Toutes les entreprises canadiennes et leurs dirigeants doivent respecter les lois canadiennes interdisant la fraude et la corruption d'agents publics étrangers. Le Canada est un état de droit. Ses lois doivent être respectées. Or, la cupidité corporative institutionnelle existant au sein de SNC-Lavalin et la cupidité de certains de ses dirigeants, dont M. Bebawi, ont entraîné un dérapage dont l'extravagance et les excès entrent en collision frontale avec les paramètres clairs établis par le droit canadien. M. Bebawi a participé à la distribution de plusieurs dizaines de millions de dollars à des membres ou à l'entourage de ce qu'un expert a décrit comme une kleptocratie dictatoriale. Il a, de plus, reçu personnellement près de 30 millions de dollars. Lorsque la GRC a procédé à l'exécution de certains mandats de perquisition, M. Bebawi a en outre posé des gestes dans le but de soustraire certaines sommes d'argent à l'intervention des autorités. Durant le cours de l'enquête policière qui le visait de même que SNC-Lavalin et M. Ben Aissa, M. Bebawi a également tenté, avec son avocat, de soudoyer M. Ben Aissa en lui offrant plusieurs millions de dollars pour qu'il mente aux autorités policières. Il s'agit de déterminer quelle peine doit être imposée à M. Bebawi.
La corruption d'agents publics étrangers et toute fraude qui l'accompagne constituent des infractions extrêmement sérieuses. La corruption provoque une distorsion des marchés qui porte préjudice au développement économique, social et politique des nations. Les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent être privilégiés en cette matière. Il en va de même en matière de fraudes de grande envergure. Si la dissuasion générale découlant des peines imposées fait parfois l'objet de débats vigoureux, il en va autrement lorsque les délinquants sont des gens d'affaires rompus à l'évaluation des coûts et des bénéfices dans la gestion d'une entreprise.
Les facteurs aggravants suivants existent dans la présente affaire : 1) la nature sophistiquée et l'étendue de la fraude; 2) le degré de préméditation se retrouvant, notamment, dans la planification, la mise en œuvre d'un système frauduleux et les moyens déployés pour en empêcher la détection; 3) le comportement de M. Bebawi après la commission des infractions; 4) les bénéfices personnels retirés par M. Bebawi; 5) les fonctions hiérarchiques exercées par M. Bebawi; 6) la motivation sous-jacente à la commission des infractions, en l'occurrence une insatiable cupidité.
Au chapitre des facteurs atténuants, M. Bebawi invoque sa bonne réputation, son âge (73 ans), son état de santé, certains remords et le fait que les infractions aient été commises dans le cadre d'une entreprise légitime qui a fourni des services légitimes. Qu'en est-il? Le bon caractère, la bonne réputation ou l'absence d'antécédents judiciaires n'est pas un facteur atténuant significatif dans le cas d'une fraude planifiée, sophistiquée et échelonnée sur une longue période, car, bien souvent, le délinquant aura tiré avantage de sa réputation sans tache pour commettre ses infractions. En outre, l'âge avancé du délinquant peut être pris en compte dans l'application des principes pertinents de détermination de la peine, mais uniquement dans des circonstances, somme toute, limitées. Le seul fait qu'un délinquant soit d'un âge avancé ne constitue pas en soi un facteur atténuant, à moins qu'il ne ressorte de la preuve que le délinquant n'a que peu de perspectives de compléter sa peine avant son décès. En l'espèce, la preuve présentée ne démontre pas que M. Bebawi n'a que peu de perspectives, malgré son âge avancé, de compléter sa peine. Certes, la durée des peines proposées par les parties s'avère ici assez longue. Cependant, la gravité des infractions commises par M. Bebawi, son degré de responsabilité dans la mise en œuvre de celles-ci et les gestes posés pour en empêcher la détection par les autorités policières laissent au bout du compte une place assez modeste pour considérer l'âge comme facteur atténuant. Et sans être insensible aux problèmes de santé de M. Bebawi (la santé de ce dernier est loin d'être optimale même si aucun pronostic précis n'a été établi), il appartiendra aux autorités carcérales compétentes de prendre les mesures appropriées si la poursuite de la détention de M. Bebawi venait à compromettre gravement sa santé. Dans un autre ordre d'idées, M. Bebawi exprime des remords envers les employés de SNC-Lavalin qui ont été les victimes d'un modèle corporatif d'affaires déviant fondé sur une corruption débridée. Même si l'on considère ces remords comme étant sincères, ils s'avèrent tardifs et leur poids ne peut être que relatif. Enfin, la trame factuelle de cette affaire établit que le modèle d'affaires mis en œuvre s'appuyait sur une corruption érigée en système. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que la conduite frauduleuse des entreprises et de leurs dirigeants entraîne inévitablement une crise de confiance envers l'intégrité des marchés financiers et que cette crise se généralise malheureusement à celle de tous les dirigeants, que ceux-ci œuvrent dans le secteur privé ou public.
En l'absence de facteurs atténuants prépondérants ou significatifs, les faits révélés par la présente affaire justifient l'imposition de peines dans la limite supérieure de la fourchette des peines (les parties conviennent que la fourchette des peines applicables à la principale accusation de fraude se situe entre six et dix ans). M. Bebawi est condamné à une peine globale de huit ans et demi d'emprisonnement.