La demanderesse (Guindon) a chuté alors qu’elle se rendait au local de la bibliothèque municipale d’Huberdeau. Elle impute l’entière responsabilité de son accident à la municipalité, à qui elle reproche de ne pas s’être acquittée de l’obligation de sécurité qui lui incombe à l’égard des usagers de l’immeuble qui lui appartient, en tolérant l’installation dangereuse d’un tapis et en omettant de doter les lieux d’une rampe courante suffisamment longue pour pallier les risques de chute. À titre de réparation pour le préjudice corporel qu’elle a alors subi, elle réclame à Huberdeau des dommages-intérêts totalisant près de 177 000 $. Son conjoint, le codemandeur Hétu, réclame également une compensation pour ses propres pertes. Huberdeau conteste. Elle soutient que la cause de la chute de Guindon est plutôt la faiblesse de ses membres inférieurs, reliée à une condition préexistante. Elle ajoute qu’elle n'a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité civile envers Guindon. Finalement, si le tribunal concluait à sa responsabilité, elle conteste certains des montants réclamés par les demandeurs.
Guindon habite à Huberdeau depuis plus de 40 ans. Elle est retraitée depuis 2014. Au moment de l’accident, en décembre 2019, elle avait 63 ans et était très active malgré des diagnostics de sclérose en plaques et de sténose foraminale au niveau des vertèbres L3-L4. Elle agissait notamment comme bénévole et était membre d’un club de tricot. C’est en se rendant à la réunion hebdomadaire du club de tricot, qui se tient à la bibliothèque municipale, que l’accident est survenu. Elle témoigne avoir monté à pied les deux volées de marches intérieures permettant d’accéder au deuxième étage de l’édifice municipal où se trouve le local de la bibliothèque. Elle tenait la main courante de l’escalier avec sa main droite et sa canne de sa main gauche. Arrivée sur la toute dernière marche, son pied droit s’est pris dans le court surtapis installé sur cette marche, qui se trouve aussi à être le début du palier du deuxième étage. Elle a été projetée vers l’avant et est tombée. Elle a subi plusieurs fractures aux jambes et s’est déchiré le tendon et le ligament de la main droite.
Contrairement à ce que plaide Huberdeau, rien ne justifie d’écarter le témoignage de Guindon. Bien que celle-ci ne soit pas en mesure de décrire sa chute avec précision, il reste qu’elle est catégorique quant au fait que son pied droit s’est coincé sous le surtapis, ce qui a eu pour effet de la projeter vers l’avant et de causer sa chute. D’ailleurs, elle a identifié dès le départ le tapis comme étant la cause de sa chute. C’est ce qu’elle a affirmé immédiatement après sa chute aux deux employées de la bibliothèque accourues pour lui venir en aide, aux ambulanciers et aux médecins. Précisons que les employées ont considéré cette explication suffisamment crédible pour retirer sur-le-champ le surtapis et ne pas le réinstaller depuis. Les divergences notées au regard de la suite des événements, entre ce qui est relaté par Guindon et son conjoint venu l’assister et les deux employées, ne modifient pas cette conclusion. Du reste, la preuve dans son ensemble nous amène à préférer les versions des demandeurs à celles des deux employées. Par ailleurs, il y a lieu d’écarter l’hypothèse soumise par Huberdeau voulant que la chute ait été causée par une faiblesse des membres inférieurs de Guidon reliée à la maladie dont elle souffre. Cette suggestion repose principalement sur l’opinion de l’expert retenu par Huberdeau, opinion que le tribunal écarte sans hésitation. La preuve établit que, à la date de l’accident, les seuls symptômes de la maladie étaient des migraines, lesquelles étaient gérées adéquatement par une médication.
Donc, la seule cause de l’accident est le surtapis installé sur la toute dernière marche de l’escalier intérieur et le début du palier du deuxième étage de l’édifice appartenant à Huberdeau. Guindon allègue que l’aménagement des lieux était fautif et nous lui donnons raison. L’installation d’un surtapis n’est pas en soi problématique. C’est le fait de laisser ce surtapis s’étendre au-delà du revêtement de sol qui est fautif dans les circonstances. L’accident ne se serait pas produit si ce surtapis avait été ajusté de façon à se terminer avant la bordure de bois de la dernière marche. Les employées disent qu’il était ajusté de telle façon, mais la preuve établit qu’il n’était pas fixé au sol et qu’il pouvait ainsi se déplacer. Vraisemblablement, c’est ce qui s’est produit le jour de l’accident. Le pied de Guindon s’est coincé entre la bordure de bois et le surtapis, lui faisant perdre l’équilibre et chuter vers l’avant.
Par ailleurs, et bien qu’il ne s’agisse pas d’une dérogation réglementaire, l’absence de rampe dans le prolongement de la dernière marche fait qu’une personne qui a des enjeux de mobilité se trouve en situation de déséquilibre pour gravir la dernière marche de l’escalier. Au lieu d’empoigner la rampe devant soi pour se tirer vers le haut, il lui faut alors prendre appui sur le bout de la rampe pour se hisser vers le haut, ce qui crée nécessairement une torsion du corps pendant le mouvement qui favorise le déséquilibre.
Il faut conclure de cette preuve que Huberdeau a toléré un aménagement des lieux fautifs à l’égard d’un édifice accessible au public. Elle avait l’obligation de s’assurer que la seule voie permettant d’accéder à plusieurs services municipaux, dont la bibliothèque, soit accessible de façon sécuritaire pour toute personne, peu importe son âge et sa condition. Le fait que Guindon soit familière avec les lieux et qu’il ne s’y était jamais produit d’incident ne change pas le caractère fautif de l’aménagement des lieux ; cela confirme simplement que l’aménagement des lieux n’est pas aussi problématique lorsque sont absents des enjeux de mobilité tels que ceux auxquels faisait face Guindon le 4 décembre 2019.
Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de Huberdeau de limiter sa part de responsabilité dans l’accident à 25 % au motif que Guindon a manqué d’attention. Il n’y a dans le comportement de Guindon aucune faute génératrice d’un tel partage de responsabilité. La preuve établit qu’elle se mouvait avec prudence et sans précipitation. Elle n’a commis aucune imprudence.
Après sa chute, Guindon a été transportée à l’hôpital par ambulance. On lui a diagnostiqué une fracture au fémur gauche, plusieurs fractures au fémur droit ainsi qu’une déchirure d’un tendon et d’un ligament de la main gauche. Elle a été hospitalisée 19 jours et a subi une opération à la main droite et deux aux jambes. Elle demeure avec des séquelles.
Au chapitre des pertes pécuniaires, plusieurs frais réclamés par Guindon ont fait l’objet d’admissions : les frais d’ambulance, les médicaments et frais de traitement de physiothérapie et d’ostéopathie, les frais de déplacement et divers achats faits pour son domicile. Le remboursement de ces frais, qui totalisent 7 475,14 $, est donc accordé. Huberdeau conteste toutefois les frais d’adaptation domiciliaire et personnelle de 46 380 $ aussi réclamés par Guindon. À l’audience, le tribunal a attiré l’attention des parties sur l’art. 1614 C.c.Q., qui demande d’actualiser les aspects prospectifs du préjudice en fonction des taux prescrits par règlement. Les parties se sont alors entendues pour fixer à 40 047,18 $ la valeur actualisée des divers équipements et services. Il convient par ailleurs de déduire de cette somme les frais pour lesquels le tribunal juge que Guindon n’a pas droit à un remboursement. Tenant compte de ces retraits, la valeur actualisée des frais d’adaptation s’établit à 32 568,81 $.
La somme accordée à Guindon pour ses pertes pécuniaires est conséquemment fixée à 40 043,95 $.
Guindon répartit la somme réclamée de 115 000 $ pour ses pertes non pécuniaires (PNP) en deux chefs de réclamation, soit l’atteinte à son intégrité physique (95 000 $) et les douleurs, souffrances et inconvénients (20 000 $). Huberdeau a raison de soutenir que la somme réclamée est exagérée. Le montant octroyé pour tenir compte des PNP est une indemnité globale, couvrant l’ensemble des chefs de préjudice. Bien qu’il soit usuel de détailler le préjudice en plusieurs postes de réclamation, ces divers postes ne s’additionnent pas. Par ailleurs, l’octroi d’une indemnité pour les PNP ne vise pas à punir l’auteur de la faute ; il s’agit là plutôt du rôle des dommages-intérêts punitifs. Les PNP doivent satisfaire à l’exigence de la causalité et être une conséquence directe et immédiate de l’accident. Or, au terme de son analyse de la preuve et tenant compte notamment de l’IPP de 14 % pour la personne entière fixée par l’expert en demande, le tribunal estime justifié d’octroyer à Guindon une somme globale de 60 000 $ pour ses PNP.
Le tribunal précise qu’il a écarté la proposition faite en défense de réduire les PNP de Guindon pour considérer que l’atteinte résiduelle à sa jambe droite est attribuable à une erreur chirurgicale et que celle-ci pourrait être corrigée par une chirurgie de dérotation. Huberdeau doit indemniser l’intégralité du préjudice corporel subi par Guindon en lien avec son accident, sans déduction quant aux dommages résultant des chirurgies et traitements qu’elle a reçus consécutivement à cet accident. Il en est de même des dommages accrus découlant de la fragilité de Guindon. L’auteur de la faute prend la victime avec ses forces et ses faiblesses. Huberdeau n’établit aucune exception au principe fondamental de l’évaluation in concreto du préjudice. Il est indéniable que l’accident a aggravé la condition de Guindon. Cette aggravation doit être compensée.
Au total, c’est donc une somme de 100 043,95 $ que Huberdeau devra payer à Guindon.
Hétu, le conjoint de Guindon, a droit lui aussi d’être indemnisé, à titre de victime par ricochet. La somme de 1 969 $ qu’il réclame pour ses pertes pécuniaires n’est pas contestée et elle lui est conséquemment accordée. Pour compenser ses PNP, le tribunal lui octroie une somme globale de 5 000 $.
Le tribunal accorde la demande de Guindon de réserver son droit de réclamer des dommages-intérêts additionnels pour une durée de trois ans pour tenir compte de l’évolution de sa condition physique, puisqu’une troisième chirurgie à la jambe droite est envisagée pour une problématique similaire à celle visée par la seconde chirurgie à sa jambe pratiquée en janvier 2022. Guindon est en attente d’une date pour cette opération, mais indique ne pas avoir pris de décision définitive à cet égard, ce qui justifie l’octroi de la réserve demandée.