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La fouille à nu d'un détenu dans un centre de détention est jugée abusive et les stupéfiants saisis lors de cette fouille sont exclus de la preuve

Résumé de décision : R. c. Ménard
La fouille a nu d'un detenu dans un centre de detention est jugee abusive et les stupefiants saisis lors de cette fouille sont exclus de la preuve

On reproche à l'accusé d'avoir eu en sa possession de l'héroïne, du hachich et de la marijuana en vue d'en faire le trafic. Ces stupéfiants ont été saisis par des agents des services correctionnels du Centre de détention Rivière-des-Prairies lors d'une fouille à nu de l'accusé. Il s'agit de savoir si cette fouille à nu était autorisée par la loi, d'une part, et si elle a été effectuée de manière raisonnable, d'autre part. Advenant une réponse négative, il faudra déterminer si les stupéfiants saisis doivent être exclus de la preuve.

Les parties s'entendent sur le fait que le Règlement d'application de la Loi sur le système correctionnel du Québec (le Règlement d'application) s'applique au présent cas et qu'il est raisonnable. Selon le Règlement d'application, une fouille à nu consiste en un examen visuel du corps dévêtu du détenu. Ce dernier doit soulever lui-même son pénis et ses testicules, ainsi que se pencher de manière à permettre l'examen visuel de sa cavité anale. Pour procéder à une telle fouille, l'agent des services correctionnels doit avoir des motifs raisonnables de croire que le détenu est en possession, entre autres, d'un élément de preuve relatif à la perpétration d'une infraction criminelle et que la fouille est nécessaire pour trouver cet élément. La fouille doit en outre être autorisée par le gestionnaire responsable, sauf en cas d'urgence où l'agent des services correctionnels prépare un rapport expliquant la nécessité de la fouille ainsi que le motif d'urgence.

Dans la présente affaire, on ignore la nature des informations reçues qui justifient que l'accusé soit ciblé par l'enquête, car aucun supérieur ne témoigne et les agents des services correctionnels ne font qu'exécuter les instructions des dirigeants du centre de détention. De plus, aucun témoin n'indique qu'il y a un degré particulier d'urgence d'agir auprès de l'accusé. Il est vrai que le contexte carcéral revêt une importance particulière dans l'analyse et que la fouille à nu est autorisée par le gestionnaire responsable. Malgré cela, la preuve ne démontre pas en quoi le gestionnaire responsable ou les agents des services correctionnels ont des motifs raisonnables de croire que l'accusé est en possession de stupéfiants. Les agents des services correctionnels observent l'accusé mettre ses mains dans son dos et ils ont l'impression que celui-ci tente de cacher quelque chose. Ces observations ne constituent pas des faits objectifs qui évoquent la probabilité raisonnable de la commission d'une infraction, d'autant que l'agente Lemay admet qu'elle ne voit rien dans les mains de l'accusé. En conséquence, il y a lieu de conclure que la fouille à nu n'était pas autorisée par la loi.

La fouille à nu n'a pas non plus été effectuée de manière raisonnable. Aucune crédibilité ne peut être accordée aux agents des services correctionnels. En effet, il y a des divergences entre leurs témoignages sur la manière dont les stupéfiants ont été saisis. De plus, les supérieurs des agents des services correctionnels sont intervenus, particulièrement auprès de l'agent Honvou qui a modifié sa version des faits dans un rapport complémentaire à la suite d'une rencontre avec le directeur où il a été questionné quant à savoir si l'intervention s'était vraiment passée comme il l'avait expliqué dans son rapport initial. Qui plus est, personne n'est en mesure d'expliquer comment le pantalon de l'accusé a été baissé.

Comme la fouille à nu était abusive, il faut déterminer si l'utilisation des stupéfiants saisis est plus susceptible de déconsidérer l'administration de la justice que le contraire. La correction du rapport initial de l'agent Honvou à la suite de l'intervention de ses supérieurs est révoltante. Ceci démontre l'existence d'une pratique interne quasi systémique d'adapter les rapports d'intervention pour éviter qu'une violation des droits constitutionnels d'un détenu ne soit exposée. Cet agissement est délibéré et odieux. Cette conduite attentatoire milite en faveur de l'exclusion de la preuve. L'incidence de la violation sur les droits de l'accusé milite aussi en faveur de l'exclusion de la preuve. Certes, l'expectative de vie privée de l'accusé était réduite, car la fouille à nu a eu lieu dans un centre de détention. Toutefois, il s'agit d'une pratique qui porte atteinte à la dignité humaine de la personne qui en fait l'objet et le sérieux de cette intrusion ne peut être diminué. Par ailleurs, les agents des services correctionnels agissent sans motifs raisonnables et probables, et c'est la fouille à nu qui mène à la découverte des stupéfiants. Il est vrai que cette preuve est fiable et déterminante et que le public a intérêt à ce que l'affaire soit jugée au fond. Mais ce dernier facteur ne peut ici faire pencher la balance en faveur de la recevabilité de la preuve. La mise en balance de tous les facteurs démontre que l'utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Les stupéfiants saisis lors de la fouille à nu sont alors exclus de la preuve.

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