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Le défendeur devra payer des dommages-intérêts totalisant 26 000 $ à une employée qui a travaillé pour lui pendant près de deux ans, pour avoir porté atteinte aux droits de celle-ci à des conditions de travail exemptes de harcèlement et de discrimination fondée sur le sexe ainsi qu’à son droit à la sauvegarde de sa dignité

Résumé de décision : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (V.L.) c. Desormeaux, EYB 2019-311931 (T.D.P., 3 juin 2019)
Le défendeur devra payer des dommages-intérêts totalisant 26 000 $ à une employée qui a travaillé pour lui pendant près de deux ans, pour avoir porté atteinte aux droits de celle-ci à des co

La plaignante (L.) explique qu’elle a travaillé dans le commerce de restauration rapide de Jean Desormeaux pendant près de deux ans. Elle avait 18 ans au moment de son embauche, venait de terminer son secondaire et souhaitait intégrer le marché du travail. Son intention était de pouvoir avoir un jour son propre restaurant. Elle a décrit tous les gestes et paroles à caractère sexuel dont elle a été l’objet de la part de Desormeaux. Précisons qu’il ne s’agit pas ici de déterminer si un patron peut solliciter des faveurs sexuelles ou tenir des propos de nature sexuelle de la nature de ceux rapportés par L., à l’endroit d’un de ses employés. De tels comportements sont interdits par la législation, sanctionnés par les tribunaux et condamnés par l’opinion publique. D’ailleurs, Desormeaux n’a pas suggéré que la conduite qui lui est reprochée ou celle qu’il admet avoir eue soit permise ou tolérable. Il a reconnu que cela ne l’est pas, mais a tenté de se justifier ou d’excuser sa conduite en expliquant qu’il ne se conduisait de la sorte que sous l’influence de la cocaïne. Il a même admis avoir dépassé les limites, mais a souligné qu’il était aujourd’hui un nouvel homme. En fait, il appert qu’il minimise, voire nie l’impact que son comportement inapproprié a eu sur L. Il suggère même que ce n’est pas auprès de la victime des actes répréhensibles qu’il faut mesurer le dommage causé, mais auprès de son auteur. Il se déresponsabilise, mentionnant qu’il est démuni et qu’il ne craint pas une condamnation, puisqu’il ne pourra pas payer. Son détachement est frappant et le tribunal ne retient pas son témoignage. Quant à L., son témoignage est crédible et il est corroboré par une personne qui été témoin de plusieurs des gestes et propos rapportés. Elle a aussi déposé une preuve documentaire accablante. Le tribunal en conclut que, nonobstant la réponse à la question de savoir si Desormeaux savait que les avances, les demandes et les propos à caractère sexuel qu’il adressait à L. étaient non désirés (en plus du fait qu’ils étaient non sollicités), son comportement a eu pour effet de compromettre le droit de celle-ci à la sauvegarde de sa dignité et à des conditions de travail exemptes de discrimination. Ils constituent donc un traitement discriminatoire interdit par les art. 10, 16 et 4 de la Charte. La preuve établit clairement aussi que L. a été victime de harcèlement sexuel en milieu de travail ; Desormeaux l’a touchée de façon inappropriée et lui a tenu des propos inconvenants à répétition, portant ainsi atteinte à son droit garanti par l’art. 10.1 de la Charte.

L. s’est sentie humiliée et dégoûtée par le comportement de Desormeaux. Elle a « supporté » le tout parce qu’elle avait peur de perdre son emploi et de ne pas pouvoir « avoir de référence ». Lorsqu’elle a constaté, au retour d’une journée de maladie, que son nom avait été rayé de la liste des employés, elle s’est sentie soulagée, mais a ensuite été en dépression pendant six mois. Elle a perdu confiance en elle et en l’avenir au point de rester socialement et personnellement paralysée pendant tout ce temps, ne sachant comment réorienter sa vie. Lorsqu’elle a repris le dessus sur la situation, elle a décidé de réorienter sa carrière pour travailler plutôt en informatique. Personne ne devrait se sentir humilié, non digne de respect ou craindre pour sa sécurité dans son milieu de travail. La définition même du harcèlement implique que les conséquences de cette contravention aux droits fondamentaux d’une personne sont sérieuses pour les victimes. Pour ces motifs, le tribunal lui octroie 20 000 $ à titre de dommages moraux.

 Un homme dans la mi-quarantaine qui se décrit comme un mâle alpha n’ignore pas le pouvoir qu’il peut avoir sur certaines personnes et Desormeaux a usé de ce pouvoir sur L. autant qu’il a pu. Or, une personne en autorité qui a des conversations de nature sexuelle non sollicitées et non désirées avec un de ses employés ne peut ignorer qu’elle contrevient à la loi. Qui plus est, confronté au caractère inacceptable de son comportement, Desormeaux a eu la réaction de continuer à humilier L. et de la menacer de le faire devant le juge. Encore aujourd’hui, il reste convaincu que toute cette histoire, en plus d’être montée en épingle, ne valait pas la peine d’aller à procès. Il a tort. Malgré les décennies écoulées à dénoncer le phénomène, le fait que le sujet soit encore d’actualité témoigne du fait que les montants accordés jusqu’à maintenant à titre de dommages punitifs n’ont pas été dissuasifs. Le tribunal accorde donc un montant qui reflète le niveau de réprobation sociale face aux gestes posés, soit 6 000 $.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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