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Pour avoir harcelé le demandeur, lui avoir proféré des menaces et porté atteinte intentionnellement à ses droits en compilant, distribuant et publiant sur Internet des photos de lui et des informations personnelles le concernant, le défendeur, un résident du Vermont, devra lui payer 64 500 $, dont 30 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.

Résumé de décision : W. F. c. Butzlaff, EYB 2021-419658, C.S., 25 novembre 2021
Pour avoir harcelé le demandeur, lui avoir proféré des menaces et porté atteinte intentionnellement

Le demandeur (W. F.) explique qu’il est un citoyen américain qui réside à Ville A., au Québec. Il est étudiant au doctorat et est chargé de cours à l’université. En 2017, il travaillait aussi à son propre compte comme massothérapeute. C’est dans ce dernier contexte qu’il a fait la connaissance du défendeur (Butzlaff), un résident du Vermont qui visitait régulièrement Ville A à cette époque et qui est devenu un client régulier. Leur relation, d’abord professionnelle, s’est transformée en une amitié impliquant d’occasionnelles relations sexuelles. Au cours d’un voyage qu’ils ont fait en juillet 2018, W. F. a toutefois réalisé que les attentes de Butzlaff ne correspondaient pas aux siennes et il a senti le besoin de « faire le point » avec lui. Par la suite, Butzlaff a adopté un comportement de plus en plus agressif et possessif envers lui, ce qui a entraîné de nombreux conflits. Au retour, ils ont décidé qu’une certaine distance devait être établie entre eux. Les choses n’en sont toutefois pas restées là. Butzlaff est devenu de plus en plus obsédé et insistant. Ce sont les gestes qu’il a posés à compter d’octobre 2018 qui sont à l’origine du litige. Ni les demandes verbales de W. F., ni les plaintes qu’il a déposées à la police, tant du côté américain que du côté canadien, ni la mise en demeure qu’il a fait signifier à Butzlaff n’ont convaincu ce dernier de cesser ses manoeuvres vengeresses. Le 17 juin 2020, W. F. a donc déposé devant la Cour supérieure du Québec une demande en dommages-intérêts et en injonction. Butzlaff n’a pas produit de réponse, mais il a transmis à W. F. une lettre dans laquelle il lui a écrit que, s’il retirait les plaintes criminelles déposées contre lui, il détruirait de son côté tous les documents et toutes les photos le concernant qui sont en sa possession et supprimerait tous les sites Internet qu’il a créés depuis l’automne 2018 pour diffuser ces informations. L’instance a été scindée. Le 6 juillet 2021, la juge Beaugé a prononcé l’injonction sollicitée. Le présent jugement décide des autres questions en litige.

Butzlaff n’a pas de résidence connue au Québec. Cependant, il réside aux États-Unis, un État qui, comme le Canada, est signataire de la Convention relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale. L’art. 494 C.p.c. s'applique donc. Par ailleurs, W. F. connaît l'adresse de Butzlaff au Vermont et a pu en obtenir la confirmation. Il a produit les attestations délivrées par l'Autorité centrale des États-Unis qui font preuve de la signification à Butzlaff de la demande introductive d’instance, le 10 juillet 2020, et de la demande modifiée, le 1er janvier 2021. Précisons que, bien que le demandeur ait été identifié par ses initiales dans la demande initiale, il a été identifié par son nom complet dans la demande modifiée et dans la demande de signification à l'étranger qui ont été signifiées à Butzlaff. Dans ces circonstances, le tribunal est convaincu que la demande a été correctement signifiée à Butzlaff.

La Cour supérieure du Québec a compétence sur le litige, en vertu des art. 3141 et 3148 C.c.Q. W. F. est domicilié au Québec et son préjudice a été subi au Québec. De plus, certaines des fautes commises par Butzlaff l’ont été au Québec. Par ailleurs, puisque certains des actes reprochés ont eu lieu au Québec, où le préjudice a aussi été subi, et que Butzlaff ne plaide pas ni ne prouve que le droit du Vermont s’applique, le droit du Québec s'applique en vertu de l’art. 3126 C.c.Q.

W. F. établit que Butzlaff a porté atteinte — et continue de porter atteinte —, à ses droits au respect de sa vie privée (incluant son droit à l’image) et à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation, protégés par les art. 35 à 37 C.c.Q. ainsi que par les art. 4 et 5 de la Charte québécoise, notamment en compilant, en distribuant (notamment par courriels) et en publiant sur Internet des photos intimes de lui et des informations personnelles le concernant, le tout sans son autorisation. À l’évidence, Butzlaff s’est embarqué dans une véritable campagne de vengeance qui n’a d’autre but que de blesser W. F., l’humilier et ternir sa réputation. Sa mauvaise foi ne fait aucun doute. Les faits prouvés le démontrent explicitement.

Le montant global de 25 000 $ réclamé par W. F. pour compenser ses dommages moraux est accordé. La preuve administrée nous convainc que ce montant est pleinement justifié. Les 9 500 $ réclamés pour les pertes pécuniaires sont aussi accordés. W. F. a démonté qu’il a été dans l’incapacité de faire son travail d’édition pendant un certain temps en raison de son état psychologique découlant des gestes de Butzlaff, un dommage qu’il évalue à 500 $. De plus, il n’a pas pu enseigner pendant toute une session de l’année scolaire 2020-2021 et a donc subi à ce chapitre une perte de salaire de 9 000 $.

W. F. a aussi droit aux dommages-intérêts punitifs de 30 000 $ qu’il réclame. Ce montant est élevé, mais il est justifié, dans les circonstances. Il est manifeste que Butzlaff avait l’intention de le blesser et de porter atteinte à ses droits comme conséquence de son refus de poursuivre leur relation. De plus, la faute commise est grave : on ne parle pas ici d’un seul épisode de colère ou de frustration ; les gestes fautifs de Butzlaff ont été soigneusement planifiés et ont été commis à répétition sur une période de plusieurs mois. En outre, il n’a jamais manifesté aucun regret ni remords quant aux effets que ses gestes ont eus sur W. F. Il persiste même encore aujourd’hui, malgré l’ordonnance prononcée dans le dossier. Cela oblige W. F. à utiliser un pseudonyme pour vivre sa vie dans une certaine normalité. Enfin, mentionnons que la preuve établit que Butzlaff est un ancien professeur qui exploite aujourd’hui au Vermont un Bed-and-breakfast. Il n’est donc pas sans ressources financières.

Depuis le jugement du 6 juillet 2021 prononçant les conclusions de nature injonctive, W F. a découvert que Butzlaff avait créé un autre site Internet sur lequel il a publié ses images intimes et informations personnelles. Dans ce contexte, le tribunal accepte aussi la demande de W. F. de prononcer une ordonnance plus large encore, exigeant de Butzlaff qu’il retire immédiatement toutes les photos et informations concernant W. F. de tous les sites Internet qu'il contrôle ou peut contrôler.

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