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La possibilité d'utiliser un cellulaire ne constitue pas, en soi, une circonstance forçant les policiers à en permettre l'utilisation pour communiquer avec un avocat, mais est néanmoins une circonstance à considérer pour savoir si l'accès à un avocat a été donné dans un délai raisonnable.

Résumé de décision : R. c. Tremblay, C.A., 13 janvier 2021.
La possibilité d'utiliser un cellulaire ne constitue pas

La possibilité d'utiliser un appareil téléphonique portable (cellulaire) est-elle pertinente quant à l'évaluation du délai raisonnable avant d'avoir accès à un avocat ? Telle est la question principale posée par cet appel.

Le ministère public écrit dans son exposé que l'avènement et la multiplication des téléphones cellulaires n'amènent pas une nouvelle ère constitutionnelle qui ferait en sorte qu'un individu pourrait consulter l'avocat de son choix sur le bord de la route en attendant l'arrivée de la remorqueuse. Si cela signifie que l'on ne peut décréter, dans tous les cas, que la personne doit être autorisée à ce faire, on est d'accord. En revanche, si cela signifie qu'on ne peut jamais le faire, on est en total désaccord. Tout est question de circonstances et l'on ne partage pas l'avis du ministère public que cela est l'essence du débat. L'essence du débat ne consiste pas à décider si l'avènement du cellulaire modifie le droit et permet l'utilisation de celui-ci. L'essence du débat consiste plutôt à déterminer ce dont les policiers doivent tenir compte pour décider s'ils autorisent ou pas l'utilisation du cellulaire aux fins de consultation d'un avocat.

Il faut noter, d'abord, que les arguments du ministère public quant à l'impossibilité de permettre à l'accusée de téléphoner à son avocat sur le bord de la route heurtent de plein fouet les conclusions factuelles du juge de la Cour du Québecdans le présent dossier, et le juge de la Cour supérieure a eu raison de se montrer déférent à l'égard du juge de la Cour du Québec. Par ailleurs, le ministère public semble inverser le fardeau. Non seulement la question de savoir si le délai avant d'avoir accès à un avocat peut être qualifié de raisonnable est une question de fait, mais, en plus, c'est le ministère public qui a le fardeau de le démontrer. Il doit le faire en se fondant sur la preuve, et non en fonction d'une règle immuable voulant que cela ne soit jamais raisonnablement possible en pratique. Une question de fait s'analyse au regard de la preuve, et non en se fondant sur des hypothèses que l'on voudrait étendre à tous les cas. Le ministère public ne sera donc en mesure de se décharger de son fardeau qu'en démontrant que l'accès à un avocat a été facilité à la première occasion raisonnable, selon les circonstances de l'affaire.

Dans la présente affaire, l'on comprend que le juge de la Cour du Québec a conclu, dans les circonstances, que la première occasion raisonnable d'avoir accès à un avocat s'est matérialisée sur les lieux mêmes de l'interception, après l'arrestation qui a suivi le résultat du prélèvement à l'aide de l'ADA. Or, il a fallu 54 minutes supplémentaires pour que l'accusée ait accès à son avocat au poste de police. Il ne s'agissait donc pas de la première occasion raisonnable, puisque les explications des policiers pour attendre l'arrivée au poste de police ont été écartées par le juge. Le juge de la Cour supérieure était, par conséquent, fondé à rejeter l'appel sur ce point. On convient que la présence d'un cellulaire ne constitue pas, en soi, une circonstance forçant les policiers à en permettre l'utilisation pour communiquer avec un avocat. Cette technologie ne répond pas, dans tous les cas, à la question de savoir quand survient la première occasion raisonnable. Elle demeure néanmoins une circonstance dont il faut tenir compte en répondant à cette question. Il est important de considérer l'ensemble des circonstances pour savoir si l'accès à un avocat a été donné dans un délai raisonnable, certains cas pouvant justifier une attente plus longue. De la même manière qu'un passage à l'hôpital n'autorise pas les policiers, dans tous les cas, à attendre la fin des traitements, l'attente sur le côté de la route n'autorise pas les policiers, dans tous les cas, à reporter au poste de police l'accès à l'avocat. Il en est de même du cellulaire : la loi n'oblige pas les policiers à en permettre l'utilisation. Elle les oblige plutôt à en tenir compte, comme de toutes les autres circonstances, au moment de prendre leur décision.

En somme, les hypothèses, les suppositions, telles celles évoquées par le ministère public, ne suffisent pas pour que ce dernier se décharge de son fardeau qui consiste à prouver l'existence de véritables obstacles, comme une urgence, un danger, une règle de droit. Il faut une preuve factuelle de circonstances particulières pour justifier un délai, de simples suppositions ne pouvant suffire. Cette cour a aussi rappelé la nécessité de circonstances exceptionnelles pour justifier un délai avant l'accès à un avocat, dont une menace à la sécurité des policiers ou du public, un risque imminent que des éléments de preuve soient détruits ou perdus ou le fait qu'une autre opération policière en cours puisse être compromise.

En ce qui concerne l'exclusion des éléments de preuve, le ministère public conteste essentiellement les inférences tirées par le juge de la Cour du Québec, sans démontrer quelque erreur de droit. On pourrait croire que la conclusion du juge est sévère. Après tout, dès que l'exclusion d'un élément de preuve entraîne un acquittement, la décision peut paraître sévère. Une telle décision relève toutefois d'abord et avant tout du juge de procès. Décider si un ou plusieurs facteurs militent ou non en faveur de l'exclusion d'un élément de preuve exige une appréciation globale de toutes les circonstances et commande donc la déférence de la part d'une cour d'appel. Bien que la décision d'écarter un élément de preuve doive être raisonnable, la cour siégeant en révision ne modifiera pas les conclusions du juge du procès en l'absence d'une erreur manifeste quant aux principes ou aux règles de droit applicables ou d'une conclusion déraisonnable.

Sur le critère de la gravité de la conduite de l'État, le ministère public aborde la question de l'obligation d'agir « sans délai », ce qui signifie, selon la jurisprudence, « à la première occasion raisonnable ». L'argument n'est pas valable. Il n'y a aucune indication que le juge de la Cour du Québec n'aurait pas tenu compte de cette qualification. Le ministère public invoque également la bonne foi des policiers, ce qui serait de nature à atténuer la gravité de leur conduite. Or, le juge a conclu que les raisons invoquées par les policiers n'étaient ni réelles ni sincères, ce qui nous éloigne fortement de la bonne foi. En réalité, toujours selon les conclusions factuelles du juge, lesquelles sont bien ancrées dans la preuve, les policiers ont créé des raisons pour refuser de laisser l'accusée utiliser son cellulaire. Il ne peut donc y avoir bonne foi, d'autant que les policiers évoquent une absence de directive, ce qui laisse croire que cette conduite est systémique ou institutionnelle, une détermination qui a son importance. Il est nécessaire de rejeter une conduite policière fondée sur une pratique immuable plutôt que sur les circonstances de l'espèce. En somme, le ministère public ne démontre pas d'erreur de la part du juge de la Cour du Québec qui aurait pu justifier l'intervention de la Cour supérieure.

Quant à l'incidence de la violation, le juge de la Cour du Québec tient compte du fait que la preuve en question est de nature auto-incriminante. Il va de soi que l'exclusion de la preuve ne peut être automatique pour cette raison, mais toutes les circonstances devant être prises en considération, il n'est certes pas erroné d'en tenir compte. Il est vrai que les échantillons d'haleine sont généralement obtenus par un moyen peu intrusif, ce qui devrait favoriser leur admission en preuve. En revanche, il faut tenir compte de toutes les circonstances, ce qu'a fait le juge de la Cour du Québec, et la déférence qui lui est due explique la décision du juge de la Cour supérieure. En l'espèce, les policiers ont été guidés, notamment, par l'absence de directive. Autrement dit, une conduite systémique, induite par l'absence de directive, ce dont les tribunaux doivent se dissocier. Il est vrai qu'aucun élément de preuve n'a été découvert avant que l'accusée n'ait parlé à son avocat, ce que l'on pourrait être tenté d'assimiler à une absence de préjudice réel. Pourtant il n'en est rien. D'une part, il n'est pas exigé qu'il y ait toujours un lien causal entre la violation de la Charte canadienne et la découverte d'éléments de preuve; le lien temporel revêt généralement une importance particulière. D'autre part, l'accusée a été inutilement privée de tout contact avec l'extérieur, notamment avec son avocat, pendant près d'une heure, alors qu'elle avait demandé la permission d'appeler ce dernier en utilisant son téléphone cellulaire, ce qui lui a été refusé sans que l'on ait même considéré la simple possibilité qu'elle puisse le faire. Le droit à l'avocat vise à établir un équilibre entre le droit à la liberté et le pouvoir extraordinaire de détenir une personne contre son gré. Le droit à l'avocat vise également à assurer un processus décisionnel équitable entre l'accusé et les agents de l'État. Il n'y avait rien d'équitable dans la décision de laisser l'accusée se demander, pendant une heure, ce qui pourrait bien se produire ensuite et quelles options s'offraient à elle, alors que les policiers ne se sont même pas demandé s'ils pouvaient l'autoriser à téléphoner, et ce, en raison d'une absence de directive. Même si l'on sait que l'accusée n'avait que très peu d'options, un appel lui aurait au moins permis de le savoir sans avoir à attendre si longtemps. Ajoutons en l'espèce que la confiance que l'accusée avait envers son avocat constitue un élément à prendre en compte pour évaluer l'incidence de la décision des policiers de retarder l'accès à un avocat.

Le reste de l'analyse du juge de la Cour du Québec ne peut pas davantage être contesté. Bref, le juge de la Cour supérieure n'a pas commis d'erreur de droit en refusant d'intervenir.

Il y a lieu d'insister : le problème ici n'est pas d'avoir refusé de laisser l'accusée téléphoner à son avocat avec son cellulaire. Le problème consiste à ne pas avoir même considéré cette possibilité alors que cela était la responsabilité des deux policiers. Et pourquoi ces derniers n'ont-ils pas considéré cette possibilité ? En raison de l'absence de directive le leur permettant. Voilà où entre en jeu la responsabilité du système, qui induit une conduite systémique, évidemment susceptible de se répéter, ce qui aggrave la situation. Cette situation ne peut être tolérée.

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