Droit de la famille — 24188, EYB 2024-541282, C.S., 15 février 2024.
Le demandeur a été condamné à une peine d’emprisonnement pour agressions sexuelles. L’une de ses victimes est la défenderesse. De cette agression est né un enfant. Un test d’ADN ayant été effectué en vertu d’une ordonnance du tribunal est venu confirmer que le demandeur est le père. Ce dernier s’est désisté de son action en reconnaissance de paternité lorsque la mère s’est opposée à l’établissement d’un lien de filiation suivant l'art. 542.24 C.c.Q. et réclamé une contribution financière à titre d’aliments sous forme d’une somme forfaitaire. Étant d’avis que le désistement est stratégique et de mauvaise foi, la mère souhaite que son agresseur ne puisse plus solliciter l’établissement d’un lien de filiation. Elle veut l’empêcher définitivement de présenter une nouvelle demande en ce sens, sachant que les actions relatives à la filiation sont imprescriptibles. Elle soutient que l’intention du législateur, en adoptant l'art. 542.24 C.c.Q., était d'éviter que les victimes d’agression sexuelle et l’enfant issu de l’agression vivent le même calvaire qu’elle a vécu. Par conséquent, selon elle, un enfant devrait avoir le droit de s’opposer à ce qu’un lien de filiation soit établi entre lui et la personne qui a commis l’agression sans qu’il soit nécessaire que cette personne ait entrepris un recours.
Il n’est pas nécessaire de déterminer si la loi permet à une victime, même en l’absence d’une demande relative à la filiation, de s’opposer à l’établissement d’un lien de filiation avec l’agresseur, puisqu'il est essentiel de rejeter le désistement du demandeur. Conclure autrement serait contraire à l’intérêt de l’enfant et laisserait la mère avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Le désistement n’est pas un droit absolu. Le tribunal peut, dans l’exercice de sa discrétion judiciaire, le rejeter lorsqu’il cause un préjudice. En l’espèce, la demande en reconnaissance de paternité a conféré des droits à l’enfant et à sa mère. Le désistement leur est clairement nuisible, alors que le demandeur utilise une technique procédurale pour échapper à une issue défavorable dans l’espoir de pouvoir plus tard tenter de réclamer l’établissement d’un lien de filiation.
L’intérêt de l’enfant ne milite clairement pas en faveur de lui imposer un père qui, en plus d’avoir commis des actes très graves et violents envers sa mère, a des antécédents judiciaires en matière de violence sexuelle et présente un haut risque de récidive. Le demandeur est complètement absent de la vie de l’enfant. Il n’existe aucun lien d’attachement. L’enfant doit être protégé de cet homme qui risque de lui transmettre des valeurs morales inacceptables. Non seulement il convient d’accueillir l’opposition à l’établissement d’un lien de filiation, mais il y a lieu de déclarer que le demandeur ne pourra plus jamais demander d'être reconnu comme étant le père de l’enfant.
Celui qui commet une agression sexuelle doit payer à la victime une contribution alimentaire pour l’enfant qui en est issu sous forme d’une somme forfaitaire. L’art. 542.33 C.c.Q. édicte que le ministre de la Justice peut, par règlement, déterminer les normes suivant lesquelles la contribution est fixée. Ce règlement n’existe pas pour le moment et l’utilisation des barèmes québécois pour fixer la contribution financière ne semble pas correspondre à l’intention du législateur, puisqu’il ne s’agit pas d’un régime de pension alimentaire régulier. De plus, le montant forfaitaire est attribué pour satisfaire aux besoins de l’enfant de sa naissance jusqu’à l’atteinte d’une autonomie suffisante. L’art. 542.33 C.c.Q. ne fait aucunement mention du fait qu’il faut prendre en compte la capacité financière de l’auteur de l’agression ni de celle de la mère de l’enfant. La somme forfaitaire doit uniquement être fixée sur la base des besoins de l’enfant. Considérant que la contribution devrait débuter à la fin de la peine du demandeur et se continuer jusqu’à ce que l’enfant atteigne la majorité, que le coût moyen des frais pour un enfant en bonne santé s’établit à 14 000 $ par année et que le taux d’actualisation prescrit par règlement représente 3,25 %, il y a lieu d’accorder à la mère une somme forfaitaire de 155 483,42 $.