La Cour d’appel fédérale (la « CAF ») rendait dans la dernière année une décision touchant les délais de rigueur en cours de traitement d’une demande d’enregistrement de brevet, au Canada, dans l’affaire University of Alberta v. Canada (Attorney General), 2018 FCA 36 (2018 CAF 36), une décision que la Cour suprême vient de se refuser à remettre en question.
À titre de contexte, le droit et la pratique canadienne en matière de brevets d’invention tolèrent dorénavant que les organisations qui désirent se prétendre propriétaires de l’invention d’un tiers (qu’on cherche à enregistrer) doivent déposer auprès du Bureau des brevets une déclaration affirmant qu'elles sont détentrices de cette invention d’autrui. L’article 37(2)a) de la Loi sur les brevets énonce en effet qu’en de telles circonstances, un demandeur de brevet doit verser au dossier une déclaration conforme à l’article 37(2) des Règles sur les brevets (les « Règles ») à savoir :
- Lorsque le demandeur n’est pas l’inventeur, la demande doit contenir un énoncé indiquant le nom et l’adresse de l’inventeur et (…) a) une déclaration portant que le demandeur est le représentant légal de l’inventeur.
Dans les faits, ici, les requérants ayant déposé la demande d’enregistrement ont fait défaut de présenter cette déclaration, même après avoir été rappelés à l’ordre par un avis du Bureau des brevets. Cette lacune a alors mené à l’abandon de la demande.
Par suite d'un tel abandon, par contre, l’article 73 de la Loi sur les brevets permet au demandeur de rétablir sa demande, en payant des frais et en corrigeant son erreur initiale, dans les 12 mois. Malgré ce rappel, les demandeurs ont fait défaut de corriger la lacune de leur dossier, ce qui mène à l’inactivation du dossier de la demande de brevet en question par le Bureau des brevets, comme il se doit. Après tout, à quoi bon prévoir des délais dans la loi si les requérants peuvent les ignorer ?
Ici, par contre, pendant cette année cruciale (la période pendant laquelle on pouvait obtenir le rétablissement de la demande), l’Université d’Alberta s’est fait céder la part dans l’invention de l’un des requérants originaux. Malheureusement pour elle, l’Université n’a constaté l’inactivation de la demande que des mois plus tard et, plus pertinent encore, plus de 30 jours après la décision d’inactiver la demande visée prise par l’OPIC. Étant donné que le délai de 30 jours pour déposer une demande de contrôle judiciaire (tel qu’énoncé à l’art. 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales) s’avère de rigueur, en telles circonstances, peut-on faire renverser la décision de l’OPIC d’inactiver cette demande ?
La Cour fédérale répond initialement par la négative à cette question, à la suite de quoi l’Université porte le dossier en appel devant la CAF. Celle-ci se refuse alors à son tour d’intervenir. Pour elle, l’émission de l’avis du Bureau des brevets au sujet de son inactivation du dossier d’une demande d’enregistrement de brevet ne constitue pas un sujet adéquat pour une demande de contrôle judiciaire. Pour elle en effet, ce type de geste par une agence gouvernementale et ses fonctionnaires ne constitue pas une décision discrétionnaire, mais plutôt simplement le résultat automatique des exigences de la loi et des règles adoptées pour appliquer la loi.
Comme tel, il se révèle impossible pour un tel geste (ici, émettre un avis d'abandon et désactiver la demande) de déclencher l’application de l’un ou l’autre des motifs (de demande de contrôle judiciaire), tels qu’énumérés à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, à savoir que l’office fédéral (ici, l’OPIC) :
-
a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer ;
- n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter ;
- a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier ;
- a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ;
- a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages ;
- a agi de toute autre façon contraire à la loi.
Au passage, malgré une tentative, créative, de l’Université de prétendre le contraire, la CAF confirme aussi que le Commissaire aux brevets n’a pas erré en se refusant à réactiver la demande de brevet en question, puisque ni la Loi sur les brevets ni ses Règles ne prévoient de mécanisme pour ce faire.
Dommage pour l’Université donc, mais les règles sont les règles. Ne confondons pas décision discrétionnaire d’un fonctionnaire avec sa simple application de délais de rigueur. Quand l’application d’un délai énoncé dans la Loi sur les brevets ou dans les Règles s’avère automatique, impossible de la contester ensuite en prétendant que l’agence gouvernementale a outrepassée ses pouvoirs.
D’ailleurs, précisons ici que depuis la date de cette décision de la CAF en 2018, la Cour suprême a d’ailleurs refusé d’entendre un appel de cette décision.
Morale de cette histoire : si vous (ou votre client) vous portez acquéreur d’une invention quant à laquelle une demande de brevet est en instance, faites vos devoirs dès le début et informez-vous de l’état réel des choses quant à cette demande. Oui, une demande a été déposée, mais une objection a-t-elle été formulée par le Commissaire et, le cas échéant, qui sera chargé d’y répondre, quand, etc. ?