaissance des vices par l’autoconstructeur, si cette présomption n’est pas réfutée par ce dernier, implique son assujettissement à devoir assumer, outre la restitution du prix, tous les dommages-intérêts subis par l’acheteur en vertu de l’article 1728 du Code civil du Québec, sans que l’acheteur ait à démontrer que le vendeur autoconstructeur connaissait le vice ou ne pouvait l’ignorer.
Le fabricant n’est jamais admis à invoquer comme seul moyen de défense sa seule ignorance du vice. Pour réfuter la présomption de connaissance, l’autoconstructeur pourra invoquer, le cas échéant, la faute d’un tiers, par exemple celui qui a eu le bien et qui l’a mal conservé ou qui a agi de manière à développer ou aggraver le risque qui existait initialement, ou encore la force majeure. Il pourra également réfuter la présomption de connaissance du vice en démontrant son ignorance du vice et « que son ignorance était justifiée, c’est-à-dire qu’il n’aurait pu découvrir le vice, et ce, même en prenant toutes les précautions auxquelles l’acheteur est en droit de s’attendre d’un vendeur raisonnable placé dans les mêmes circonstances ou encore que le défaut du bien vendu ne pouvait être découvert en raison de l’état des connaissances scientifiques et techniques lors de sa mise en marché » (ABB c. Domtar inc.).
Une nuance s’impose : un autoconstructeur n’est pas automatiquement un vendeur professionnel au sens de l’article 1729 du Code civil du Québec. Sera un vendeur professionnel celui qui a comme activité habituelle la vente d’un bien. Il y aura donc une distinction à faire entre celui qui a comme occupation principale la construction et la vente de bâtiments résidentiels et celui qui s’est lancé dans un projet d’autoconstruction pour la première fois et la seule fois de sa vie, ou qui ne le fait qu’occasionnellement pour lui-même et non de manière commerciale. Bien que l’autoconstructeur qui n’est pas un vendeur professionnel soit présumé connaître le vice tout comme le vendeur professionnel, l’autoconstructeur qui n’est pas un vendeur professionnel ne sera toutefois pas assujetti à la présomption d’existence du vice de l’article 1729 du Code civil du Québec, qui prévoit que « l’existence d’un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce ».
Les décisions de la Cour supérieure Clément c. Lessard (EYB 2007-120674 – Texte intégral | Fiche quantum) de 2007 et Beauchamp c. Lepage (REJB 2001-25566 – Texte intégral) de 2001 viennent souligner le principe selon lequel l’autoconstructeur est présumé connaître les vices affectant le bien et qu’il ne peut les ignorer, puisqu’il est le fabricant du bien vendu.
« l’autoconstructeur qui n’est pas un vendeur professionnel ne sera pas assimilé à un vendeur ordinaire de bonne foi, même si ses connaissances et son expérience sont limitées. »
Ainsi, l’autoconstructeur qui n’est pas un vendeur professionnel ne sera pas assimilé à un vendeur ordinaire de bonne foi, même si ses connaissances et son expérience sont limitées. L’individu qui se lance dans un projet d’autoconstruction, peu importe son niveau d’expertise, d’expérience et de compétence et peu importe s’il connaissait ou non les vices, ne sera pas un simple vendeur : il sera présumé connaître tous les vices affectant le bien vendu, et il ne pourra s’exonérer en invoquant son ignorance des vices.