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Pour avoir notamment, pendant près de deux ans, exploité financièrement et psychologiquement un homme âgé qui est en outre sourd et muet, analphabète, peu scolarisé, atteint de déficience cognitive et dépourvu d’entourage familial, les défendeurs sont condamnés à payer des dommages-intérêts compensatoires et punitifs totalisant plus de 55 000 $.

Résumé de décision : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (J.R.) c. Moreau, T.D.P., 16 septembre 2022
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La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) soutient que, par leurs agissements, les défendeurs ont exploité J.R. et porté atteinte de façon discriminatoire à son intégrité et à son droit à la sauvegarde de sa dignité. Elle leur réclame des dommages-intérêts totalisant 55 179,53 $. Les défendeurs, qui sont mariés, sont absents à l’audience et non représentés.

J.R. est né en 1949 et est orphelin de naissance. Il est sourd et muet. En décembre 2016, il a reçu une indemnité de 100 277 $ dans le cadre de l’action collective intentée au nom des personnes qui, dans leur jeunesse, ont été victimes d’agressions sexuelles répétées de la part des Clercs de St-Viateur. À compter de ce moment, les défendeurs, qui n’étaient jusqu’alors que des connaissances rencontrées dans le cadre des activités offertes par la Maison des Sourds, lui ont démontré un intérêt nouveau et soutenu. Ce sont les gestes que ceux-ci ont posés à compter de cette date et jusqu’au 21 septembre 2018 qui sont à l’origine du présent recours.

La demande de la CDPDJ a un double fondement en ce qu’elle reproche aux défendeurs d’avoir exploité la vulnérabilité de J.R., d’une part, et de l’avoir traité de façon discriminatoire, d’autre part, en raison de son âge et de sa condition de personne handicapée. Elle se fonde sur les art. 1, 4, 10, 48 et 49 de la Charte québécoise.

Les trois éléments requis pour conclure à l’exploitation d’une personne âgée ou handicapée en application de l’art. 48 de la Charte sont : 1) une mise à profit ; 2) d’une position de force ; 3) au détriment d’intérêts plus vulnérables. Ces trois éléments sont démontrés en l’instance. Tout d’abord, la preuve révèle que les défendeurs se sont enrichis sur le plan économique en détournant à leur profit des sommes considérables qui appartenaient à J.R. La preuve établit à ce chapitre une mise à profit de sommes totalisant 29 179,53 $. Ensuite, il y a une preuve prépondérante que, jusqu’à ce que J.R. déménage de chez les défendeurs, le 21 septembre 2018, ceux-ci étaient en position de force par rapport à lui. Jusqu’à ce départ soudain – auquel ils se sont opposés à un point où J.R. et l’amie qui l’aidait ont dû faire intervenir la police –, ils ont agi de manière à contrôler J.R., tant physiquement que psychologiquement, aux fins de tirer profit de l’indemnité qu’il avait reçue, sans droit et sans égard à son intérêt véritable. Quant à l’état de vulnérabilité de J.R., il ne fait aucun doute. Au moment des faits, il était non seulement une personne d’un âge avancé (il était alors âgé de près de 70 ans), mais il était, au surplus, sourd, muet, analphabète, peu scolarisé, atteint de déficience cognitive et dépourvu d’entourage familial.

La preuve établit donc que J.R. a fait l’objet d’une exploitation financière et psychologique de la part des défendeurs.

En détournant l’argent de J.R. à leur profit, les défendeurs ont aussi agi au mépris des intérêts et des droits de celui-ci, sans égard à sa condition de personne âgée et handicapée. Par leurs agissements, ils ont porté atteinte à son droit de se voir reconnaître la dignité inhérente à toute personne humaine, quelle que soit sa condition. Ces agissements, conditionnés par l’état de vulnérabilité de J.R. en raison de son âge et de son handicap, ont également compromis l’intégrité psychologique de ce dernier, en faisant naître chez lui des sentiments de trahison, d’infantilisation, de colère, de peur, de tristesse et de déprime.

Les atteintes illicites aux droits de J.R. protégés par les art. 48, 10, 1 et 4 de la Charte sont donc prouvées. Reste à déterminer si les dommages-intérêts qui sont réclamés par la CDPDJ aux défendeurs sont justifiés.

La réclamation de 29 179,53 $ pour le préjudice matériel apparaît à la fois conservatrice et bien fondée. Elle est accueillie.

Quant à la réclamation de 20 000 $ pour le préjudice moral, elle apparaît à la fois juste et raisonnable, eu égard aux circonstances. Il est indéniable que les agissements des défendeurs ont eu un profond impact sur J.R. Son témoignage révèle que la période de décembre 2016 à septembre 2018 a été très pénible pour lui. Il a traversé toute une gamme d’émotions négatives : anxiété, stress, colère, tristesse, désarroi et détresse. Il a éprouvé le sentiment d’être brimé dans sa liberté, pris en otage par des « gardes du corps » ou des « chaperons », floué, isolé socialement et abandonné à son sort. Il voulait mourir. Cette réclamation est accueillie également.

Les défendeurs sont donc condamnés solidairement à payer à J.R. la somme de 49 179,53 $ à titre de dommages-intérêts compensatoires, en application de l’art. 49, al. 1 de la Charte.

La CDPDJ réclame aussi à chaque défendeur une somme de 3 000 $, en application de l’art. 49, al. 2 de la Charte. Cette réclamation est accueillie également. Dès que les défendeurs ont été mis au fait que le patrimoine de J.R. s’enrichissait d’une somme substantielle, ils ont orchestré une machination afin de se rapprocher de lui dans le dessein évident de lui soutirer de l’argent à leur propre bénéfice. Ils ont progressivement étendu leur emprise sur lui pour s’enrichir ensuite à ses dépens, en toute connaissance de cause. Ce faisant, ils ont porté une « atteinte illicite et intentionnelle » à ses droits. L’attribution de dommages-intérêts punitifs est nécessaire non seulement prévenir une récidive de leur part, mais pour dissuader toute personne d’adopter un tel comportement et dénoncer son caractère répréhensible. Le Tribunal estime que la somme de 3 000 $ qui leur est chacun réclamée est appropriée pour servir efficacement chacun de ces objectifs.

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