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La clause d’exclusion de garantie en cas de suicide invoquée par l’assureur est nulle et sans effet, puisqu’elle n’est pas clairement indiquée sous un titre approprié du contrat d’assurance litigieux. Simplement intitulée « Suicide », cette clause apparaît non pas sous le titre « Exclusions » du contrat, comme elle se devrait, mais sous le titre « Dispositions générales ».

Résumé de décision : Bolduc c. SSQ Assurance EYB 2023-511152, C.S., 3 février 2023.
La clause d’exclusion de garantie en cas de suicide

Le 19 février 2018, François Roch, titulaire d’une police d’assurance vie émise par SSQ Assurance (SSQ), s’est enlevé la vie. Invoquant la clause d’exclusion de garantie en cas de suicide de l’assuré avant l’expiration d’un délai de deux ans, SSQ refuse de verser aux bénéficiaires désignés l’indemnité d’assurance totale de 1,5 M$ prévue au contrat. D’où la présente poursuite en justice.

Les demandeurs plaident essentiellement que la clause d’exclusion de garantie en cas de suicide incorporée aux dispositions générales du contrat d’assurance serait invalide, nulle et inopposable à l’assuré, puisqu’il s’agit d’une clause qui n’est pas expressément stipulée au contrat d’assurance comme une clause d’exclusion sous un titre approprié, contrairement à ce qu’exige l’art. 2404 C.c.Q. Ils ont raison. Voici pourquoi.

Afin de permettre à l’assuré de contracter une assurance en toute connaissance de cause, le législateur a voulu lui donner un outil de repérage facile des clauses d’exclusion ou de réduction de garantie. Cette exigence législative est prévue à l’art. 2404 C.c.Q., lequel stipule que, en matière d’assurance de personnes, l’assureur ne peut invoquer que les exclusions ou les clauses de réduction de la garantie qui sont clairement indiquées sous un titre approprié. Dans les Commentaires du ministre de la Justice, on lit la précision suivante, en lien avec cet article : en assurance de personnes, l’assureur doit indiquer clairement les exclusions ou les clauses de réduction de la garantie en les regroupant sous un titre approprié. Cette analyse sémantique donne ouverture à une interprétation téléologique qui met en évidence l’ultime objectif législatif qui consiste à exiger des assureurs de regrouper, sous un titre approprié, les clauses d’exclusion et de réduction de garantie pour en faciliter le repérage par le preneur d’assurance. Ajoutons que, à l’art. 2441 C.c.Q., qui vise pour sa part à protéger les assureurs, le législateur énonce bien que l’assureur ne peut refuser de payer les sommes assurées en raison du suicide de l’assuré, à moins qu’il n’ait stipulé l’exclusion de garantie expresse pour ce cas. À notre avis, cette « exclusion de garantie expresse » est assujettie à l’application de l’art. 2404 précité. Nous y voyons un principe cardinal voulant que l’exclusion spécifique et expresse relative au suicide de l’assuré doive se retrouver sous un titre approprié du contrat d’assurance, indiquant clairement les exclusions et les réductions de la garantie en les regroupant. Or, ce n’est pas ce qu’a fait SSQ dans la police d’assurance ici en litige. Outre le fait que la clause d’exclusion de suicide soit simplement intitulée « Suicide », un titre qui n’est pas approprié au sens de la loi en ce qu’il ne permet pas de repérer facilement l’existence d’une clause d’exclusion, elle apparaît sous le titre « Dispositions générales » de la police plutôt que sous le titre « Exclusions ». Qui plus est, la clause ne parle pas expressément d’une exclusion à la garantie d’assurance. Elle parle plutôt d’une limitation à l’indemnité payable : en cas de suicide de l’assuré dans les deux ans suivant la date d’entrée en vigueur de la police, l’obligation de l’assureur « est limitée au paiement d’une prestation de décès équivalente au remboursement des primes versées pour cette garantie, sans intérêt ». En fait, nulle part dans le texte de la clause la véritable nature de l’exclusion n’est identifiable.

La clause en litige, coiffée du titre « Suicide », s’avère donc nulle et sans effet. Cela suffit pour accueillir le recours des demandeurs. Cependant, l’intérêt de la justice commande que le tribunal traite aussi des autres questions en litige soulevées par les parties.

Les demandeurs plaident aussi, subsidiairement, que la clause d’exclusion de garantie en cas de suicide est inapplicable aux faits de l’instance, puisque le suicide de l’assuré est survenu « après deux ans d’assurance ininterrompue » (art. 2441 C.c.Q.). Cet argument est vivement contesté par SSQ. Sur ce point, c’est cette dernière qui a raison. Il est vrai que SSQ assurait la vie de M. Roch depuis 2006, en vertu d’un contrat d’assurance vie conclu le 23 novembre 2006. Cependant, ce contrat avait une durée fixe de dix ans qui venait à échéance le 23 novembre 2016 et c’est dans ce contexte que, en septembre 2016, M. Roch a contacté son courtier d’assurance pour discuter avec lui de ses options. Il aurait pu alors renouveler son contrat ou le transformer en une garantie pour la vie, en vertu de la clause intitulée « Droit de transformation », mais ce n’est pas ce qu’il a choisi de faire. Il a plutôt choisi de conclure un nouveau contrat qui remplacerait le premier. La preuve circonstancielle prépondérante ne laisse planer aucun doute à propos de cette intention : il n’était pas question de procéder à un renouvellement ou à une modification du premier contrat d’assurance, mais plutôt de procéder à son annulation complète en faveur d’un nouveau contrat plus avantageux économiquement pour le preneur. Par la conclusion d’un nouveau contrat d’une durée de 20 ans, M. Roch était désormais couvert jusqu’à l’âge de 72 ans, tout en économisant la somme de 145 350 $. En revanche, dûment averti par son courtier d’assurance, il était conscient qu’il perdait par le fait même les bénéfices inhérents au renouvellement de son premier contrat, dont la computation du délai de deux ans en application de la clause d’exclusion de garantie en cas de suicide. Ce délai recommençait à courir pour une nouvelle période de deux ans à compter du 23 octobre 2016, date d’entrée en vigueur de la police de remplacement. Comme son suicide est survenu avant l’échéance de ce nouveau délai, n’eût été la déclaration de nullité du tribunal, la clause d’exclusion de garantie en cas de suicide de l’assuré contenue dans la police de remplacement aurait été applicable et les demandeurs n’auraient pas eu droit au paiement des 1,5 M$.

Les demandeurs invoquent aussi de façon subsidiaire l’application de l’art. 2400, al. 2 C.c.Q., une disposition d’ordre public. Ils soutiennent qu’il existe une divergence entre la police et la proposition d’assurance en lien avec la clause d’exclusion de garantie en cas de suicide et que, conséquemment, la proposition fait foi du contrat. Ce moyen est rejeté. Pour qu’il y ait « divergence », une incompatibilité marquée ou une opposition réelle doit exister entre la police et la proposition. Ce n’est pas le cas en l’instance.

Vu la déclaration de nullité de la clause d’exclusion de garantie en cas de suicide de l’assuré, les demandeurs ont le droit de recevoir l’indemnité d’assurance totale prévue au contrat, soit 1,5 M$. Cette somme sera majorée des intérêts légaux et de l’indemnité additionnelle prévue à l’art. 1619 C.c.Q. Les intérêts seront calculés non pas à compter de la demeure, règle générale prévue à l’art. 1617 C.c.Q., mais à compter du 18 juillet 2018, conformément à la règle particulière codifiée à l’art. 2436, al. 1 C.c.Q.

Le tribunal donne acte de la remise à SSQ, par les demandeurs, de tous les chèques de remboursement des primes qui leur avaient été remis en application de la clause « Suicide ».

Vu le résultat mitigé qui découle des questions en litige, la demande est accueillie sans frais.

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