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Il est possible de rétracter un jugement de divorce dans son entièreté, y compris la conclusion dissolvant les liens du mariage

Résumé de décision : J. (R.) v. A. (L.), sub nom. Droit de la famille -- 17428, EYB 2017-277034 (C.A., 8 mars 2017)
Il est possible de rétracter un jugement de divorce dans son entièreté, y compris la conclusion dissolvant les liens du mariage

Les juges Allan R. Hilton, Louis Rochette et François Pelletier. Il n'est pas rare que des causes de divorce soient entendues par défaut au Québec. Le présent cas est une bonne illustration des dangers qu'il y a en procédant ainsi, alors que le demandeur omet de prendre tous les moyens pour localiser le défendeur devant recevoir signification de la demande, et ce, en dépit du fait que les deux parties sont représentées par un avocat dans des procédures parallèles en divorce ayant cours dans un pays étranger.

En première instance, la juge a accueilli en partie la demande de monsieur de rétracter le jugement rendu par défaut statuant sur la demande de madame en divorce et en mesures accessoires. L'appel de monsieur soulève trois questions. Premièrement, si monsieur est en droit d'inscrire son appel de plein droit aux termes de l'article 26 a.C.p.c. en vigueur lorsque le jugement entrepris a été rendu. Deuxièmement, si ce n'est pas le cas, se pose la question de savoir si l'appel doit être accordé nunc pro tunc. Troisièmement, il faut se demander si la juge a erré en faisant défaut de recevoir tous les motifs rescisoires invoqués par monsieur dans sa demande.

Quant à la première question, manifestement, le jugement entrepris n'est pas un jugement « final », comme le requiert l'article 26 a.C.p.c. pour permettre un appel de plein droit. Le jugement ne refuse pas de recevoir la demande de rétractation : il ne fait que refuser de recevoir une partie des motifs rescisoires et, donc, implique la poursuite de l'instance afin d'adjuger des motifs rescisoires allégués pour les conclusions du jugement de divorce que la juge n'a pas exclues. Un jugement rejetant une demande de rétractation au stade de la réception en son entièreté aurait été final, ce qui n'est pas le cas si le jugement ne le fait qu'en partie. En ce sens, le jugement de première instance est un jugement qui, au sens de l'article 29(1) a.C.p.c., « décide en partie du litige ». Ainsi, monsieur devait demander la permission d'appeler à cette cour, ce qu'il n'a pas fait dans les délais impartis. Aussi, y a-t-il lieu de casser l'inscription de l'appel de plein droit.

Par contre, l'appel doit être autorisé nunc pro tunc, les critères pour une telle autorisation étant remplis. En effet, l'avocat de monsieur a commis une erreur de bonne foi quant à l'à-propos d'inscrire de plein droit, l'avocat de madame n'a jamais invoqué l'irrégularité de l'appel, et le jugement a quo soulève des questions importantes reliées au recours en rétractation dans le cas d'un jugement au fond rendu par défaut.

Quant à la question de savoir si la juge aurait dû recevoir la demande de rétractation en regard de tous les motifs du jugement de divorce rendu par défaut, tout d'abord, contrairement à ce que propose monsieur, c'est l'ancien Code de procédure civile (l'a.C.p.c.) qui s'applique ici compte tenu de la date du jugement entrepris et des enseignements de cette cour dans l'arrêt Hôpital Maisonneuve Rosemont c. Buesco Construction. En second lieu, les articles 198.14 et 484.1 a.C.p.c. ne trouveraient application que si, aux termes de l'article 198.14 a.C.p.c., « la procédure introductive d'instance a été transmise dans un État étranger pour y être signifiée ». Ici, au contraire, la signification de la demande en divorce de madame par le journal Métro, un journal distribué uniquement à Montréal dans les transports publics, était une garantie presque certaine que monsieur, qui vit en Syrie, ne la verrait jamais. Dans ces circonstances, la demande de rétractation était régie par les dispositions d'application générale que sont les articles 482 et 484 a.C.p.c. lorsqu'un jugement est rendu par défaut. La juge a commis une erreur de droit justifiant que nous intervenions. Premièrement, les auteurs Fernand et Emery sont d'avis que sous l'a.C.p.c., la réception d'une demande en rétractation d'un jugement de divorce n'avait pas l'effet que lui a donné en 2001 le juge Dalphond, alors qu'il était juge à la Cour supérieure, dans l'affaire B.D. c. N.V.. Le juge Dalphond avait alors déterminé qu'une fois que le jugement de divorce devient final, les conclusions qui dissolvent les liens du mariage ne peuvent pas être rétractées parce que l'état civil des parties a été modifié. Il suggère à la place que le jugement soit annulé (probablement avec un effet rétroactif). Les auteurs écrivent que « [c]et ordre de sursis est une mesure conservatoire tendant à préserver l'existence des droits des uns, avant que soient confirmés les droits des autres, si tel doit être le cas. Un sursis d'exécution ordonné par un juge dans le cadre d'une requête en rétractation de jugement n'a pas pour effet d'effacer totalement de façon temporaire les effets du jugement rendu. Les parties ne sont pas replacées dans l'état où elles étaient avant que soit prononcé le jugement qui fait l'objet de la demande de rétractation ». Dans la même veine, avant le jugement du juge Dalphond, les auteurs Kélada et Naguib ont écrit en 1989 que « la nouvelle Loi de 1985 sur le divorce entrée en vigueur le 1 er juin 1986 ne prévoit pas comme telle la possibilité de demander la rétractation d'un jugement de divorce, puisqu'elle ne traite que de l'appel ». Ces auteurs sont d'avis que « la demande en rétractation de divorce est possible en application des dispositions pertinentes du Code de procédure civile ». Ils ajoutent que « d'ailleurs, l'article 25 de la nouvelle loi autorise expressément le législateur provincial à « établir les règles de pratique et de procédure » à être appliquées par le tribunal » et que « ceci devrait, […] comprendre les dispositions du Code de procédure civile en autant qu'elles ne contredisent pas une règle édictée par la Loi de 1985 de divorce».

Il y a lieu de noter que, comme leurs prédécesseurs, les articles 345 à 348 C.p.c. ne dressent pas d'exception pour les jugements de divorce. Le législateur étant présumé connaître la loi, l'on aurait pu s'attendre à ce qu'il prévoie un changement précis si l'on ne pouvait obtenir une révocation d'un jugement qui pourrait modifier le statut matrimonial de parties qui a été décidé par un jugement final. De toute façon, les préoccupations dont a fait état le juge Dalphond lorsqu'il était juge du procès sont absentes ici. Lorsque la juge Pétras a rendu son jugement de divorce par défaut en octobre 2014, les parties étaient déjà divorcées en vertu d'un jugement rendu en Syrie en mai 2014 à la demande de madame.

Cela dit, cette Cour a pris un autre courant que celui proposé par le juge Dalphond en 2001. Dans Droit de la famille -- 1705, la Cour d'appel a cassé une décision refusant une demande de rétractation de jugement au stade de la réception. La Cour d'appel était alors d'avis que l'appelant subirait un trop grand préjudice en raison de la négligence des avocats de l'appelant qui a mené au jugement par défaut, parce que l'appelant voulait présenter une demande reconventionnelle. Similairement, dans W.S. c. D.F.I., la Cour a infirmé un jugement de la Cour supérieure rejetant une demande en révocation d'un jugement de divorce rendu par défaut sans avoir expressément considéré la défense au fond ou la demande reconventionnelle de l'appelant. Le dossier a alors été retourné en Cour supérieure. L'affaire Droit de la famille -- 081022 comporte des similitudes avec notre dossier. Dans ce cas, l'épouse avait obtenu un jugement par défaut à Montréal en signifiant la procédure dans un journal publié dans une autre province canadienne, sachant pertinemment que son époux n'habitait plus là-bas et était retourné dans le pays d'origine des parties. La Cour a également été d'avis que l'épouse savait comment contacter l'appelant et qu'elle a choisi de ne pas le faire, comme ici. Les commentaires de la Cour d'appel, selon lesquels l'épouse a manoeuvré pour maintenir l'appelant dans l'ignorance des procédures introduites au Québec, s'appliquent à madame en l'espèce. Dans cette affaire, la Cour d'appel a accueilli l'appel ainsi que la demande en rétractation de jugement et déclaré que la Cour supérieure n'avait pas la compétence pour entendre la demande en divorce. Quoique non formulé précisément de cette façon, c'est ce que monsieur recherche. Enfin, dans Droit de la famille -- 133099, la Cour a accueilli l'appel d'un jugement rejetant une requête en rétractation de jugement d'un jugement de divorce en raison du caractère inadéquat des tentatives de la demanderesse de signifier personnellement à l'intimé. Comme dans cet appel, il n'y a pas de raison légitime ici pour excuser le fait que madame n'a pas pris les mesures adéquates pour s'assurer de la signification effective des procédures en divorce. Cela est d'autant plus le cas alors qu'il semble que madame n'a pas de difficulté à exécuter par défaut le jugement de séparation en saisissant le compte en banque de monsieur à Paris.

La juge a correctement reçu le rescindant dans la mesure où elle l'a fait.

L'erreur de la juge a consisté à manquer de recevoir tous les motifs rescisoires allégués dans la demande. L'audition sur les motifs rescisoires, tant dans leur forme actuelle ou dans une forme amendée en fonction des développements ultérieurs, déterminera le sort ultime des procédures.

Cela dit, le cas représente un autre exemple de l'importance pour les juges du procès de ne pas accepter, à leur face même, une simple affirmation telle que, pour paraphraser madame dans son acte de procédure, « l'adresse du défendeur est inconnue ». Une assertion aussi vague aurait dû pousser la juge à poser des questions incisives, en dépit du fait que madame ait précédemment obtenu une ordonnance ex parte pour un mode spécial de signification. Les réponses à ces questions, pour autant qu'elles aient été véridiques, auraient évité le marasme procédural dans lequel se trouvent présentement les parties.

Aussi, y a-t-il lieu de retourner le dossier en première instance pour qu'il soit statué sur le rescisoire.


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