I. Introduction
Dans l’affaire Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) c. Société financière Manuvie1, la Cour supérieure énonce qu’une règle de procédure externe (en l’espèce, l’affidavit de documents) ne saurait être invoquée dans le cadre d’un recours collectif autorisé, et ce, même s’il existe une procédure parallèle dans une autre province canadienne et que la preuve pertinente est susceptible d’être similaire.
II. Les faits
La demanderesse, le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (« MÉDAC »), allègue que la Société financière Manuvie (« Manuvie ») aurait manqué à son obligation d’information. Elle dépose ainsi une requête pour autorisation d’exercer un recours collectif pour le compte d’actionnaires québécois.
En même temps, le cabinet d’avocats qui représente MÉDAC au Québec dépose une requête pour certification d’un recours collectif en Ontario. La procédure ontarienne propose, quant à elle, un groupe pancanadien.
Par la suite, la procédure ontarienne est amendée afin d’exclure les membres de groupe provenant du Québec.
Les deux requêtes sont pilotées indépendamment et seront éventuellement autorisées dans leurs juridictions respectives.
Or, dans le cadre d’une demande de communication préalable de documents, la demanderesse présente une requête afin d’obtenir la communication de plus de 95 000 documents « déjà communiqués en Ontario, et ceux qui suivront »2. Ce matériel a été obtenu en Ontario grâce à l’affidavit de documents prévu à l’article 30.3 des règles de procédure de cette province.
Le MÉDAC plaide que le tribunal jouit d’une grande discrétion en raison de l’article 1045 C.p.c., qui prévoit que celui-ci « peut en tout temps au cours de la procédure relative à un recours collectif, prescrire des mesures susceptibles d’accélérer son déroulement et de simplifier la preuve si elles ne portent pas préjudice à une partie ou aux membres ».
Le MÉDAC plaide également qu’il serait dans les intérêts de la justice que des documents pertinents au litige parallèle ontarien soient versés au dossier québécois afin de favoriser l’économie judiciaire.
III. La décision (l’honorable Alicia Soldevila)
Le tribunal se dit surpris par la requête du MÉDAC.
Bien que les milliers de documents en cause soient produits dans le contexte du recours collectif ontarien, on ne saurait pour autant conclure qu’ils sont ipso facto pertinents au recours collectif québécois :
[38] Accorder la mesure recherchée et la production massive de près de 100 000 documents à l’aveuglette, sans que la partie qui les requiert n’ait eu à prouver leur pertinence avec le litige québécois, retournerait les parties à la case départ, court-circuiterait certaines dispositions du Code de procédure civile contenues entre autres aux articles 151.1 (échéancier), 396.2 (tenue des interrogatoires), 398 (production de documents en cours d’interrogatoire), 402 (communication de documents) et surtout frustrerait l’économie de nos règles de procédure. Ce n’est pas parce que ces documents ont été produits dans le cadre du recours collectif ontarien, dont certaines questions sont similaires, qu’ils sont d’emblée pertinents au recours engagé au Québec, surtout à cette étape avancée du dossier. (Nos soulignements)
De plus, le tribunal souligne qu’il existe des différences importantes entres les règles de procédure et de preuve ontariennes et celles du Québec. Ces dernières exigent que la partie qui demande la communication de documents doive identifier, de manière raisonnable, les documents qu’elle recherche et démontrer leur pertinence. En décidant d’intenter un recours collectif au Québec, la demanderesse devait s’attendre à ce que le droit québécois s’applique :
[49] Le demandeur a choisi, de concert avec les parties et les procureurs ontariens, de retirer du Groupe ontarien les actionnaires québécois. Il a, de façon stratégique, préféré mener de front ces deux recours collectifs de façon séparée, à la fois au Québec et en Ontario. Ces recours ne sont pas tout à fait identiques au niveau des questions qu’ils soulèvent, mais sont soutenus par les mêmes faits, et bien que les questions de fait et de droit à être traitées collectivement sont similaires, elles devront être tranchées en Ontario, selon la loi ontarienne et la common law et, au Québec, selon la loi québécoise et le droit civil québécois. (Nos soulignements)
Enfin, le tribunal note que loin de favoriser l’économie judiciaire, l’admission en preuve des documents contestés « serait contraire au principe de la proportionnalité » et viendrait, au contraire, « complexifier le débat »3.
IV. Commentaire de l’auteur
La décision commentée rappelle que le simple fait que deux recours collectifs soient parallèles ne peut atténuer le principe selon lequel ils sont néanmoins sujets aux lois procédurales et substantives des juridictions dans lesquelles ils se trouvent. Ces juridictions peuvent avoir des critères différents à l’étape de l’autorisation, ainsi que des règles de procédure et de preuve distinctes au mérite. Comme l’énonce la Cour suprême du Canada dans les arrêts Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St‑Ferdinand4 et Bisaillon c. Université Concordia5, le recours collectif est un véhicule procédural. Il ne peut donc modifier « les règles substantielles du droit de la preuve »6. En effet, l’article 1045 C.p.c. prévoit des mesures d’accélération et de simplification, non pas l’adoption prétorienne d’une règle – celle de l’affidavit de documents – qui est manifestement étrangère au système juridique québécois. Accorder à cette disposition l’ampleur souhaitée par la demanderesse aurait l’effet de métamorphoser le recours collectif en cheval de Troie susceptible de créer et de modifier le régime de procédure et de preuve civile. Un tel résultat irait non seulement à l’encontre de la volonté du législateur, mais des enseignements explicites de la Cour suprême.
1 2015 QCCS 4273.
2 Ibid au par. 1.
3 Ibid au par. 50.
4 [1996] 3 R.C.S 211.
5 [2006] 1 RCS 666.
6 Ibid au par. 18.