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L'accusé a failli à son obligation, en sa qualité de mari et d'aidant naturel, de fournir les choses nécessaires à l'existence de sa femme, qui vivait avec les lourdes séquelles laissées par un AVC. En tenant compte des circonstances propres à l'affaire, le tribunal détermine qu'une peine d'emprisonnement de 18 mois à purger dans la collectivité est juste et appropriée.

Résumé de décision : R. c. Turcotte, EYB 2023-536854, C.S., 6 décembre 2023
L'accusé a failli à son obligation, en sa qualité de mari et d'aidant naturel, de fournir les choses nécessaires à l'existence de sa femme, qui vivait avec les lourdes séquelles laissées par un AVC. E

Un jury a reconnu l'accusé coupable d'homicide involontaire coupable. Plus précisément, le jury a conclu que l'accusé avait failli à son obligation de fournir à sa femme, qui vivait avec les lourdes séquelles laissées par un AVC subi dix ans plus tôt, les soins nécessaires au traitement d'importantes plaies de pression. Forcément, le jury a conclu que ces omissions de l'accusé au cours des quelques semaines ou quelques mois précédant le décès de sa femme avaient contribué de façon importante à ce décès. Le ministère public réclame une peine d'emprisonnement de dix ans. La défense propose, elle, une peine d'emprisonnement dans la collectivité assortie de conditions sévères. Il s'agit donc de déterminer la peine appropriée pour l'infraction dont l'accusé a été reconnu coupable, en tenant compte des circonstances propres à l'affaire. Ni plus ni moins.

D'emblée, la position du ministère public a de quoi surprendre. Ce dernier appuie lourdement sur le fait que le jury a reconnu l'accusé coupable d'avoir causé le décès de sa femme. Sans être inexacte, l'affirmation s'avère courte dans les circonstances. Le ministère public va même aussi loin que d'affirmer que l'infraction dont le jury a reconnu l'accusé coupable constitue un « quasi-meurtre ». Or, les faits de la présente affaire ne ressemblent en rien à ceux que les tribunaux qualifient de « quasi-meurtres ». Les faits prouvés dans la présente affaire établissent l'omission de l'accusé de respecter son obligation de fournir les choses nécessaires à l'existence de sa femme, en sa qualité de mari et d'aidant naturel, sur une période relativement courte, après près de dix ans de soins convenables. Bref, la peine que le ministère public réclame s'avère sans commune mesure avec la preuve présentée.

Bien qu'au Canada, l'incarcération doive constituer une peine de dernier recours, il existe des intervenants dans le système judiciaire comme à l'extérieur pour dénigrer les mesures punitives alternatives à l'incarcération. Pour ces personnes, par exemple, l'emprisonnement dans la collectivité ne constitue tout simplement pas une véritable mesure punitive. Il s'agit d'une perception malheureuse et erronée. L'emprisonnement dans la collectivité permet d'éviter l'incarcération, mais pas la punition. Il restreint la liberté du délinquant qui se trouve confiné à son domicile et contrôlé dans ses déplacements. En outre, il peut durer plus longtemps, voire beaucoup plus longtemps, que la peine d'incarcération qui aurait autrement été imposée pour l'infraction commise. Enfin, le délinquant vit sous la menace constante d'une incarcération pour le résidu de sa peine s'il ne respecte pas les conditions qui y sont reliées. Il faut retenir, donc, que la sévérité n'est pas l'apanage de l'incarcération et que tout dépend des circonstances.

Dans la présente affaire, l'emprisonnement dans la collectivité constitue une peine envisageable. Premièrement, l'infraction commise serait passible d'une peine d'emprisonnement de moins de deux ans. En effet, l'ensemble des circonstances pointe ici vers une peine d'emprisonnement dans la première moitié de la fourchette applicable (un à trois ans d'emprisonnement). Sont considérées, entre autres circonstances : 1) la durée pendant laquelle l'accusé a agi efficacement comme aidant naturel auprès de sa femme, malgré le lourd handicap de celle-ci; 2) l'amour que l'accusé et sa femme se portaient l'un à l'autre; 3) le caractère récent de la négligence et sa durée limitée; 4) le fait que la négligence survient durant la période d'urgence sanitaire avec ses contraintes, même si ces dernières n'excusent pas l'omission de l'accusé; 5) l'absence de mauvais traitements actifs, de gestes délibérés ou de violence; 6) l'âge de l'accusé; et 7) la médiatisation du dossier. Deuxièmement, l'emprisonnement de l'accusé dans la collectivité ne mettrait pas celle-ci en danger puisqu'il n'existe pas de risque de récidive, vu les faits très particuliers de ce dossier. Troisièmement, l'objectif essentiel et les principes de la détermination de la peine ne s'y opposent pas. Au contraire, ils militent en faveur d'une peine d'emprisonnement dans la collectivité assortie de conditions rigoureuses.

Une telle peine est effectivement une peine juste et appropriée dans les circonstances. Sur une courte période, l'accusé s'occupe très mal de sa femme. Il se laisse déborder au-delà de ce qui est raisonnable et ne recherche aucune aide professionnelle. Il ne se soucie pas convenablement du véritable bien-être de sa femme. Son comportement constitue un écart marqué et important par rapport à la conduite d'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. Cependant, l'accusé n'agit pas de propos délibéré. Son appel au secours à sa fille pour qu'elle l'aide devant une plaie dont il a perdu le contrôle démontre qu'il ne se désintéresse pas de sa femme. Il ne l'abandonne pas non plus, comme le démontre le témoignage de l'ambulancier. En ce sens, son degré de culpabilité morale ne se situe pas au haut de l'échelle pour ce type d'infraction, mais plutôt vers le bas. Par ailleurs, on ne peut ignorer que l'accusé a vécu avec une accusation de meurtre au premier degré entre son arrestation (avril 2021) et la tenue de son enquête préliminaire (septembre 2022). Cela lui a d'ailleurs valu d'être incarcéré de façon préventive pendant 90 jours, puis d'être assigné à domicile avec le port d'un bracelet électronique pendant 14 mois. À cela s'ajoutent plusieurs éléments sécurisants. L'accusé bénéficie du soutien de sa famille. Sa fille offre qu'il purge sa peine chez elle, comme il l'a fait au cours de sa détention provisoire à domicile. Et l'accusé a respecté les conditions de sa détention à domicile et de sa mise en liberté subséquente. Rien ne permet alors de croire qu'il ne respectera pas une peine d'emprisonnement dans la collectivité.

Certes, le législateur demande aux tribunaux de porter une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion au moment de prononcer une peine pour une infraction à l'endroit d'une personne vulnérable, surtout si celle-ci se trouve sous la responsabilité du délinquant. Toutefois, cela n'exclut pas l'emprisonnement dans la collectivité. Quoi qu'il en soit, la peine d'emprisonnement dans la collectivité assortie de conditions sévères remplit aussi ces objectifs de dénonciation et de dissuasion. Il ne faut pas sous-estimer les stigmates de cette peine que le délinquant doit vivre au vu et au su de sa communauté. Cela s'avère d'autant que le dossier a fait l'objet d'une couverture médiatique et que des photographies sont aisément disponibles.

Reste à fixer la durée et les modalités de l'emprisonnement dans la collectivité. La suggestion de la défense (18 mois) est raisonnable. Il faut tenir compte de la détention préventive de l'accusé et de son assignation à domicile avec le port d'un bracelet électronique. Ainsi, la peine totale équivaut dans les faits à 36,5 mois d'emprisonnement, sous une forme ou une autre, sans même tenir compte des 12 mois de probation additionnels. Au total, l'accusé aura été sous la surveillance de l'État pour une période de plus de quatre ans. Pour souligner l'aspect punitif de la peine, l'accusé sera assigné à domicile 24 heures sur 24 pendant les 12 premiers mois, puis sera soumis à un couvre-feu de 19 h à 7 h pour les six mois suivants. Ainsi, dans les faits, il aura été assigné à domicile 24 heures sur 24 pendant une période totale de plus de deux ans et soumis à un couvre-feu pendant une période totale de près de trois ans. En sus de ces mesures restrictives de liberté, l'accusé devra se soumettre à de sévères conditions tout au long de sa peine, sous la supervision étroite d'un agent de surveillance. Durant toute cette période, ses mouvements seront limités. De surcroît, il devra exécuter 240 heures de service communautaire. Une interdiction de possession d'armes, de munitions ou d'explosifs et une ordonnance de prélèvement d'échantillons de substances corporelles pour analyse génétique sont également prononcées.

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