La locataire réclame des dommages-intérêts compensatoires et punitifs au couple défendeur (les locateurs), en application de l’art. 1968 C.c.Q.
La locataire explique que, le 28 décembre 2020, les locateurs lui ont fait parvenir un avis de reprise de logement. Six mois plus tôt, ils avaient acheté le triplex dans lequel le logement est situé et s’étaient installés dans le logement du rez-de-chaussée. Ils lui ont dit qu’il reprenait son « deux et demi » situé à l’étage, qu’elle habitait depuis sept ans, afin d’y loger le père de la locatrice. Elle avait d’abord transmis un avis de refus, mais elle a finalement accepté de quitter son logement dès février 2021, en échange d’une somme d’argent. À l’automne 2021, son ancien voisin de palier lui a dit que l’immeuble était de nouveau à vendre. Elle a alors effectué des recherches qui, selon elle, démontrent que le père de la locatrice n’a jamais habité le logement repris (le Logement) et qu’elle a été victime d’une « éviction justifiée par la spéculation immobilière des locateurs ».
Comme il est mentionné à l’art. 1968 C.c.Q., le fait qu'il y ait eu une entente entre les parties lors du départ de la locataire n’empêche pas celle-ci d'obtenir des dommages-intérêts, si la reprise a été obtenue de mauvaise foi. Cette disposition permet de sanctionner les agissements fautifs d'un locateur qui obtient, par subterfuge ou par malice, la reprise d’un logement ou l’éviction d'un locataire en contravention des dispositions de la loi. Par ailleurs, les art. 6 et 7 C.c.Q. édictent que les droits civils s'exercent selon les exigences de la bonne foi. Dit autrement, une personne ne peut exercer ses droits dans le but de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable. Puisque la bonne foi se présume, c’est à la partie qui invoque la mauvaise foi qu’il appartient d’en faire la preuve par prépondérance. Or, nous concluons que la locataire s’est acquittée de son fardeau de preuve. Voici pourquoi.
Tout d’abord, il ressort du témoignage des locateurs que le père de la locatrice (le Père) n’avait pas l’intention d’habiter le Logement de façon permanente ; il en aurait eu besoin pour une période d’environ un an, « en raison de la gestion d’un projet » dans la région de Montréal. Ensuite, les locateurs soutiennent que c’est en raison d’un changement de projet du Père que ce dernier n’a finalement jamais non plus habité dans le Logement à temps plein, une fois celui-ci rénové, mais ils ne fournissent aucune preuve relativement à ce changement de projet et le Père n’a pas témoigné. Au surplus, le Tribunal accorde peu de crédibilité à leurs témoignages. Leur version des faits apparaît cousue de fils blancs et est en contradiction avec les propos qu’ils ont publiés sur leur compte Instagram et ce qui a été rapporté dans l’article du journal Métro. À cela s’ajoute une trame factuelle qui paraît orchestrée. À titre d’exemple, les locateurs terminent les rénovations au Logement le 15 juin 2021, selon ce qu’ils ont publié sur Instagram. Or, c’est au même moment qu’ils apprennent que, en raison d’« un changement impromptu » dans les besoins du Père, celui-ci n’habitera pas le Logement à temps plein ; il ne l’habitera finalement qu’une semaine par mois, de juillet à décembre 2021. Les autres semaines, et en tout temps à compter de janvier 2022, le Logement a été offert en location sur le site Airbnb.
La preuve prépondérante établit donc que les locateurs n’ont pas eu l’intention de reprendre le Logement pour la fin annoncée, soit au bénéfice du père de la locatrice. L’ensemble des faits entendus à l’audience révèlent une négligence et une insouciance telles à l'endroit des droits d'autrui qu'il faille l’assimiler à de la mauvaise foi au sens de l'art. 1968 C.c.Q. Dans les circonstances, on ne peut que conclure à une reprise obtenue de mauvaise foi.
La locataire réclame une somme de 2 338 $ pour compenser ses dommages matériels. Cette somme correspond à l’écart entre le loyer mensuel qu’elle payait pour le Logement (855 $) et celui qu’elle paie depuis son déménagement (1 050 $), pour une période d’environ 12 mois. Cette réclamation est justifiée et elle est accueillie.
Pour compenser ses dommages moraux, la locataire réclame 2 500 $. Elle fait état du stress engendré pour se trouver rapidement un logement dans un contexte de pénurie de logements, d’une part, et dans un contexte de pandémie, d’autre part. Ici encore, la réclamation est justifiée et elle est accueillie.
Le Tribunal accorde aussi à la locataire les 9 600 $ réclamés à titre de dommages-intérêts punitifs ; il ne peut accorder plus que la somme réclamée.
En tout, c’est donc une somme de 14 438 $ que les locateurs devront payer à la locataire.