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En raison des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie de COVID-19, l’accusé renonce à son droit à un procès avec jury. Le refus du ministère public de tenir le procès devant juge seul est déraisonnable et inéquitable.

Résumé de décision : Varennes c. R. , C.S., 31 juillet 2020
En raison des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie de COVID-19

En attente de son procès pour le meurtre de sa conjointe, l'accusé présente une requête, fondée sur l'art. 473 C.cr. ainsi que sur l'art. 7, l'al. 11b) et le par. 24(1) de la Charte canadienne, pour la tenue d'un procès devant juge seul. Le ministère public n'y consent pas. Il refuse que l'accusé soit jugé sans jury.

La décision de consentir ou non à un procès devant juge seul en vertu de l'art. 473 C.cr. n'est pas au cœur du pouvoir discrétionnaire du poursuivant. Il s'agit plutôt d'une décision stratégique qui est soumise au pouvoir inhérent de la Cour de contrôler sa procédure. À l'art. 473 C.cr., le législateur octroie des pouvoirs équivalents au poursuivant et à la défense. Ainsi, il serait étonnant qu'un tel pouvoir soit au cœur du pouvoir discrétionnaire du poursuivant. Puisqu'une telle décision du poursuivant n'en est pas une qui se situe au cœur de son pouvoir discrétionnaire, l'on n'a pas à exiger de l'accusé une preuve par prépondérance établissant que cette décision relève de l'abus de procédure. Cette décision étant « stratégique », il faut plutôt déterminer si l'accusé a démontré la vraisemblance d'un préjudice et si la décision du poursuivant est inéquitable ou déraisonnable dans les circonstances. Certes, les tribunaux doivent généralement s'abstenir de s'immiscer dans la conduite du litige puisque l'avocat est habituellement mieux placé que le juge du procès pour apprécier l'opportunité d'une décision tactique particulière en fonction de sa stratégie globale. Toutefois, un juge peut exceptionnellement passer outre à une décision stratégique du poursuivant afin d'empêcher une violation de la Charte canadienne. Il est acquis que l'accusé a un droit constitutionnel à un procès devant jury, mais non un droit constitutionnel à un procès devant juge seul. Il y a cependant lieu de considérer les circonstances particulières qui ont mené l'accusé à renoncer, à ce stade, à son droit constitutionnel.

La survenance de la pandémie qui a entraîné la suspension et même la cessation de tous les procès devant jury au Canada depuis le mois de mars dernier est tout aussi inattendue qu'inédite, sinon carrément exceptionnelle. Jusqu'à ce que cette pandémie survienne et mette à risque la possibilité même de tenir des procès devant jury, l'accusé n'avait jamais énoncé le souhait de procéder devant juge seul. Cependant, bien avant l'arrivée de la pandémie qui a paralysé les activités judiciaires, l'accusé avait déjà dénoncé l'impact de sa détention à plusieurs heures de route du palais de justice où doit se tenir le procès devant jury sur son droit à une défense pleine et entière. L'accusé considère, à juste titre, que la durée d'un procès devant juge seul serait moindre que celle d'un procès devant jury. Il n'aurait donc pas à subir de longs déplacements quotidiens sur plus de trois semaines. Au surplus, l'accusé, qui a déjà annoncé son intention de témoigner, estime que le procès devant juge seul lui permettrait d'obtenir plus facilement une courte suspension afin de rencontrer son avocat et de préparer sa défense. L'accusé fonde ainsi sa renonciation à un procès devant jury et à ses indéniables avantages sur sa volonté de réduire la durée du procès, pour les raisons énoncées, mais il veut aussi maximiser les chances que son procès puisse être tenu et complété à l'intérieur des délais prévus. En renonçant à son droit constitutionnel à un procès devant jury, l'accusé cherche à exercer son droit constitutionnel à un procès dans des délais raisonnables. La renonciation de l'accusé à son droit à un procès devant jury et à ses avantages ne résulte pas d'une réévaluation de sa part de sa stratégie au procès. L'accusé fait face, en raison de la pandémie, à l'obligation de faire des choix difficiles. Plusieurs de ses droits afin d'obtenir un procès équitable sont en cause. Son choix est de renoncer à son droit constitutionnel de procéder devant jury pour assurer la tenue du procès dans les délais et favoriser l'exercice de son droit à une défense pleine et entière.

Le ministère public occulte totalement les circonstances particulières sur lesquelles repose la décision de l'accusé. Pourtant, la décision de l'accusé est directement liée à l'équité du procès. Les tribunaux supérieurs l'ont maintes fois réitéré : la société a un intérêt évident à ce que les procès se déroulent dans les délais, de façon efficiente et dans le respect du droit de l'accusé à une défense pleine et entière. L'intérêt de la société, c'est la tenue d'un procès équitable. Or, il existe dans ce dossier une problématique significative créée par la détention de l'accusé à grande distance du lieu du procès. C'est l'État qui n'est pas en mesure de fournir un lieu de détention à une proximité raisonnable du lieu du procès. On ne parle pas ici d'inconvénients mineurs, de l'ordre de ceux que l'on retrouve habituellement du simple fait de tenir un procès à l'extérieur des grands centres urbains. L'accusé fait face à une accusation de meurtre au deuxième degré. Les enjeux, pour lui, sont très sérieux. Comment peut-on réalistement trouver acceptable de lui imposer quotidiennement, pendant plus de trois semaines, de faire trois heures de route pour se rendre à son procès et trois heures de route pour revenir à son lieu de détention, tout en estimant qu'il aura la sérénité et la concentration requise, en dépit du stress inévitable du procès, pour participer pleinement à sa défense ? Par ailleurs, dans les circonstances de la pandémie, qui rend difficile la tenue d'un procès efficace et sécuritaire et qui fragilise les chances que le procès puisse être terminé dans des délais raisonnables (risques substantiels de suspension de procès en raison de préoccupations en lien avec la COVID-19), la tenue du procès devant juge seul se justifie aisément.

Certes, le fait que le meurtre reproché (infraction parmi les plus graves) s'inscrive dans un contexte conjugal représente un motif tout à fait valable pour réclamer, en temps normal, qu'un accusé soit jugé par ses pairs. Nous faisons cependant face à des circonstances exceptionnelles (pandémie) et à une situation particulière (lieu de détention de l'accusé), lesquelles ont mené ce dernier à choisir entre ses droits fondamentaux et une renonciation à son droit d'être jugé par ses pairs. Le droit fondamental de l'accusé à un procès dans un délai raisonnable, l'intérêt de la société à ce que le procès soit tenu en continu, le droit de l'accusé à une défense pleine et entière ainsi que la saine administration de la justice commandent définitivement que la position du ministère public soit écartée. Le refus du ministère public de tenir le procès devant juge seul est non seulement déraisonnable dans les circonstances exceptionnelles que nous traversons, mais il ne tient pas compte des droits fondamentaux de l'accusé. En ce sens, ce refus est inéquitable. Par conséquent, puisque l'accusé a démontré qu'il subirait vraisemblablement un préjudice si le procès devait se tenir devant jury et qu'un procès devant juge seul devrait pouvoir être tenu de façon plus efficace et sécuritaire et dans un délai plus court, il y a lieu d'écarter le non-consentement du ministère public. Un procès devant juge seul sera tenu à Mont-Laurier et débutera, comme prévu initialement, le 14 septembre 2020.