Les pages « Dis son nom » et « Victim’s voice », hébergées sur Facebook et Instagram, permettent aux victimes de harcèlement ou d’agression de nature sexuelle de dénoncer anonymement leurs présumés agresseurs. Les administratrices de ces pages publient ensuite le nom des présumés agresseurs sur une liste, en mentionnant parfois leur ville et leur lieu de travail. Le demandeur sollicite l’autorisation d’entreprendre une action collective pour le compte de toutes les personnes dont la réputation a été atteinte par ces publications prétendument diffamatoires contre Facebook. Il lui est reproché, notamment, d’avoir permis, sans aucune vérification préalable, la publication de fausses informations allant à l’encontre de ses politiques d’utilisation et d’avoir refusé de retirer le contenu offensant lorsqu’il lui a été demandé de le faire. Parce que la demande ne satisfait pas aux critères de l'autorisation, elle est rejetée.
D’abord, est mal fondée l’allégation selon laquelle Facebook aurait l’obligation d’empêcher la publication de matériel diffamatoire. Contrairement aux médias traditionnels, qui choisissent ce qui est publié et qui sont encadrés légalement, le contenu sur les médias sociaux est publié par les utilisateurs. Cette absence de fonction éditoriale fait en sorte que Facebook, à titre de gestionnaire de ces plateformes, n’est pas assujetti aux mêmes obligations qu’un diffuseur traditionnel, sans toutefois échapper à toute responsabilité à cet égard, car autrement, n’importe quelle activité illicite pourrait s’y produire sans qu’il soit nécessaire de prendre des moyens raisonnables pour les faire cesser. L’art. 27 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (LTI) prévoit qu’un gestionnaire de plateforme n’est pas tenu de surveiller ou de valider l’information contenue sur son site. L’art. 22 LTI édicte, pour sa part, que le gestionnaire n’est pas responsable des activités accomplies par ses utilisateurs, à moins qu’il ait connaissance du caractère illicite du matériel qu’il héberge et qu’il refuse tout de même de le retirer. Autrement dit, sa responsabilité ne peut être engagée pour des propos diffamatoires publiés par un usager, à moins que le caractère diffamatoire ne lui ait été dénoncé et démontré. Facebook a donc l’obligation légale de retirer le matériel illicite une fois qu’il lui a été signalé, mais seulement lorsqu’il a obtenu une confirmation par un tiers indépendant du caractère effectivement illicite du contenu.
En l’espèce, le caractère illicite des publications repose sur le fait qu’elles sont diffamatoires, mais sans qu’il ne soit possible de conclure que le seuil de connaissance requis est atteint pour engager la responsabilité de Facebook. Une audience au fond ne permettra pas de déterminer si Facebook avait la connaissance confirmée par un tiers indépendant du caractère illicite du contenu au moment où on le lui a signalé. En effet, à l’époque des dénonciations, aucun procès n’avait eu lieu et personne n’était en mesure de trancher cette question. Le demandeur allègue que l’obligation de retirer le contenu naît dès le moment où une personne dénonce son caractère illicite ou dès qu’une personne démontre qu’il est potentiellement illicite. Cette proposition est difficilement conciliable avec la liberté d’expression, puisque toute personne aurait le pouvoir de censurer les propos d’autrui. En outre, il n’est tout simplement pas dans l’intérêt public de créer une obligation d’enquêter chaque fois que Facebook reçoit une plainte. Le syllogisme du demandeur est aussi fragilisé parce que la liste contenant le nom des présumés agresseurs est désormais hébergée sur un autre site. Seul un hyperlien se trouve sur Facebook et Instagram. Un hyperlien ne constitue pas une diffusion.
Ensuite, le demandeur ne bénéficie pas d’une cause personnelle d’action. Son nom ne figure pas sur la liste des présumés agresseurs, laquelle est visée par le présent recours. Il y a bien un Charles Dumas sur la liste, mais le nom du demandeur est Charles Lehouillier-Dumas. Une simple similarité n’est pas suffisante, d’autant plus qu’il n’allègue nulle part que son nom figure erronément sur la liste, se limitant à prétendre que la présence de ce nom a le potentiel de créer une confusion qui pourrait lui être préjudiciable. Mais il y a plus. Les administratrices de la page « Dis son nom » ont ajouté « PAS Charles Lehouillier-Dumas » à côté du nom de Charles Dumas. Une confusion n’est donc plus possible. Bref, les allégations de la demande ne sont pas suffisantes ni pour soutenir une conclusion de faute ni pour établir un quelconque préjudice. Une personne victime de diffamation ne subit un préjudice que si les propos ont diminué l’estime que le citoyen ordinaire lui porte. Or, aucune allégation ne permet de conclure à une telle diminution d’estime.
Quant au critère des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes, il n’est pas non plus satisfait. Les inconduites sexuelles requièrent une analyse contextuelle des faits propres à chaque réclamation potentielle. Une action collective se prête mal à ce genre d’exercice.
Compte tenu des précédentes conclusions, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la demande en rejet présentée par Facebook. Il est tout de même plaidé que le caractère abusif de la demande doit être analysé, car le droit d’appel sera distinct. Cependant, il y a lieu de s’interroger sur la pertinence d’avoir recours à l’abus de procédure afin de rejeter une demande en autorisation d'entreprendre une action collective alors que les critères de l’autorisation servent justement à écarter les demandes qui n’ont aucune chance raisonnable de succès. D’ailleurs, s’il fallait conclure qu’une demande en autorisation est abusive chaque fois qu’elle est rejetée, cela pourrait en décourager plusieurs à entreprendre un tel recours. Certes, cela ne veut pas dire qu’une demande en rejet ne sera jamais appropriée à l’égard d’une action collective, mais dans le présent dossier, la requête du demandeur ne peut pas être qualifiée de téméraire ou de blâmable.