La victime a été agressée sexuellement par son oncle maternel, alors qu'elle était âgée entre 9 et 16 ans. Alors qu'elle et sa famille étaient en visite chez les grands-parents, elle était contrainte de dormir dans la chambre de son oncle qui était de 6 ans son aîné. Les gestes posés se sont intensifiés avec le temps. Aucun des éléments de contradiction soulevés entre les versions données par la victime ni aucun des changements effectués à la procédure introductive d'instance, qui sont pointés du doigt, n'arrive à entacher la crédibilité et la fiabilité de son témoignage. À n'en pas douter, les nombreux récits des événements qu'elle a faits au cours des années, notamment lors de ses séances de psychothérapie, de sa plainte au criminel et dans le cadre de la présente instance, ont constitué un terreau fertile à certaines nuances que la défense s'est empressée de mettre en évidence. Or, la victime reconnaît les divergences soulevées et explique de manière crédible les raisons qui peuvent les justifier. Il ne faut pas oublier que les faits se sont produits alors qu'elle était enfant, il y a de ça plus de 35 ans. Rien ne permet de douter du fait que les agressions ont véritablement eu lieu. Elle en a parlé à différentes personnes au cours des années et un de ses frères soutient avoir lui aussi subi les comportements abusifs de leur oncle, lequel a, en outre, été accusé d'avoir commis un viol collectif dans sa chambre à l'égard d'une fille mineure à une époque contemporaine aux événements au cœur du présent litige. La plainte criminelle, le plaidoyer de culpabilité et la condamnation qui a été prononcée constituent des faits juridiques importants dont il doit être tenu compte. Il s'agit d'un acte criminel à caractère sexuel, commis à la même époque, au même endroit et à l’égard d'une fille d’âge mineur, comme l'était la victime en l'instance. Du reste, l'expert commun affirme dans son rapport que, d’une perspective clinique, il est hautement probable que celle-ci ait subi les abus sexuels qu'elle décrit. Ainsi, la responsabilité de l'oncle est retenue.
Par ailleurs, c'est à bon droit que la victime poursuit également solidairement ses parents pour avoir failli à leur devoir de garde, de protection, de surveillance et d’éducation en permettant à son oncle de l'abuser sexuellement. Ceux-ci ne peuvent valablement plaider que les événements survenus ne résultent pas de leur négligence. Si l’obligation de protéger son enfant en est une de moyen et non de résultat qui doit s’apprécier selon le critère du parent raisonnable, force est de reconnaître que les parents ont manqué à leur devoir. Le fait d'ordonner qu'une enfant de 9 ans dorme dans la même chambre qu'un adolescent de 16 ans est déjà déplacé, tout adulte raisonnable ne pouvant ignorer le risque qui s'en dégage, mais en plus après la première agression lorsque la victime a demandé à dormir ailleurs sans fournir de détails, personne ne s'est interrogé sur son malaise et sa mère lui a ordonné de continuer de dormir avec son oncle. Il est pour le moins renversant que la mère affirme que lors des visites suivantes, la victime n'ait plus contesté cette décision. Encore plus troublant et déterminant est le fait que la situation ait perduré après que l'oncle eu reconnu sa culpabilité et eu été condamné pour sa participation à un viol collectif. Tout le monde était au courant et aucune mesure particulière n'a été mise en place sous le couvert de se mêler de ses affaires et de ne pas faire preuve de voyeurisme en soulevant des questions sur les accusations criminelles. Cette façon de faire s'inscrit dans un schéma de laxisme et d'inertie suivi par les parents. Ceux-ci n'ont posé aucune question ni aucun geste à la suite du dévoilement survenu plusieurs années plus tard et ils n'ont également rien fait quand la victime a fait une tentative de suicide ni quand elle leur a demandé de payer ses frais de psychothérapie, préférant faire disparaître les lettres transmises sans en dire mot à personne.
La victime n'a jamais vraiment eu d'amis. Ses résultats scolaires étaient moyens et elle a abandonné le cégep. Elle a occupé différents emplois, mais a toujours affiché de la difficulté à interagir avec les gens, tant dans sa vie professionnelle que personnelle, étant en proie à une phobie sociale. Elle a fait plus d'une tentative de suicide, a toujours vécu avec des pensées suicidaires et s'est fait avorter, ayant pris la décision de ne jamais avoir d'enfant, vu les abus subis et le laxisme affiché par ses parents. Elle est devenue boulimique à 16 ans. Elle est incapable de ressentir de la joie, de la confiance et de l’amitié. Elle manque totalement d’estime d'elle-même. Son déficit anatomophysiologique (DAP) est établi à 15 %. Tout bien pesé, une indemnité de 100 000 $ lui est accordée pour compenser l'ensemble de ses pertes non pécuniaires.
Pendant une certaine période, elle a travaillé de manière pratiquement ininterrompue. Il est ainsi difficile de concevoir que les abus dont elle a été victime l'aient empêchée de gagner des revenus. Or, il est impossible de nier qu'ils aient laissé des séquelles se définissant par des limitations fonctionnelles qui l’ont privée d’une partie de sa capacité de générer des revenus. À ce chapitre, elle a droit à une somme de 388 208,53 $. Également, il est prévisible que des pertes de revenus se matérialisent dans l’avenir. Il est cependant établi qu'elle ne suit aucun traitement et ne consomme aucun médicament afin de réduire ou annihiler les conséquences des abus qu’elle a subis, alors que selon la preuve ce pourrait être bénéfique. Sa perte de capacité de revenus futurs est évaluée à 261 397,65 $. Enfin, un montant de 56 700 $ doit lui être remboursé pour ses frais de psychothérapie puisque la nécessité de la psychanalyse à laquelle elle s'est soumise résulte directement des abus dont elle a été victime.
Manifestement, les agressions ont porté atteinte à son intégrité physique et morale et à son droit à l’honneur et à la dignité. Ces atteintes étaient nécessairement intentionnelles du fait que l'oncle ne pouvait ignorer les conséquences graves de ses gestes. Si ceux-ci étaient commandés plus par l’assouvissement de ses bas instincts que par la matérialisation d’une idée préconçue de causer un dommage, il n’en demeure pas moins que le caractère intentionnel de l’atteinte ne fait aucun doute. Vu le caractère répétitif et odieux des abus, les autres indemnités accordées et la capacité de payer de l'oncle, celui-ci est condamné à verser un montant de 25 000 $ en dommages-intérêts punitifs à la victime. Pour ce qui est des parents, il n'est pas possible de conclure que leur état d’esprit dénotait un désir ou une volonté de causer les conséquences de leur conduite fautive. Cependant, ils ont nécessairement agi en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles, ou au moins extrêmement probables, que leur conduite pouvait engendrer. Ils ont fait preuve d'insouciance voire d’une négligence grossière et d'aveuglement volontaire. Leur comportement commande une désapprobation marquée. Considérant le jeune âge de la victime au moment des agressions et le rôle de protecteur qu'auraient dû jouer ses parents, chacun d'eux est condamné au paiement d'une somme de 15 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.
L'oncle et les parents ont commis des fautes qui ont contribué à causer le même préjudice. Leur responsabilité à l’égard des pertes pécuniaires et non pécuniaires est donc solidaire. En ce qui a trait au partage de responsabilité pour valoir entre eux, la part qui revient à l'oncle est de 60 % et celle des parents est de 40 %. Les agressions commises sont d’une extrême gravité, mais elles n'auraient jamais pu avoir lieu sans le laxisme des parents.