La Cour supérieure appliquait récemment la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « Loi sur les arrangements ») dans un contexte d’ordonnance de transfert de certains contrats en vigueur d’une façon qui en permette la cession, et c’est là la nouveauté, sans que les obligations et pénalités qui s’appliqueraient au passé soient aussi transférées au cessionnaire.
La question qui se posait dans le cadre de la décision Arrangement relatif à Groupe SMI inc. (500-11-055122-184, C.S., 10 décembre 2018) touchait l’impact d’un transfert de contrats, par suite d’un arrangement d’une entreprise en difficulté avec ses créanciers, au moment de vendre ses actifs. Lorsqu’un arrangement comprend la cession de certains contrats, les pénalités déjà applicables suivent-elles nécessairement le reste des droits et obligations vers les mains du ou des cessionnaires des contrats visés ? Eh bien, contrairement à la réponse habituelle, la décision récente concernant Groupe SMI semble dire que les obligations et pénalités liées au passé s’arrêteront parfois au cédant, le cessionnaire reprenant les contrats en repartant à zéro, tabula rasa.
Le cas de jurisprudence en question débute avec des difficultés de Groupe SM, au sujet de laquelle une ordonnance judiciaire est rendue en août 2018, après laquelle on envisage de vendre certains de ses actifs à un acquéreur potentiel nommé FNX-Innov inc. (« FNX »), ce qu’approuve une ordonnance de dévolution en novembre 2018. Bien que les parties devront ultérieurement se représenter devant le tribunal pour autoriser formellement le transfert à FNX des actifs que sont plusieurs centaines de contrats en vigueur de Groupe SM (les « contrats »), la table est mise pour que FNX obtienne la cession des contrats.
Par contre, malheureusement pour elle, lors de l’audition de la requête, certains cocontractants se manifestent en s’opposant à une partie de l’ordonnance demandée par FNX quant aux contrats. Pour ceux qui font objection, le libellé spécifique de l’ordonnance que cherche à obtenir FNX s’avère inacceptable puisqu’il aurait pour effet de les empêcher de se prévaloir du droit d’exercer compensation (contre FSX) quant à la responsabilité de Groupe SM face au passé. Selon eux, l’ordonnance qui sera rendue ne devrait pas les priver de la possibilité d’adresser de réclamations à FNX pour des défauts préalables, une fois les contrats transférés ; le transfert des ententes visées doit s’accompagner d’un transfert de la responsabilité afférente déjà imputée à Groupe SM.
Toujours selon eux, un tribunal qui transfère un contrat en vertu de l’article 11.3 de la Loi sur les arrangements ne devrait pas permettre à un cessionnaire d’obtenir l’avantage (l’actif) que constitue ce contrat, sans aussi lui transférer l’ensemble des obligations et de la responsabilité (le passif) qu’il emporte. La question se pose donc : quand un tribunal émet une ordonnance effectuant la cession d’un contrat à un cessionnaire dans le cadre d’une procédure en vertu de la Loi sur les arrangements, toutes les obligations du cédant doivent-elles aussi nécessairement suivre ? Comme l’article 11.3 précise que le juge décidant quant à une telle ordonnance peut ordonner le transfert des « droits et obligations de la compagnie découlant du contrat », peut-on vraiment choisir de bénéficier des droits sans pour autant écoper de toutes les obligations aussi ? La question se pose.
Pour y répondre, le tribunal commence par préciser que le dossier remplit bien les exigences de l’article 11.3 de la Loi sur les arrangements et que la cession de ces contrats à FNX permettra vraisemblablement de protéger plusieurs centaines d’emplois. Forte de la discrétion qu’accorde la loi au juge en matière d’arrangements, la juge estime ici que, dans les circonstances, le paragraphe demandé par FNX (prohibant l’exercice du droit à la compensation des cocontractants) se révèle équitable et raisonnable. Il est logique ici d’acquiescer à la demande de FNX, particulièrement compte tenu du fait que l’audition a démontré l’existence de réclamations potentielles de la part des cocontractants dont on ne pouvait établir l’ampleur.
Par conséquent, le juge de la C.S. détermine alors que la responsabilité de FNX ne débutera qu’à compter de la date de sa prise de contrôle des contrats. La décision réitère d’ailleurs, en plus de prendre en considération les emplois en jeu, que l’ordonnance ainsi rendue permettra d’éviter un résultat illogique, en forçant l’interruption de tous les travaux en cours en vertu des contrats, pendant que FNX va en appel d’offres pour récupérer ce travail. En de telles circonstances, une ordonnance empêchant les cocontractants de s’adresser au cessionnaire pour les défauts du passé (du cédant) sera appropriée. Bien qu’empêcher des parties d’exercer leur droit à la compensation déroge au droit civil, le contexte particulier qu’implique la Loi sur les arrangements le justifie.
C’est donc confirmé, en certaines circonstances, on peut demander au tribunal de transférer certains contrats (dans le cadre d’un arrangement avec les créanciers), sans pour autant devoir assumer la totalité des obligations et des pénalités relativement aux défauts passés du cédant. Bien qu’une partie des motifs de la juge Corriveau dépende des faits de l’espèce, le droit québécois (à la discrétion du juge) le permet. Même si cela ne fonctionnera sans doute pas chaque fois, la possibilité existe désormais, plus de doute.