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Revirement jurisprudentiel quant à l’opposabilité des clauses compromissoires aux usagers de services gratuits sur Internet

Par Me Sébastien Lapointe, Techtonik Legal inc.
Revirement jurisprudentiel quant à l’opposabilité des clauses compromissoires aux usagers de services gratuits sur Internet

La Cour supérieure rejetait il y a quelques jours une requête visant à décliner juridiction quant à une action collective au Québec ayant trait à l’intrusion informatique de 2013-2014 chez Yahoo! La décision en question est celle de Demers c. Yahoo! Inc. (2017 QCCS 4154).

Comme chacun le sait, les entreprises qui opèrent sur Internet cherchent généralement à éviter le problème en insérant dans leurs modalités d’utilisation (le contrat au clic les liant à chaque usager) une clause d’élection de for. Pour Yahoo!, par exemple, le contrat désigne l’Ontario comme la seule juridiction où une poursuite par un usager doit se produire.

Jusqu’à maintenant, c’était le plus souvent la réponse finale, du moins pour les sociétés rendant gratuitement leurs services en ligne. En effet, comme chacun le sait, le droit québécois permet généralement les clauses de choix de forum, en vertu de l’article 3148 C.c.Q. On interdit ce genre de clause, mais seulement dans un nombre limité de cas comme lorsqu’on est en présence d’un contrat de consommation, en vertu de l’article 3149 C.c.Q.

L’article 22.1 de la Loi de protection du consommateur (« LPC ») vient d’ailleurs préciser à son tour qu’une clause d’élection de for n’est pas opposable à l’individu si le contrat en question en est un qu’on peut qualifier de contrat de consommation.

Or, un « contrat de consommation », en vertu du droit québécois, en est un où l’individu paie au commerçant le prix de produits ou de services – du moins, c’est ce que nous comprenions collectivement. En effet, dans l’affaire St-Arnaud c. Facebook (de 2011), la Cour supérieure avait allègrement rejeté la possibilité d’un recours collectif dans un tel contexte, vu la gratuité des services de la société Facebook. Ce que nous comprenions depuis cette décision était donc que l’absence de prix payé par un usager pour des services pareils excluait de facto ce genre de contrat (de services en ligne gratuits) de la définition d’un contrat de consommation. Cela étant, la LPC ne s’y appliquait tout simplement pas, ni l’article du C.c.Q. prohibant les clauses d’élection de for dans les contrats conclus avec des consommateurs.

Là où le bât blesse (maintenant), c’est que, contrairement à la lecture que notre jurisprudence a généralement faite de la définition d’un « contrat de consommation », le prérequis n’est peut-être pas le paiement d’un prix en argent comme tel. En l’occurrence, la juge Perrault dans l’affaire Demers souligne qu’à bien le lire, l’article 1384 C.c.Q. envisage le paiement d’un prix ou le fait pour l’individu de se procurer les biens ou services en question « de toute autre manière ». Selon le tribunal ici, un usager qui s’abonne à Yahoo! se procure les services en question d’une autre manière, comme en fournissant à la société un achalandage que la société en question peut alors monnayer pour des coûts de publicité payés par ses nombreux annonceurs, etc. Il y a donc dans un sens (dématérialisé) un avantage dont bénéficie Yahoo!, assez du moins pour statuer qu’en droit nous sommes bien en présence d’un contrat de consommation.

Ce faisant, une clause de choix de juridiction imposée dans le contrat avec les usagers s’avère invalide ; M. Demers peut donc valablement poursuivre Yahoo! au Québec, pour tous ceux qui ont subi un préjudice lié à l’incident de sécurité de 2013-2014.

Les entreprises offrant des services gratuits par Internet sont donc confrontées au fait que les tribunaux québécois pourraient bien à l’avenir refuser de décliner juridiction, peu importe l’inclusion de clauses compromissoires dans leurs modalités de services.

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About the Author

Maître Sébastien Lapointe œuvre depuis plus de vingt ans en pratique privée centrée sur le droit des affaires et, en particulier, l’interaction entre celui-ci et les questions de propriété intellectuelle, dont de droit des technologies. Sa pratique se centre particulièrement sur l’enregistrement de droits de propriété intellectuelle et les ententes de transfert de droits et de technologies, dont les licences, et ce, autant au Canada qu’à l’étranger.

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