La demanderesse (la Locataire) s’adresse à la Cour supérieure pour obtenir une ordonnance d’injonction interlocutoire provisoire contre Ferme avicole Marie-Pierre inc. (Ferme), la nouvelle propriétaire de la résidence qu’elle habite avec ses trois enfants en vertu d’un bail verbal conclu en 2018 avec l’ancien propriétaire. Celui-ci a vendu la résidence à Ferme le 28 juillet 2021. Le 2 août suivant, Ferme a transmis à la Locataire un avis lui enjoignant de quitter les lieux. Elle lui a transmis un second avis au même effet quinze jours plus tard, lui précisant qu’elle devait quitter les lieux à la fin du mois d’août. La Locataire explique qu’elle a refusé, estimant avoir un délai de six mois à compter de l’avis pour quitter les lieux, et précisant qu’il y a actuellement pénurie de logements dans la région de Roxton-Pond. Elle a tenté de payer son loyer du mois de septembre, mais en vain, dit-elle, Ferme refusant de recevoir son paiement. Sa demande en injonction est présentée dans le contexte où, le 21 septembre, l’approvisionnement en eau de la résidence a été coupé sans préavis. L’eau provenait d’un puits situé sur le lot voisin et ce puits a été complètement démantelé par Pierre Choinière inc., la propriétaire de ce lot. L’âme dirigeante de cette société, Pierre Choinière, est aussi l’un des deux dirigeants de Ferme.
La Locataire reconnaît que la fin de la relation entre les parties ainsi que ses modalités relèvent de la compétence exclusive du Tribunal administratif du logement (TAL), lequel, en temps voulu, décidera du caractère adéquat de la tentative d’expulsion faite par Ferme et des dommages causés par ses faits et gestes. Elle plaide que l’ordonnance qu’elle sollicite aujourd’hui ne réglera en rien le fond de ce litige relevant de la compétence du TAL, de sorte que la Cour supérieure aurait compétence pour la prononcer, en vertu de son pouvoir inhérent, afin de lui assurer un statu quo d’ici à ce que les parties puissent être entendues par le TAL. Elle précise que les délais pour une audition devant le TAL ne lui permettent pas d’anticiper une solution à court terme à son problème d’approvisionnement en eau et que, de plus, le TAL a déjà refusé d’émettre des injonctions, ayant alors retourné le dossier à la Cour supérieure. Pour nous convaincre d’intervenir, elle plaide que l’accès à de l’eau est un besoin essentiel et que son interruption, par le geste unilatéral et cavalier posé par Ferme, relève d’une question d’intérêt public. Elle ajoute qu’il est urgent d’intervenir, car elle et ses enfants se trouvent depuis neuf jours sans aucun approvisionnement en eau et que, si elle a pu trouver des moyens alternatifs jusqu’à maintenant, notamment en achetant de grandes quantités d’eau, la situation ne pourra pas durer.
Les critères sont satisfaits pour intervenir de façon urgente afin de prononcer l’ordonnance recherchée. Même si les parties sont liées par un bail d’habitation, il est possible pour la Cour supérieure d’intervenir, dans des circonstances comme celles en l’espèce, puisqu’il s’agit d’une question d’intérêt public et qu’il y a urgence à agir. En effet, la coupure d’approvisionnement en eau — une ressource fondamentale — a été faite sans avis préalable et la trame factuelle donne à penser qu’elle intervient en guise de moyen fort pour réussir à se débarrasser de la Locataire avant l’expiration du délai de six mois prévu par l’art. 1960, al. 2 C.c.Q.
Même si la Locataire a pris une semaine avant de se présenter devant le tribunal, le critère de l’urgence est satisfait. En effet, le Code de procédure civile invite les parties à tenter de régler leurs différends avant de se ruer devant les tribunaux. C’est ce que la locataire a tenté de faire.
L’apparence de droit de la Locataire à l’injonction sollicitée est très sérieuse. La preuve établit que, depuis le début de son bail, elle a toujours été approvisionnée en eau. Ferme nie qu’elle soit liée à la Locataire par un bail, mais ce sera au TAL d’en décider. Pour l’instant, rien dans la preuve ne démontre l’absence d’un bail verbal à durée indéterminée entre la Locataire et l’ancien propriétaire et de raison valable pour laquelle ce bail ne devrait pas se poursuivre sous l’égide de la nouvelle propriétaire de l’immeuble. Ferme est donc tout autant imputable de l’approvisionnent en eau de la résidence que l’ancien propriétaire l’était et aucun des moyens qu’elle soulève à l’encontre de la demande de la Locataire n’est jugé valide. Voici pourquoi.
D’entrée de jeu, mentionnons que tout dans la preuve amène à penser que le démantèlement du puits est une tactique pour se débarrasser de la Locataire avant l’expiration du délai prévu par l’art. 1960, al. 2 C.c.Q. Après avoir fait pression sur elle pour qu’elle quitte immédiatement la résidence sans obtenir le résultat escompté, Ferme procède, par le biais d’une société liée, au démantèlement du puits sous prétexte que le raccordement de la résidence à ce puits est illégal et que l’eau est contaminée. Il n’y avait aucune urgence à agir de la sorte.
Pierre Choinière explique que l’eau provenait d’un puits qui n’est pas sur le terrain de la résidence, que celle-ci y avait été raccordée illégalement par l’ancien propriétaire et que la propriétaire du lot sur lequel se trouve le puits a le droit d’en faire ce qu’elle veut. D’une part, tout cela ne change rien à l’obligation de Ferme de maintenir le statu quo des conditions du bail existant. La manière dont l’eau doit être fournie à la Locataire n’est pas du ressort de cette dernière, qui a simplement le droit de s’attendre à ce que ce service soit maintenu jusqu’à l’expiration du délai de six mois. D’autre part, tel argument ne peut être valablement plaidé dans les circonstances particulières de l’espèce. Choinière avait d’abord affirmé que, lors de la transaction, il ne savait pas que la résidence était branchée au puits et qu’il l’a « découvert par accident », mais, au vu de la preuve établissant qu’il est à la fois le dirigeant de Ferme et de la société propriétaire du lot sur lequel se trouve le puits, il a finalement concédé qu’il ne pouvait faire une telle affirmation. Dans ces circonstances, l’argument de Ferme voulant que la propriétaire du terrain sur lequel est situé le puits ait le droit de faire ce qu’elle veut, dont mettre fin au branchement soi-disant illégal effectué par l’ancien propriétaire de la résidence, semble factice. Pour la même raison, Ferme ne peut valablement plaider que le recours de la Locataire est mal dirigé. Choinière étant le dirigeant de Ferme et de la société propriétaire du terrain où se trouve le puits, il peut parler au nom des deux sociétés.
Quant au préjudice, il répond à la définition de « sérieux » et, contrairement à ce que plaide Ferme, il ne s’agit pas d’un préjudice susceptible d’être valablement compensé uniquement par des dommages-intérêts. En effet, c’est de la sécurité psychologique d’une mère et de ses trois enfants dont il est question, alors que ceux-ci, pour le moment, n’ont pas d’autre endroit où vivre. Cela se compense mal par l’octroi de dommages-intérêts uniquement. Quant à la qualité de l’eau, il est vrai que, à cette étape, elle ne peut être établie. Mais, ce que nous retenons, c’est que la Locataire sait que l’eau doit être bouillie avant d’être consommée, ce qu’elle fait depuis trois ans. On peut croire qu’elle ne se présenterait pas devant une cour de justice pour être réapprovisionnée en eau « hautement toxique ». C’est en raison de ce qu’on lui a dit au sujet de la qualité de l’eau qu’elle agit pour être « rebranchée » au même puits, si cette solution est celle que Ferme retiendra.
Finalement, la prépondérance des inconvénients milite en faveur du prononcé de l’injonction sollicitée. Le fait que l’ordonnance entraîne des coûts potentiellement importants pour Ferme ne peut être invoqué avec succès par celle-ci ; c’est elle qui a créé de toute pièce la situation. Si l’on retenait son argument, cela équivaudrait à cautionner le comportement dont la résultante pourrait ensuite être invoquée avec succès pour faire échec à une demande d’injonction. Peu importe comment Ferme s’y prendra pour réapprovisionner la résidence en eau, il lui revient de réparer la situation résultant de ses décisions. La Locataire a raison de plaider qu’il s’agit d’une question d’intérêt public, car, à défaut d’intervenir, cela pourrait ouvrir la porte à tout nouveau propriétaire d’utiliser ce genre de comportement pour se débarrasser rapidement d’un locataire dont la présence n’est plus souhaitée. Il n’y a pas lieu de jouer avec le bien-être des gens en les privant d’une ressource aussi vitale que l’eau, qu’elle soit potable ou non. Cela dit, l’ordonnance prononcée ne contiendra pas le mot « potable ». En effet, il faut nous assurer que la Locataire n’obtiendra pas plus que ce à quoi elle a eu droit depuis la conclusion de son bail. Ainsi, si la résidence est rebranchée au puits et que la Locataire a accès à la même eau qu’auparavant, Ferme aura satisfait à l’obligation qui lui est imposée.
Il est donc ordonné à Ferme de prendre les mesures qui s’imposent pour fournir un accès suffisant à de l’eau à la Locataire et à sa famille dans les 24 heures du présent jugement. Cette ordonnance sera valide pour dix jours et sera exécutoire nonobstant appel.