Le nouvel article 1726 du Code civil du Québec, entré en vigueur en 1994, est venu mettre un terme à la controverse à savoir si pour être considéré comme un acheteur prudent et diligent, on doit ou non recourir à un expert.
Comme l’honorable André Rochon, alors à la Cour supérieure, l’avait mentionné dans la décision de principe Lavoie c. Comtois de 1999 (REJB 1999-16081 – Texte intégral | Fiche quantum), laquelle est toujours régulièrement citée par les tribunaux en matière de notion d’acheteur prudent et diligent, « cette exclusion ne saurait être interprétée comme autorisant l’acheteur à agir de manière insouciante ou négligente. Cet acheteur ne fera pas preuve de prudence et de diligence alors qu’il existe des indices perceptibles pour un profane, s’il ne prend pas les moyens (y compris le recours à des experts le cas échéant) de s’assurer que l’immeuble est exempt de vice ».
Ainsi, et bien qu’il ne soit pas obligatoire de retenir les services d’un expert, le fait de ne pas recourir à un expert dans certains cas peut faire en sorte que l’acheteur ne satisfera pas à l’exigence d’avoir agi en acheteur prudent et diligent.
Ceci étant, un acheteur qui décide de retenir les services d’un expert avant la vente, tel un inspecteur préachat, ne peut se voir imposer une norme plus sévère que s’il n’avait pas retenu les services d’un inspecteur préachat. Ainsi, dans l’arrêt St-Louis c. Morin (EYB 2006-112111 – Texte intégral | Fiche quantum), rendu en 2006, la Cour d’appel est venue statuer que, bien que dans certaines circonstances les tribunaux aient décidé que le vice était apparent à la suite d’un examen défaillant d’un expert, il est inapproprié d’en tirer la conclusion qu’il existe une norme de prudence et de diligence différente selon que l’acheteur a pris ou non la précaution de retenir les services d’un expert. Cassant le jugement de première instance ayant rejeté une demande d’annulation de vente, la Cour d’appel a conclu dans cet arrêt que l’inspecteur retenu par les acheteurs avait conduit son inspection de façon raisonnable et que ce dernier n’avait aucune raison de suspecter l’existence d’un vice majeur dans les parties basses de l’entretoit.
Suivant l’arrêt St-Louis susmentionné, la Cour d’appel est venue, en 2008, dans l’arrêt Marcoux c. Picard (EYB 2008-129346 – Texte intégral | Fiche quantum), confirmer l’unicité de la norme/du test qui s’applique à un acheteur, qu’il retienne ou non les services d’un inspecteur avant la vente. Ainsi, peu importe qu’il ait retenu ou non un inspecteur, c’est sous la norme/le test de l’acheteur prudent et diligent que sera évaluée la conduite de l’acheteur :
[19] Les appelants plaident que certaines infiltrations d’eau à deux fenêtres signalées par l’inspecteur Martel, des fissures identifiées au revêtement extérieur, la présence de joints de scellement de silicone clair autour des fenêtres, ainsi qu’une mention selon laquelle le revêtement était mou à quelques endroits étaient en soi suffisants pour rendre les vices apparents.
[20] Notre Cour rappelle que selon les termes de l’article 1726 in fine C.c.Q., il existe une seule norme applicable, celle qui examine la conduite de l’acheteur prudent et diligent. Le juge de première instance ne peut écarter cette règle en appréciant la conduite de l’inspecteur et en imputant à l’acheteur, en l’absence de signes annonciateurs d’un vice potentiel, ce qu’il considère un manque de prudence et un manquement aux règles de l’art de la part de l’inspecteur. Le test de l’article 1726 C.c.Q. est celui de l’acheteur prudent et diligent et non pas celui de l’expert tatillon sur qui reposerait une sorte d’obligation de résultat.
[21] Par ailleurs, l’inspection pré-achat n’est pas une expertise. En principe, cet examen doit être attentif et sérieux quoique plutôt rapide et non approfondi. En l’absence d’un indice révélateur, l’acheteur ou l’inspecteur n’a pas à ouvrir les murs ou creuser autour des fondations.
[22] En l’espèce, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a décidé que les vices dont était affectée la résidence des intimés n’étaient pas apparents.
« Essentiellement, et pour citer l’auteur en droit Jacques Deslauriers, « la question [est] de savoir si le défaut était caché pour un acheteur prudent et diligent et non pas de savoir « si un expert l’aurait vu »». »
Essentiellement, et pour citer l’auteur en droit Jacques Deslauriers, « la question [est] de savoir si le défaut était caché pour un acheteur prudent et diligent et non pas de savoir « si un expert l’aurait vu »».
Ainsi, ce n’est pas sur la base du test de l’expert tatillon sur qui repose une quasi-obligation de résultat qu’on doit évaluer la conduite de l’inspecteur préachat retenu par l’acheteur, mais plutôt sur la base du test de l’acheteur prudent et diligent. Comme l’a d’ailleurs souligné l’honorable Louis Dionne, j.c.s. en avril dernier, dans la décision Pleau c. Figueira-Andrinha (EYB 2016-264574 – Texte intégral | Fiche quantum), le vendeur ne peut se dégager de sa responsabilité en plaidant que l’inspecteur préachat des vendeurs n’a pas bien fait son travail, si l’inspecteur n’a pas/ne pouvait déceler d’indice de vice qu’un acheteur prudent et diligent n’aurait pas pu lui-même déceler :
[195] Bref, l’on ne doit pas faire dévier le débat sur le manque de compétence de l’expert de l’acheteur, comme le font les défendeurs en l’espèce, qui aurait dû pousser plus loin ses recherches, car dans un tel contexte, l’acheteur voit sa prudence d’avoir eu recours à un expert être étrangement détournée à son désavantage. Le test de l’article 1726 C.c.Q. est celui de l’acheteur prudent et diligent et non pas celui de l’expert tatillon sur qui reposerait une sorte d’obligation de résultat.
[196] L’inspection préachat est une inspection générale. Elle n’est pas une expertise. Elle doit couvrir les composantes visibles d’un immeuble afin, notamment, d’identifier les vices apparents majeurs ou ceux qui diminuent l’usage ou la valeur de l’immeuble.
[197] Il appert donc que l’inspecteur préachat n’est pas un expert, mais il doit déceler les indices visibles sérieux pouvant amener des soupçons quant à la présence d’un vice pour ainsi diriger l’acheteur vers un expert pour procéder à une expertise plus approfondie, le cas échéant. L’inspecteur préachat doit examiner l’immeuble avec attention et sérieux, mais quoiqu’assez rapidement, sans approfondir à outrance.
« Ainsi, un vendeur ne peut opposer à son acheteur le fait que son inspecteur préachat aurait dû en faire davantage, qu’il aurait dû aller plus en profondeur, qu’il aurait dû faire une expertise, alors qu’il n’y avait au moment de l’inspection aucun signe ou indice pouvant amener un acheteur prudent et diligent à soupçonner l’existence d’un vice ou d’une problématique quelconque. »
Ainsi, un vendeur ne peut opposer à son acheteur le fait que son inspecteur préachat aurait dû en faire davantage, qu’il aurait dû aller plus en profondeur, qu’il aurait dû faire une expertise, alors qu’il n’y avait au moment de l’inspection aucun signe ou indice pouvant amener un acheteur prudent et diligent à soupçonner l’existence d’un vice ou d’une problématique quelconque. Au surplus, l’acheteur est tenu d’effectuer avant la vente une inspection raisonnable du bien vendu, et non de procéder à une expertise, étant toutefois entendu que l’expertise s’avérera requise si des indices visibles sérieux peuvent amener des soupçons quant à la présence d’un vice.