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Ramacieri c. Bayer inc. – L’importance de démontrer le lien de causalité dès l’étape de l’autorisation d’un recours collectif

Par Shaun Finn, BCF, Avocats d’affaires
Ramacieri c. Bayer inc. – L’importance de démontrer le lien de causalité dès l’étape de l’autorisation d’un recours collectif

I. Introduction

Bien que l’autorisation soit un mécanisme de filtrage et de vérification1, le requérant doit néanmoins établir l’existence d’une « cause défendable ». Plus particulièrement, selon la décision Ramacieri c. Bayer inc.2, outre l’existence d’une faute et d’un préjudice, le requérant doit alléguer des faits précis pour démontrer un lien de causalité entre ces deux éléments. Une causalité purement hypothétique ne saurait s’avérer suffisante.

II. Les faits

Dans cette affaire, les requérantes Constance Ramacieri et Nicole Laporte demandent que soit intenté un recours collectif contre quatre intimées appartenant à la famille commerciale Bayer (« Bayer »).

Selon les allégations des requérantes, Bayer n’aurait pas divulgué correctement les risques associés au Trasylol, un médicament utilisé dans le cadre de chirurgies cardiaques3. Or, « [l]e Trasylol vise à prévenir les hémorragies lors de telles opérations et à réduire le recours à d’éventuelles transfusions sanguines »4.

Le tribunal résume cette affaire comme suit : « [e]ssentiellement, les requérantes allèguent que les intimées ont fabriqué, distribué ou vendu un produit comportant des dangers pour la santé, lesquels n’ont pas été dénoncés convenablement et n’ont pas fait l’objet de mises en garde adéquates et suffisantes »5.

Au soutien du recours collectif envisagé, les requérantes invoquent différents éléments :

  • des articles du domaine médical publiés entre 2006 et 2008 qui réfèrent à des études rapportant « une augmentation du risque d’événements cardio-vasculaires ou cérébraux vasculaires, d’insuffisance rénale ou de décès chez les patients à qui l’on a administré du Trasylol »6;
  • d’autres articles datant de 2006 faisant état d’une corrélation entre le Trasylol et ces risques7;
  • un avis de Santé Canada selon lequel « les médecins devraient n’administrer Trasylol que dans les situations où les bienfaits cliniques de la réduction des pertes sanguines sont essentiels au traitement médical du patient et l’emportent sur les risques possibles »8;
  • les résultats préliminaires d’une étude sur le même sujet effectuée à la demande de Bayer elle-même, laquelle confirme les études précédentes9;
  • la publication, en mars 2007, d’une mise à jour des directives concernant l’utilisation du Trasylol, y compris des précisions quant à « la contre-indication du médicament si le patient a été exposé à l’Aprotinine au cours des douze (12) derniers mois »10;
  • la suspension temporaire de l’utilisation du Trasylol en novembre 2007 ;
  • les conclusions d’une étude qui « établit un lien entre l’utilisation de Trasylol et une mortalité accrue par rapport à deux autres médicaments »11; et
  • la suspension de la production du Trasylol par Bayer.

Cependant, le 21 septembre 2011, à la suite d’un examen approfondi du médicament par Santé Canada, celle-ci autorise la commercialisation du Trasylol et se dit d’avis que les études établissant un lien entre l’utilisation du médicament et une mortalité accrue par rapport à d’autres médicaments n’étaient pas fiables12.

Les requérantes désirent agir pour le compte d’un groupe composé de :

Tous les résidants du Québec qui ont utilisé le Trasylol et qui ont subi des dommages des suites de l’utilisation de ce médicament ou qui sont une victime par ricochet ou tout autre groupe qui sera déterminé par le tribunal.

Quant à leurs recours individuels, le mari de la requérante Ramacieri est décédé en novembre 2004 « au cours d’une intervention chirurgicale visant à remplacer une valve cardiaque »13. Durant cette intervention, du Trasylol a été administré.

Le 15 novembre 2004, la requérante Laporte subit un pontage aorto-cardiaque et reçoit du Trasylol. Elle dit n’avoir jamais été informée des risques liés à son utilisation14.

III. La décision (l’honorable Daniel Dumais)

Le tribunal refuse d’autoriser le recours collectif pour deux motifs.

Dans un premier temps, il conclut que les requérantes n’ont pas été à même de démontrer l’existence d’une cause défendable (para. 1003b) C.p.c.). Bien qu’une preuve prépondérante ne soit pas requise à l’étape de l’autorisation, les allégations du requérant doivent être « suffisantes pour supporter un syllogisme juridique qui dépasse la simple hypothèse ou spéculation et qui justifie la tenue éventuelle d’un procès ». Le tribunal ajoute que « [l’]apparence [de droit] doit être sérieuse et on ne peut se contenter d’allégations vagues, générales ou imprécises »15.

Le tribunal rappelle également que c’est à partir de la cause d’action personnelle du requérant que le juge de l’autorisation doit analyser les critères de l’article 1003 C.p.c. De plus, chaque élément de responsabilité doit être démontré :

[38] Il faut donc étudier les recours personnels des requérantes et déterminer s'ils passent le seuil, peu exigeant mais néanmoins existant, de l'apparence de droit. S'agissant d'un recours en responsabilité civile extracontractuelle, vu l'absence de vente du médicament aux patients, il faut s'attarder aux trois (3) conditions régissant une telle poursuite, c'est-à-dire l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'une causalité entre elles. (Nos soulignements)

Dans la présente affaire, le tribunal estime, sans se prononcer sur le fond de la question, qu’il y avait suffisamment d’allégations de faits palpables « pour soutenir les prétentions des requérantes relativement à une connaissance et une dénonciation insuffisante [sic] des risques associés au Trasylol »16  et pour établir des préjudices indemnisables. Toutefois, aucune démonstration n’est faite quant au lien causal entre les prétendues fautes de Bayer et les préjudices décrits par les requérantes :

[55] Or, il s'agit d'affirmations générales qui énoncent une causalité non motivée et non appuyée par quelqu'élément que ce soit. La Cour reconnaît que la preuve peut se faire par présomption mais on n'identifie ici aucun fait qui puisse en soutenir l'existence.

[...]

[60] En l'espèce, il ne s'agit pas d'un cas où la chose parle par elle-même, (Res Ipsa Loquitur) entraînant un renversement du fardeau de la preuve. Présumer qu'un décès survenu dans le cours d'une chirurgie cardiaque est imputable à la prise d'un médicament requiert plus qu'un énoncé général dans une procédure, une pure hypothèse parmi tant d'autres et ce, même si ce médicament présente des risques. Quant au cas de Mme Laporte, il faut se rappeler que ses problèmes sont survenus environ une année après son opération, ce qui rend encore plus hypothétique le lien qu'on fait avec la prise du Trasylol. (Nos soulignements)

Dans un second temps, le tribunal conclut que les requérantes n’ont pas démontré l’existence d’un groupe (para. 1003c) C.p.c.). Alors qu’elles allèguent qu’il y aurait des centaines de membres putatifs au Québec, il s’agit d’une « pure spéculation » qui n’est bonifiée par aucun fait spécifique. Selon le tribunal, outre les requérantes, personne « ne s’est manifesté de quelque façon que ce soit afin de dénoncer [...] un préjudice en lien avec les faits reprochés ».

Quant au critère du paragraphe 1003a) C.p.c., celui ayant trait à la présence de question « identiques, similaires ou connexes », le tribunal se dit d’avis que « [l]es prétentions relatives à la divulgation des risques, leur suffisance ou leur exactitude soulèvent des interrogatoires qui rejoignent l’ensemble des patients traités avec le Trasylol »17.

Enfin, malgré l’absence d’une cause d’action individuelle de la part des requérantes, le tribunal reconnaît qu’une de celles-ci, Mme Ramacieri, fait preuve d’une détermination et d’une compétence adéquates pour remplir le critère du paragraphe 1003d) C.p.c.

IV. Commentaire de l’auteur

Dans cette décision, la Cour supérieure rappelle deux principes importants en matière de recours collectifs. Premièrement, pour établir une cause défendable, le requérant doit convaincre le tribunal que chaque élément du syllogisme juridique proposé se dégage des faits palpables qu’il allègue. Si ce syllogisme se fonde sur la responsabilité civile extracontractuelle, la requête pour autorisation doit démontrer l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux. Cette démonstration ne peut être complétée par des affirmations vagues ou imprécises, ni encore par des opinions, des hypothèses ou des conclusions. Deuxièmement, l’analyse à laquelle le juge de l’autorisation doit se prêter en vertu de l’article 1003 C.p.c. se fait nécessairement à partir de la réclamation individuelle du requérant. Autrement dit, le requérant doit être en mesure de démontrer que son recours personnel est viable afin de justifier la création d’un groupe et l’institution d’une action collective.

Cependant, la décision du tribunal à l’égard du paragraphe 1003d) C.p.c. est surprenante. Il observe que « [l]es intimées plaident que les requérantes n’ont pas d’intérêt personnel puisque leur recours n’est pas valable ». Cependant, selon le tribunal, « [c]ette position réfère à la seconde condition déjà analysée (art. 1003b) C.p.c.) et semble faire double emploi »18.

Cet aspect du raisonnement est difficilement conciliable avec la jurisprudence pertinente. Les critères de l’article 1003 C.p.c., bien que distincts, ne sont pas pour autant des compartiments étanches. Comme l’énonce la Cour d’appel dans l’arrêt Del Guidice c. Honda Canada inc., « les conditions prévues par le législateur pour l'exercice du recours sont comme des vases communicants, ce qui explique pourquoi, dans certaines circonstances, la contestation portant sur l'une d'entre elles peut entraîner la remise en question d'une autre »19.

Une des exigences sine qua non pour qu’un requérant puisse agir à titre de représentant du groupe est qu’il jouisse d’un intérêt suffisant. L’absence d’un tel intérêt est donc non seulement une constatation déterminante aux fins du paragraphe 1003b) C.p.c., mais également pour celles du paragraphe 1003d) C.p.c. Ainsi, dans l’arrêt Option Consommateurs c. Bell Mobilité20, la Cour d’appel énonce clairement qu’« une personne désignée qui n'a pas de recours personnel valable ne peut certes pas se qualifier à titre de représentant des membres dans le cadre d'un recours collectif »21. L’arrêt Contat c. General Motors du Canada ltée est tout aussi affirmatif : « [e]ven though it is not necessary to have the "best possible representative", appellant, having a non-existent or extremely weak personal claim, could not adequately represent the whole group »22.

Il ressort de ces décisions que l’absence d’un recours personnel de la part du requérant est pertinente quant à la démonstration d’une cause défendable et, de façon concomitante, quant à l’évaluation de la qualité du représentant proposé. Invoquer cette lacune fatale lors de l’analyse des paragraphes 1003b) et d) C.p.c. est un « double emploi » logique, approprié et indiqué par la jurisprudence.


1 Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, [2014] 1 R.C.S. 3, par. 37.
2 2015 QCCS 4881.
3 Ibid., par. 1.
4 [1996] Ibid.
5 [2006] Ibid., par. 3.
6 Ibid., par. 11.
7 Ibid., par. 12.
8 Ibid., par. 13.
9 Ibid., par. 14.
10 Ibid., par. 16.
11 Ibid., par. 18.
12 Ibid., par. 21.
13 Ibid., par. 9.
14 Ibid., par. 10.
15 Ibid., par. 35.
16 Ibid., par. 49.
17 Ibid., par. 34.
18 Ibid., par. 84.
19 2007 QCCA 922.
20 2008 QCCA 2201.
21 Ibid., par. 54.
22 2009 QCCA 1699, par. 33.

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About the Author

Shaun E. Finn

Shaun E. Finn
Avocat, BCF, Avocats d’affaires

Shaun E. Finn est un avocat du service montréalais du litige de BCF et coresponsable de l'équipe stratégique en défense d’actions collectives du cabinet. Sa pratique comprend des dossiers complexes en litige commercial et en actions collectives.

Après avoir été stagiaire et auxiliaire juridique à la Cour d’appel du Québec, en 2004, Me Finn a plaidé au Tribunal administratif du Québec, à la Cour municipale, au Tribunal canadien du commerce extérieur, à la Cour supérieure du Québec, à la Cour d’appel du Québec, et à la Cour d’appel fédérale.

Dans le cadre de son travail en actions collectives, Me Finn a représenté des sociétés et institutions défenderesses dans les secteurs de la responsabilité de produits, des sinistres collectifs, de la protection des consommateurs, du respect de la vie privée et des valeurs mobilières. Il a été cité par divers tribunaux, dont la Cour supérieure du Québec, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada. Il a également été interviewé par Law Times, Investment Executive et par National pour faire valoir son point de vue sur les tendances nationales en matière d’actions collectives.

Me Finn a écrit deux ouvrages portant sur le recours collectif :

Recours singulier et collectif : Redéfinir le recours collectif comme procédure particulière
(Montréal : Yvon Blais, 2011)

Class Actions in Quebec: Notes for Non-residents
(Montréal : Carswell, 2014)

Il prépare actuellement une deuxième édition de Recours singulier et collectif, dont la publication est prévue au printemps de 2016.

Me Finn est auteur collaborateur de Defending Class Actions in Canada (2e, 3e et 4e éd.) et a publié plusieurs articles juridiques dans la Revue du Barreau canadien, le Revue canadienne des recours collectifs, la Revue générale de droit, Développements récents, Class Action Defence Quarterly, La référence et le blogue juridique des Éditions Yvon Blais (une société Thomson Reuters).

Me Finn enseigne également en matière d’actions collectives à la Faculté de droit de l’Université McGill à titre de chargé de cours.

Me Finn est titulaire d’un B.C.L. et d’un LL.B. de l’Université McGill, ainsi que d’un LL.M de l’Université Laval. Avant ses études en droit, il a obtenu un B.A en Société et culture occidentales au Liberal Arts College de l’Université Concordia, et a terminé des études de cycle supérieur en journalisme (Dip. Journ.) et en littérature anglaise (M.A.).