Depuis le 15 mars 2020, les délais de procédure civile et les délais de prescription extinctive et de déchéance en matière civile ont été temporairement suspendus en raison de l’état d’urgence relié à la COVID-19.
Le 13 juillet dernier, le ministre de la Justice et procureur général du Québec et la juge en chef du Québec ont annoncé la levée de la suspension des délais à compter du 1er septembre 2020, laquelle est entrée en vigueur suite à l’adoption de l’arrêté numéro 2020-4303 de la juge en chef du Québec et du ministre de la Justice en date du 31 août 2020.
La durée totale de la suspension des délais susmentionnés est d’une durée totale de 170 jours (5 mois et 17 jours).
Il est donc primordial, suite à cette annonce, de calculer les nouveaux délais applicables.
Le présent billet vise à expliquer les grandes lignes de l’impact de la suspension (et de la levée de la suspension) au niveau des délais en matière civile.
Pour obtenir un calcul juste, il faut d’abord se demander quand venait à échéance le délai: pendant la période de suspension (du 15 mars inclusivement au 31 août 2020) ou après ladite période (dès le 1er septembre 2020).
Il fait également se demander à quel moment le délai a-t-il débuté : pendant la période de suspension (du 15 mars inclusivement au 31 août 2020) ou après ladite période (dès le 1er septembre 2020).
Les délais de prescription extinctive et de déchéance qui ont débuté avant le 15 mars 2020 ont recommencé à courir pour le temps restant auxdits délais.
Par exemple, un délai de prescription qui venait à échéance le 20 mars 2020 :
- Six (6) jours demeuraient à courir en date du 14 mars 2020, soit du 15 au 20 mars 2020 inclusivement.
- Ce délai sera alors prolongé au 6 septembre 2020 (6 jours à compter du 1er septembre inclusivement).
En ce qui concerne les délais qui auraient dû débuter durant la période de suspension ceux-ci commenceront à courir uniquement à compter du 1er septembre 2020.
Par exemple, si une Demande introductive d’instance a été signifiée le 30 juin 2020 :
- Le délai de quinze (15) jours pour répondre à l’assignation débutera le 1er septembre 2020;
- La réponse devra être produite au plus tard le 16 septembre 2020 (15 jours à compter du 2 septembre 2020), puisque le jour marquant le point de départ du délai (soit le 1er septembre 2020) n’est pas compté en vertu de l’article 83 C.p.c.
Autre exemple : si un jugement assujetti à un délai d’appel de 30 jours a été rendu le 2 août 2020, alors le calcul du délai d’appel de 30 jours débutera le 2 septembre 2020 (puisque le 1er septembre ne sera pas compté) et se terminera le 1er octobre 2020.
L’arrêté prévoit également un délai additionnel de 45 jours de grâce pour certains cas :
- Aux délais prévus par la loi pour déposer un protocole d’instance dans les affaires où une Demande introductive d’instance a été déposée au greffe du tribunal avant le 1er septembre 2020;
- Aux délais prévus dans un protocole de l’instance déposé au greffe du tribunal avant le 1er septembre 2020;
- Aux délais de mise en état d’un dossier pour les instances où la Demande introductive d’instance a été déposée au greffe du tribunal avant le 1er septembre 2020.
Toutefois,
et comme le rappelle le Ministère de la Justice, le délai additionnel de 45 jours ne s’applique pas :
- Si les parties étaient en défaut avant le 15 mars 2020 de respecter les délais visés au protocole de l’instance;
- Aux délais prévus dans un protocole de l’instance déposé à compter du 1er septembre 2020;
- À une proposition de protocole.
Il importe de préciser que cette prolongation automatique ne s’appliquera pas dans le cas où un tribunal en aura décidé autrement, ce qui sera le cas si un délai spécifique a été fixé dans un jugement.
La suspension des délais aura une incidence sur les délais et les dates pour mettre en état un dossier judiciaire et pour l’inscrire pour instruction et jugement.
Par exemple, la computation des délais pour une Demande introductive d’instance signifiée le 20 mars 2020, donc durant la période de suspension :
- Le délai de 45 jours pour déposer le protocole de l’instance a été suspendu;
- Le protocole de l’instance devra être déposé au greffe du tribunal au plus tard le 30 novembre 2020 (45 jours prévus au C.p.c. et un délai additionnel de 45 jours);
- Puisque le protocole est présumé accepté dans les 20 jours suivants son dépôt (art. 150 al.1 C.p.c.), soit le 20 décembre 2020 (30 novembre 2020 + 20 jours), la date de mise en état du dossier sera le 21 juin 2021 (20 décembre 2020 + 6 mois).
Pour un délai prévu par le Protocole de l’instance ayant commencé à courir avant le 15 mars 2020, mais non entièrement écoulé, le délai recommencera à courir à partir du 1er septembre 2020 :
- Le délai prévu au Protocole sera prolongé du nombre de jours total écoulé durant la période de suspension (170 jours) auquel s’ajoutera un délai de 45 jours pour un total de 215 jours.
Pour la mise en état d’un dossier où la Demande introductive d’instance a été signifiée avant le 15 mars 2020 et les parties n’étaient pas en défaut de respecter les échéances prévues au protocole de l’instance avant le 15 mars 2020 :
- Par exemple, pour un délai de six (6) mois pour la mise en état du dossier qui a débuté le 1er mars 2020 et qui arrivait à échéance le 1er septembre 2020, il faut y ajouter la durée totale de la suspension du délai (170 jours), et le délai additionnel de 45 jours.
- La date de mise en état du dossier est donc reportée au 4 avril 2021 (1er septembre 2020 + 170 jours + 45 jours).
Pour la mise en état d’un dossier dont la Demande introductive d’instance a été signifiée entre le 15 mars et le 31 août 2020 inclusivement, et où les parties n’ont pas déposé le protocole de l’instance, le calcul commence à compter du 1er septembre 2020 :
- Par exemple, pour une Demande introductive d’instance signifiée le 20 mars 2020 et où les parties n’ont pas déposé de Protocole de l’instance, la date de mise en état du dossier est le 15 avril 2021, en considérant le délai additionnel de 45 jours (1er septembre 2020 + 6 mois + 45 jours).
Il importe de préciser qu’aucune démarche n’est requise pour obtenir/pouvoir se prévaloir de ces délais additionnels.
Outre les délais en matière de procédure civile, la suspension s’applique également aux délais de prescription prévus par le Code civil du Québec, ce qui fait en sorte qu’on doit ajouter 170 jours à la date initiale de fin d’un délai de prescription, dans la mesure où celui-ci a commencé à courir avant le 15 mars 2020. Par exemple, un délai de prescription de 3 ans qui arrivait à échéance le 31 octobre 2020 (et qui a débuté le 31 octobre 2017) se terminera maintenant le 19 avril 2021, soit 170 jours plus tard. Si l’événement qui est le point de départ de la prescription est survenu entre le 15 mars 2020 et le 31 août 2020, le point de départ du calcul de la prescription débutera le 2 septembre 2020 (puisque le premier jour, soit le 1er septembre 2020, n’est pas compté en vertu de l’article 83 C.p.c.).
Il est également important de ne pas oublier l’incidence de la suspension des délais susmentionnée sur certains délais, notamment ceux en matière d’hypothèques légales de la construction, dont notamment celui de l’article 2727C.c.Q. qui prévoit l’extinction de l’hypothèque légale de la construction qui n’a pas été conservée notamment par la publication d’un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire dans les six mois suivant la fin des travaux.
Un tel délai, tout comme celui pour publier au registre foncier un avis d’hypothèque légale de la construction, constituent des délais de déchéance et sont ainsi visés par la suspension de 170 jours applicable en raison du décret et de l’arrêté, dans la mesure bien évidemment où la computation du délai a débuté avant le 15 mars 2020 ou entre le 15 mars et le 31 août 2020.
Il est donc important de retenir les éléments suivants :
- Le calcul du délai qui a commencé à courir avant le 15 mars 2020 va être suspendu du 15 mars 2020 inclusivement au 31 août 2020 (soit 170 jours), et recommencera à courir pour le nombre de jours restant à compter du 1er septembre 2020;
- Le délai qui aurait normalement commencé à courir durant la période de suspension commencera à courir en entier à compter du 2 septembre 2020;
- Le délai dont l’événement constituant le point de départ de son calcul qui est survenu le 1er septembre 2020 ou après ne sont pas visés par la suspension des délais résultant du décret et de l’arrêté susmentionnés;
- Les délais et prescription (extinctive ou acquisitive) et de déchéance du Code civil du Québec qui avaient débuté en date du 14 mars dernier doivent être prolongés de 170 jours. Il est donc important de tenir compte de la suspension des délais pour déterminer la date à laquelle se terminera le délai prolongé en tenant compte de la suspension susmentionnée de 170 jours.