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L’exploitant d’un chenil est condamné à payer 5 000 $ à son voisin, en plus d’être tenu de prendre les moyens nécessaires pour faire cesser tout aboiement susceptible d’être entendu par ce dernier

Résumé de décision : Gosselin c. Roussel, EYB 2015-249345 (C.S., 12 mars 2015)
L’exploitant d’un chenil est condamné à payer 5 000 $ à son voisin, en plus d’être tenu de prendre les moyens nécessaires pour faire cesser tout aboiement susceptible d’être entendu par ce dernier

Gosselin plaide que c'est illégalement que Roussel exploite sa pension pour chiens puisque le permis pour changement d'usage émis en 1999 par la municipalité est invalide pour trois motifs :

1) la municipalité devait prendre l'avis du comité de consultation agricole (le CCA) en vertu de l'article 148.1 de la Loi sur l'Aménagement et l'Urbanisme (la LAU), ce qu'elle n'a pas fait;
2) une autorisation de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (la CPTAQ) était nécessaire et elle n'a pas été obtenue et
3) l'inspecteur qui a émis le permis a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon manifestement déraisonnable.

 Gosselin plaide que lorsque l'opération n'est pas permise par la CPTAQ, une injonction peut être émise par le tribunal même s'il y a eu autorisation par la municipalité. Quant aux dommages, Gosselin fait référence aux nuisances depuis 18 ans reliées surtout aux jappements et hurlements des chiens. Il considère aussi les odeurs en provenance de chez le voisin et la présence de chiens sur son terrain, avant l'installation d'une clôture avec des barrières, et des excréments en résultant.

En ce qui concerne la municipalité, Gosselin lui reproche, en plus d'avoir émis illégalement le permis de changement d'usage permettant à Roussel d'opérer sa pension pour chiens et de refuser illégalement de prendre copie du document assortissant soi-disant le permis à certaines restrictions, de ne pas faire respecter ses règlements et de porter atteinte à ses droits fondamentaux par le biais d'agissements de certains des représentants de la municipalité.

La requête est accueillie en partie. L'article 689 du Code municipal (le CM) prévoit la possibilité de casser un règlement ou une résolution d'une municipalité ainsi que d'un acte des officiers municipaux pour cause d'illégalité. L'article 692 CM détermine que le droit de recours accordé par l'article 689 se prescrit par trois mois à compter de la passation de l'acte. Cependant, le recours direct en nullité peut être utilisé à titre alternatif à cause du pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure sur les corps politiques publics. Dans l'affaire Beauchemin c. Varennes (Ville de), le juge Dugré de la Cour supérieure reproduit des passages de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Immeubles Port-Louis ltée c, Lafontaine (Village de) relatifs à la distinction entre les deux recours. Le juge Gonthier y rappelle d'abord que selon les décisions antérieures, quand il s'agit de nullité absolue, le recours direct en nullité peut être utilisé, mais quand il s'agit d'illégalités provenant d'informalités et d'irrégularités, il faut recourir au mode spécial indiqué par la loi. La Cour suprême reproduit le passage d'un arrêt de la Cour d'appel dans Ville de La Tuque v. Desbiens pour cerner la notion de nullité absolue, passage dans lequel le juge Rivard écrivait que «le plus loin qu'il semble que l'on puisse aller, ce serait de dire que le recours de l'article 50 [aujourd'hui 33 (C.p.c.) doit être accueilli lorsque, à cause d'un défaut de compétence, d'une fraude, d'un vice flagrant équivalant à un excès de pouvoir, ou d'une violation évidente de la loi, l'acte attaqué doit être considéré comme frappé d'une nullité radicale».

Dans le cas à l'étude, la municipalité avait certes l'autorité pour délivrer un permis de changement d'usage pour une pension pour chiens. En outre, le soi-disant défaut de consultation du CCA de la M.R.C. est une question de formalité. Il est d'ailleurs manifeste qu'elle ne s'applique pas à la délivrance par la municipalité du permis de changement d'usage. Cependant, le défaut d'obtenir l'autorisation de la CAPTAQ, le cas échéant, ou, pour la municipalité, de l'exiger, paraît donner ouverture au recours direct en nullité puisque si cette autorisation était exigible, la municipalité aurait outrepassé son pouvoir en accordant le permis pour une zone où le changement d'usage doit être autorisé par un autre organisme relevant également de l'autorité de la législature. D'ailleurs, l'extrait de l'arrêt de la Cour d'appel dans l'affaire Ville de La Tuque c. Desbiens cité par la Cour suprême dans l'affaire Immeubles Port-Louis ltée qui dit que « le recours (en nullité) existe, en principe, lorsque le conseil municipal a empiété sur une juridiction qui n'était pas la sienne » s'applique à l'acte d'un fonctionnaire municipal.

La distinction est d'importance en l'espèce non seulement à cause du choix du recours, mais également à cause du délai dans lequel doit être exercé le recours, soit un délai raisonnable. Selon les auteurs cités par la municipalité, le délai raisonnable est de 30 jours comme en matière de recours extraordinaire, sauf au cas de circonstances particulières. Dans l'affaire Immeubles Port-Louis ltée, la Cour suprême du Canada convient que le juge de la Cour supérieure a bien exercé sa discrétion en déterminant qu'un délai de cinq ans pour exercer le recours était excessif non pas parce qu'il dépassait le délai de 30 jours, mais à cause des circonstances de l'espèce. La Cour suprême du Canada cite d'ailleurs un arrêt de la Cour d'appel dans lequel un délai de sept ans n'a pas été jugé excessif.

En l'espèce, le délai n'est pas déraisonnable, considérant que Roussel n'a pas attendu le permis pour commencer à exploiter son commerce : il a opéré des années sans permis. Une annulation ne lui causerait donc pas de préjudice par le fait de l'écoulement du temps entre l'obtention du permis et l'introduction de l'instance en avril 2013. Pour la municipalité, la question du préjudice ne se pose pas.

Par ailleurs, en vertu de l'article 101 de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (la LPTAA), une personne peut, sans l'autorisation de la commission, aliéner, lotir et utiliser à une fin autre que l'agriculture un lot situé dans une région agricole désignée, une aire retenue aux fins de contrôle ou une zone agricole, dans la mesure où ce lot était utilisé ou faisait déjà l'objet d'un permis d'utilisation à une fin autre que l'agriculture lorsque les dispositions de la présente loi visant à exiger une autorisation de la commission ont été rendues applicables sur ce lot. Ce droit n'existe qu'à l'égard de la superficie du lot qui était utilisée à une fin autre que l'agriculture ou pour laquelle un permis d'utilisation à une fin autre que l'agriculture avait déjà été délivré lorsque les dispositions de la présente loi visant à exiger l'autorisation de la commission ont été rendues applicables à ce lot. L'article 101.1 de la LPTAA prévoit que malgré l'article 101, une personne ne peut, à compter du 21 juin 2001, ajouter une nouvelle utilisation principale à une fin autre que l'agriculture sur la superficie bénéficiant de ce droit ni modifier l'utilisation existante en une autre utilisation à une fin autre que l'agriculture, sans l'autorisation de la commission.

Dans un cas similaire à notre cause, soit l'affaire Commission de protection du territoire agricole du Québec c. Cour du Québec & Als., le juge Dubois de la Cour supérieure confirme la possibilité de changement de destination d'utilisation sans l'autorisation de la CPTAQ sur un lot jouissant d'un droit acquis avant l'ajout de l'article 101.1. En l'espèce, cela signifie qu'aucune autorisation de la CPTAQ n'était requise pour délivrer le permis puisque l'usage n'était déjà pas agricole à l'époque de l'entrée en vigueur de la LPTAA en 1978 et que le changement d'usage s'est fait avant 2001. D'autre part, le fait que le permis émis en 1999 l'ait été au nom de la conjointe de Roussel de l'époque n'a pas d'impact sur les droits acquis qui se rattachent au lot et non pas à la personne.

En ce qui a trait à la délivrance du permis, l'on pourrait sans doute considérer que le recours en nullité serait possible si la décision de l'inspecteur était déraisonnable comme Gosselin le plaide, si tant est que sa décision relevait d'un pouvoir discrétionnaire. Or, l'inspecteur municipal qui a procédé agissait plutôt dans le cadre d'un acte de compétence liée. À partir du moment où les conditions pour la délivrance du permis étaient réunies, notamment et principalement en ce que le règlement de zonage permettait l'usage sollicité, il n'avait pas le choix de délivrer le permis.

Les limitations à l'obligation prévue à l'article 976 C.c.Q., soit d'accepter les inconvénients du voisinage n'excédant pas les limites de la tolérance, lesquels doivent s'apprécier en fonction de la situation des fonds concernés et des usages locaux, ne s'appliquent pas en matière de réglementation municipale, dont celle sur les nuisances. Dans cette perspective, les efforts accomplis par Roussel pour diminuer les inconvénients causés par son commerce perdent de leur importance. Il s'agissait tout simplement de se conformer à la réglementation municipale sur les nuisances que Roussel se trouvait à violer avant l'installation de la clôture. De plus, certaines des autres mesures qu'il a appliquées, comme la construction d'une annexe, n'ont pas fait l'objet d'une preuve d'expert. En outre, l'efficacité de la construction de Roussel pour y placer les chiens dans une annexe à sa résidence est sérieusement mise en doute par la preuve de Gosselin portant sur des gémissements continus fort dérangeants s'étirant sur des heures, gémissements émis par un des chiens alors qu'il se trouvait dans l'annexe. D'autre part, au moins depuis 1997, les jappements et hurlements susceptibles de troubler la paix ou d'importuner le voisinage font l'objet d'une infraction aux différents règlements de nuisance de la municipalité. Depuis juin 2013, l'infraction est attribuée au gardien du chien dont l'animal jappe, aboie, hurle ou gémit de manière à troubler la paix et la tranquillité. Il est passible d'une amende minimum de 100 $ par jour (dans le cas d'une personne physique comme Roussel) pour chaque jour que l'infraction continue.

Roussel, expliquant ses critères pour décider de faire une intervention pour faire cesser les jappements s'est livré à un exercice pour évaluer le nombre de jappements sur un certain laps de temps qui seraient tolérables. Un ou deux jappements à l'intérieur d'une minute seraient acceptables, mais des jappements en cascade, plus de deux se succédant, seraient de son propre aveu intolérables. Donc, si plus de deux jappements en cascade répondent à la définition du règlement lorsqu'il y est question de troubler la paix, il est manifeste que Roussel risque de violer la réglementation à chaque occasion où il sort les chiens puisqu'il ne peut savoir à l'avance s'il y aura jappements et à quel rythme. Roussel admet que c'est impossible à éviter complètement.

Évidemment, il n'y a pas de droit acquis découlant de la commission répétée d'infractions parce qu'il n'y a pas eu de poursuites. Ici, Roussel a acheté une propriété pour y exploiter une pension pour chiens sur un lot relativement petit jouxtant à distance rapprochée une autre résidence. Cet état de fait ne le dispense pas du respect du règlement. Dans l'affaire Picard c. Pointe-Lebel, la propriété du demandeur était située à 600 ou 700 pieds de la propriété de l'exploitant alors que l'habitation du demandeur en l'instance est située à 150 pieds de celle du défendeur. Il s'ensuit que Roussel est responsable des inconvénients causés au demandeur par les jappements des chiens (les siens et ceux qu'il garde) et qu'il y a lieu de le condamner à indemniser Gosselin des dommages qu'il a subis pour la période qui n'est pas prescrite et d'émettre une injonction pour le forcer dans le futur à se conformer au règlement municipal. Le tribunal a cherché à identifier des modalités d'exploitation du chenil de Roussel faisant qu'il n'y aurait plus de jappements ou de gémissements audibles de la propriété de Gosselin, mais Roussel est le mieux placé pour les trouver, si tant est que la chose soit possible. Roussel est d'ailleurs responsable de le faire par le règlement. D'autre part, le tribunal évalue arbitrairement, en l'absence de référence quelconque, à 1 000 $ par année les inconvénients subis par Gosselin causés par les chiens propriété ou sous la garde de Roussel après l'installation de la clôture. Ce dernier sera donc condamné à payer 5 000 $ pour les jappements de 2010 à 2014 inclusivement.

Cependant, l'atteinte de Roussel aux droits fondamentaux de Gosselin, si tant est que ce soit le cas, n'est pas intentionnelle. Il n'y a donc pas condamnation de Roussel à des dommages punitifs.

Quant à la municipalité, même si sa préposée a commis une faute en ne remettant pas au demandeur la copie du document demandé qui comporterait des restrictions au permis pour le changement d'usage (cette copie aurait été délivrée à la conjointe d'alors du défendeur selon le demandeur), il n'y aurait pas matière à condamnation de la municipalité, cette faute n'ayant pas causé de dommages au demandeur et la municipalité n'ayant pas commis d'autre faute. En effet, l'existence du document a été établie par la preuve. S'agissant d'un document public, la représentante de la municipalité devait en remettre copie à Gosselin. À partir du moment où la preuve démontre que le document a été perdu ou détruit, le témoignage de Gosselin pour en établir le contenu est permis. Or, même en reconnaissant que son contenu était des restrictions aux conditions du permis, ce document n'est d'aucun secours au demandeur puisqu'il émanerait d'un inspecteur qui ne peut édicter de règlements. Ainsi, aucun dommage n'a résulté de l'omission de transmettre copie du document à Gosselin.

Par ailleurs, la municipalité n'a pas commis d'erreur et encore moins de faute en émettant le permis pour un changement d'usage principal de résidence à pension pour chiens sur la propriété du défendeur. Elle n'a pas commis non plus de faute en ne poursuivant pas Roussel pour violation du règlement contre les nuisances même si l'un de ses représentants, Rochon, a entendu quelques jappements lorsqu'il s'est approché de l'annexe de la maison où sont gardés les chiens lorsqu'il s'est avancé sur la propriété du défendeur. Une municipalité jouit d'une certaine discrétion dans l'application de sa réglementation. Ainsi, il n'y a pas matière à condamnation de la municipalité à des dommages compensatoires et encore moins à des dommages punitifs pour les fautes qui lui sont reprochées - ou à ses représentants - par Gosselin dans sa requête.


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