L'appelant, qui est détenu dans l'attente de son procès, se pourvoit contre le jugement qui a accueilli partiellement sa requête en habeas corpus. Dans cette requête, l'appelant contestait essentiellement les effets de l’isolement cellulaire sur sa santé mentale. L'appelant était alors à l'établissement de détention de Sorel-Tracy, dans un secteur de classement restrictif. Le ministère de la Sécurité publique et le procureur général du Québec soutiennent que le pourvoi est théorique, car l'appelant n'est plus détenu à l'établissement de détention Sorel-Tracy, mais à l'établissement de détention de Québec. Ils ont raison. Toutefois, même si le pourvoi est théorique, il convient de le trancher. D'une part, les préoccupations exprimées par le juge saisi de la requête en habeas corpus au sujet de la santé mentale de l'appelant justifient que la Cour se prononce sur la contestation de ce dernier, en raison de la récurrence des questions tant pour l'appelant que pour d'autres détenus. D'autre part, la contestation de l'appelant offre tous les attributs d'une question importante qui se posera rarement devant une cour d'appel, compte tenu des changements rapides qui peuvent intervenir dans les conditions de détention de tout détenu. Cela dit, le pourvoi concerne uniquement les conditions de détention de l'appelant qui affecte sa liberté résiduelle ainsi que les questions que ce dernier soulève à la lumière du rapport psychologique qu'il a produit. Rien de plus, rien de moins. Même s'il existe une similitude entre les questions soulevées par l'appelant et certaines des questions qui doivent être résolues dans le cadre d'actions collectives autorisées, ces dossiers devront être instruits à la lumière du cadre juridique qui leur est applicable et de la preuve qui sera présentée.
Depuis le début des années 70, la pratique de l'isolement cellulaire est controversée. Cette mesure correctionnelle a fait l'objet de débats vigoureux et de nombreux rapports en raison de ses effets délétères sur la santé mentale des détenus. En décembre 2015, l'Assemblée générale des Nations Unies révise les règles minimales pour le traitement des détenus. Ces règles, qui sont intitulées Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus et qui sont aussi appelées Règles Nelson Mandela, posent un certain nombre de principes qui encadrent l'isolement cellulaire. Elles s'inspirent des meilleures pratiques correctionnelles et font l'objet d'un large consensus international. Leur influence s'avère considérable. Au Canada, les cours d'appel de l'Ontario et de la Colombie-Britannique se sont appuyées en partie sur ces règles pour déclarer inconstitutionnelles certaines dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) qui encadraient l'isolement cellulaire dans le système correctionnel fédéral. On parle ici des art. 31 à 37 LSCMLC, lesquels donnaient au directeur du pénitencier le pouvoir d'ordonner l'isolement préventif d'un détenu dans le but d'assurer la sécurité d'une personne ou du pénitencier. Ces articles ne prescrivaient cependant aucune durée maximale. Ils ne précisaient pas non plus les modalités de l'isolement cellulaire.
Le 30 novembre 2019, la Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi (le projet de loi C-83) entre en vigueur. Cette loi abolit l'isolement cellulaire disciplinaire et remplace le régime antérieur d'isolement préventif prévu aux art. 31 à 37 LSCMLC par un nouveau système d'unités d'intervention structurée (« UIS »). Ce nouveau système vise la protection de la santé mentale des détenus et accroît le rôle des professionnels de la santé à cet égard. L'article 36 LSCMLC encadre dorénavant de manière plus serrée les conditions minimales de cette détention. De plus, la LSCMLC prévoit un nouveau mécanisme de révision de la décision de transfèrement en UIS et des conditions de détention qui y sont maintenues, tout en précisant davantage les facteurs dont doivent tenir compte les décideurs à cet égard.
En droit correctionnel québécois, l'isolement cellulaire justifié par des préoccupations de sécurité ressort du pouvoir discrétionnaire quasi absolu du directeur d'un établissement de détention. Cela dit, les autorités correctionnelles doivent veiller au bien-être et à la santé des détenus, y compris celle des prévenus. L'obligation de veiller à l'accès aux soins de santé d'une personne incarcérée découle à la fois du droit commun établi par le Code civil du Québec et des pouvoirs conférés au directeur de l'établissement de détention selon les lois et règlements applicables. Pour remplir cette obligation, le directeur d'un établissement de détention doit s'assurer que des professionnels de la santé vérifient et évaluent si la santé physique ou mentale des personnes incarcérées est affectée par les conditions de détention qui leur sont imposées, y compris à l'égard de toute forme d'isolement cellulaire.
L'habeas corpus n'est pas un recours statique, étroit et formaliste. Il demeure le meilleur moyen à la disposition du prisonnier qui veut faire contrôler la légalité de sa privation de liberté. Dans le contexte du droit carcéral ou correctionnel, un détenu peut recourir à l'habeas corpus pour contester la privation illégale de liberté qui résulte de trois types de privation : 1) la privation initiale de liberté; 2) une modification importante des conditions d'incarcération qui équivaut à une nouvelle privation de liberté (l'isolement cellulaire constitue une telle modification); et 3) la continuation de la privation de liberté. Les critères entourant l'examen de la légalité de la détention d'un détenu en isolement cellulaire sont exposés dans l'arrêt May c. Établissement Ferndale. Le processus décisionnel entourant l'isolement cellulaire doit être équitable et la décision de mise en détention doit être raisonnable et conforme à la Charte canadienne. Considérant les effets et conséquences de l'isolement cellulaire, les tribunaux ne devraient pas adopter une approche trop rigide ou formaliste lorsqu'ils analysent une contestation fondée sur la Charte canadienne. L'habeas corpus constitue le recours approprié pour contester l'isolement cellulaire qui porte préjudice à la santé mentale d'un détenu. Le droit d'être protégé contre les interventions étatiques qui causent de graves souffrances psychologiques ne saurait exister sans accès à un recours adapté et efficace.
Bien qu'il ait été sensible aux effets de l'isolement sur la santé mentale de l'appelant, le juge saisi de la requête en habeas corpus n'a pas complètement tranché la contestation. Certes, la difficulté de l'exercice se trouvait accrue en partie par l'absence d'un encadrement législatif et réglementaire, mais aussi en raison du fait que l'appelant n'était pas représenté par avocat (même s'il plaidait avec une habileté certaine). Cela dit, en se fondant sur les décisions de la Cour d'appel de l'Ontario et de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique qui ont conclu que les art. 31 à 37 LSCMLC étaient inconstitutionnels, mais aussi sur les Règles Nelson Mandela et le rapport psychologique qui a conclu aux effets néfastes de l'isolement cellulaire sur sa santé mentale, l'appelant demandait que ses conditions de détention soient déclarées contraires aux exigences de la Charte canadienne.
Le juge considère que la décision des autorités correctionnelles d'offrir à l'appelant d'intégrer un secteur permettant d'augmenter sa liberté résiduelle, où il sera en observation pendant un certain temps avant de pouvoir intégrer la population carcérale régulière, est légale, raisonnable et faisait partie des issues possibles acceptables. Or, l'offre des autorités correctionnelles n'est pas une décision. Il appartient à ces dernières de décider des conditions de détention d'un détenu en fonction des exigences constitutionnelles, législatives et réglementaires qui encadrent de telles décisions. Évidemment, le fait qu'une offre de transférer un détenu dans de meilleures conditions de détention a été refusée par le détenu constitue un facteur qui sera inévitablement considéré dans l'analyse du caractère raisonnable de la décision des autorités correctionnelles, mais l'offre ne saurait tenir lieu de décision qui fait l'objet du contrôle judiciaire.
Par ailleurs, le juge conclut que les conditions de détention de l'appelant ne sont pas cruelles et inusitées, sans définir le cadre d'analyse qu'il applique. Et pourtant, du même souffle, le juge affirme qu'il doit tout de même y avoir des alternatives à un isolement prolongé sans contact humain significatif. Le juge semble partiellement aborder la contestation de l'appelant comme si ce dernier exigeait son transfert en population générale, ce qui n'est pas le cas. L'appelant reconnaît avec raison que son comportement justifie une certaine forme d'isolement. Il plaide plutôt que cet isolement doit respecter les exigences minimales des Règles Nelson Mandela et qu'à cet égard, la détermination des restrictions à sa liberté résiduelle doit tenir compte de l'état de sa santé mentale.
Finalement, le dispositif du jugement que le juge a rendu est problématique. Un jugement doit être susceptible d'exécution. Le dispositif du jugement doit définir de manière claire et non équivoque ce qui doit et ne doit pas être fait. L'ordonnance prononcée par le juge soulève des difficultés réelles d'exécution pour les autorités correctionnelles et rend difficile tout recours éventuel de l'appelant pour en forcer le respect. Le cas de figure qui se posait n'était pas simple, mais le juge devait tenir compte de l'effet cumulatif allégué des différentes périodes de détention en isolement cellulaire sur la santé mentale de l'appelant et formuler une conclusion susceptible d'exécution par les autorités correctionnelles.
Si le pourvoi de l'appelant n'était pas devenu théorique, il y aurait eu lieu d'ordonner la tenue d'une nouvelle instruction pour que l'on statue sur la légalité de la détention de l'appelant à la lumière de l'analyse qui précède. Toutefois, vu les circonstances, il y a plutôt lieu d'accueillir le pourvoi, sans frais de justice. Compte tenu des enseignements de la Cour suprême du Canada en matière de pourvoi théorique, aucune autre ordonnance ne sera rendue, et ce, même si ce dispositif n'offre à l'appelant aucun redressement pratique, sauf celui de faire valoir auprès des autorités correctionnelles les principes formulés dans la présente décision.