Le juge de première instance a déclaré invalides et inopérantes plusieurs dispositions du C.c.Q. et du Règlement relatif au changement de nom et d’autres qualités de l’état civil (le Règlement) pour cause de violation des droits fondamentaux des personnes transgenres ou non binaires. En appel, le débat est concentré sur les dispositions imposant des exigences particulières aux personnes mineures de 14 ans et plus qui désirent faire changer la mention de leur sexe ou leur nom sur leurs documents d’état civil. Dans le cadre de l’appel principal, il est reproché au juge d’avoir erronément invalidé le deuxième alinéa de l’art. 23.2 du Règlement. Cette disposition requiert que la demande de changement de la mention du sexe sur l’acte de naissance d’un enfant mineur soit accompagnée d’une lettre d’un professionnel désigné déclarant que le changement est approprié. Le juge a retenu que cette exigence créait une distinction fondée sur l’âge, puisque les personnes majeures n’ont qu’à fournir une déclaration sous serment d’une personne majeure les connaissant depuis au moins un an confirmant qu’elles reconnaissent le sérieux de leur démarche, et qu’elle constituait un fardeau administratif pouvant être impossible à surmonter. Il a conclu qu’il n’y avait pas de lien rationnel entre cette exigence et l’objectif législatif poursuivi et que l’atteinte aux droits à la dignité et à l’égalité n’était pas justifiée au sens de l’article premier de la Charte canadienne. Dans le cadre de l’appel incident, il est reproché au juge d’avoir erré en refusant de déclarer invalide et inopérant l’art. 62 C.c.Q. au motif qu’il ne porte pas atteinte aux droits des personnes mineures transgenres ou non binaires de 14 ans et plus, alors qu’il semble les obliger à aviser leurs parents tout en permettant à ces derniers de s’opposer à leur demande de changement de nom.
Le deuxième alinéa de l’art. 23.2 du Règlement doit être lu avec l’art. 23.1, lequel énonce les conditions à satisfaire pour que la mention du sexe puisse être changée sur un document d’état civil, et ce, que la personne soit majeure ou mineure. L’art. 23.2, pour sa part, exige la participation d’un tiers. Pour la personne majeure, le tiers doit attester la connaître depuis au moins un an et confirmer qu’elle reconnaît le sérieux de sa demande. Pour la personne mineure âgée de 14 ans et plus, le tiers doit exercer l’une des cinq professions énumérées et fournir une lettre dans laquelle il déclare avoir évalué ou suivi l’enfant et être d’avis que le changement est approprié. Quoique le terme « approprié » ne soit pas défini, l’on comprend que le changement de la mention du sexe est approprié s’il satisfait aux conditions de l’art. 23.1. Ainsi, contrairement à ce que le juge a établi, le professionnel n’a pas le pouvoir de décider pour le mineur si le changement est approprié. Son rôle est limité à déterminer si le changement est approprié à la lumière des conditions de l’art. 23.1. De plus, l’exigence voulant que le professionnel ait évalué ou suivi l’enfant n’équivaut pas à un traitement médical, ce qui serait effectivement contraire à l’art. 71 C.c.Q. L’expression « traitement médical » réfère à un traitement ayant pour but de changer les caractères sexuels d’un patient. Ce faisant, le juge a erré en concluant que le deuxième alinéa de l’art. 23.2 du Règlement était contraire à sa loi habilitante.
Le droit à l’égalité protégé par l’art. 15 de la Charte canadienne doit être interprété de manière large. Il n’est pas contesté que l’art. 23.2 du Règlement crée une distinction fondée sur l’âge, mais cela n’est pas illégal, dans la mesure où il est fréquent que la loi fixe un âge à partir duquel certains droits peuvent être exercés suivant le constat que les êtres humains n’acquièrent la maturité nécessaire qu’au fil du temps. Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle le Règlement crée une distinction fondée sur l’identité de genre, elle ne peut pas être retenue. Le seul fait d’assujettir le changement de la mention du sexe à certaines conditions n’est pas discriminatoire. Quant à l’art. 10 de la Charte québécoise, il édicte que l’âge est un motif de discrimination sauf dans la mesure prévue par la loi. Le législateur possède donc le pouvoir de faire des distinctions fondées sur l’âge et c’est ce qu’il a fait en prévoyant des conditions particulières pour les personnes mineures désirant faire modifier la mention de leur sexe. Par conséquent, il n’y a aucune violation du droit à l’égalité.
Il en va autrement du droit à la sauvegarde de sa dignité. L’acte de naissance d’une personne touche à ses attributs fondamentaux et à son existence légale. La discordance entre la mention du sexe sur les documents d’état civil et l’identité réelle contribue aux difficultés que les personnes transgenres ou non binaires vivent. Il est indéniable que l’art. 23.2 du Règlement vient limiter le droit des jeunes transgenres ou non binaires de faire correspondre la mention de leur sexe à leur identité de genre. Cette atteinte au droit à la dignité garanti par la Charte québécoise est toutefois justifiée aux termes de l’art. 9.1. D’abord, vérifier le sérieux de la démarche d’une personne qui cherche à modifier la mention de son sexe apparaissant à son acte de naissance est un objectif urgent et réel. Il existe un lien rationnel entre cet objectif législatif et l’exigence de fournir une lettre d’un professionnel déclarant que le changement est approprié. Le rôle du professionnel, quoique limité, est important, puisqu’il atteste du sérieux de la demande. Il revêt, de ce fait, une utilité certaine pour l’atteinte de l’objectif. Il s’agit d’une atteinte minimale aux droits des personnes mineures transgenres ou non binaires. L’obligation de consulter un professionnel engendre certaines difficultés, certes, mais elles ne sont pas déraisonnables. En incluant les travailleurs sociaux parmi les professionnels désignés, le législateur a atténué plusieurs difficultés. Les effets du deuxième alinéa de l’art. 23.2 du Règlement sont somme toute limités par rapport à l’objectif qu’il poursuit. Il reflète la nécessité de vérifier le sérieux de la démarche d’un mineur de 14 ans et plus. La présente conclusion se transpose à l’analyse devant être faite aux termes de l’article premier de la Charte canadienne. Il s’ensuit que l’appel principal doit être accueilli.
L’art. 62 C.c.Q. n’oblige pas les personnes mineures de 14 ans et plus à aviser leurs parents lorsqu’ils font une demande de changement de nom. Il n’accorde pas non plus un droit aux parents de s’opposer à la demande. L’art. 62 C.c.Q. précise que le changement de nom n’est pas accordé si les parents n’en ont pas été avisés ou s’ils s’opposent à la demande à moins d’un motif impérieux. Or, justement, lorsque la demande est motivée par le fait que le mineur de 14 ans et plus estime que son nom ne correspond pas à son identité de genre, il s’agit d’un motif impérieux. Il en est ainsi parce que le législateur reconnaît au mineur de 14 ans et plus l’autonomie nécessaire pour faire modifier la mention de son sexe et, en même temps s’il le souhaite, son nom, sans devoir aviser qui que ce soit dès lors que sa demande est motivée par le fait que cette ou ces mentions ne correspondent pas à son identité de genre.
Le deuxième alinéa de l’art. 23.2 du Règlement ne crée pas seulement une distinction fondée sur l’âge. Il crée également une distinction fondée sur l’identité de genre. L’identité de genre est un motif analogue aux motifs énumérés à l’art. 15 de la Charte canadienne et un motif de discrimination expressément prohibé par l’art. 10 de la Charte québécoise. Les personnes dont les documents d’état civil ne correspondent pas à leur identité de genre ont besoin de mesures qui leur permettent de les modifier afin de participer pleinement à la société. Si l’art. 23.2 du Règlement les empêchent de le faire, il est susceptible d’être discriminatoire à leur égard. Cette double distinction fondée sur l’âge et l’identité de genre perpétue, renforce ou accentue un désavantage, la preuve établissant clairement que le deuxième alinéa de l’art. 23.2 du Règlement impose aux personnes mineures transgenres ou non binaires un fardeau additionnel pouvant soit les empêcher d’entreprendre des démarches pour faire changer la mention de leur sexe, soit les retarder ou les ralentir. Ainsi, il fallait conclure que cette disposition est discriminatoire au sens de l’art. 15 de la Charte canadienne et de l’art. 10 de la Charte québécoise. Cela dit, l’analyse précédente ayant servi à déterminer si la violation s’avère justifiée est transposable en l’espèce.