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Pour avoir possédé une « collection » de pornographie juvénile parmi les plus importantes de l'histoire judiciaire au pays et avoir produit un nombre impressionnant de fichiers de pornographie juvénile en utilisant la technologie dite de l'hypertrucage, un homme de 61 ans se voit imposer une peine globale de huit ans d'emprisonnement.

Résumé de décision : R. c. Larouche EYB 2023-521469, C.Q., 14 avril 2023.
Pour avoir possédé une « collection » de pornographie juvénile parmi les plus importantes de l'histoire

L'accusé, un homme de 61 ans, s'est reconnu coupable de possession, de distribution et de production de pornographie juvénile. Le ministère public considère que des peines consécutives totalisant 13 ans d'emprisonnement seraient appropriées. Il suggère toutefois de réduire cette peine de trois ans afin de respecter le principe de la globalité de la peine. De son côté, l'accusé soutient qu'une peine globale de cinq ans d'emprisonnement est plus appropriée.

En ce qui concerne d'abord l'infraction de possession de pornographie juvénile, il convient de mentionner, d'emblée, qu'elle s'est échelonnée sur une période de plus de dix ans. Or, pendant cette période, le législateur a augmenté singulièrement la peine maximale qu'encourait une personne qui commettait cette infraction. Cette peine maximale est effectivement passée de cinq à dix ans d'emprisonnement. L'accusé doit cependant pouvoir bénéficier de la peine la moins sévère. Cela dit, il faut prendre acte du fait que par son importante modification législative, le législateur indique on ne peut plus clairement sa volonté de sanctionner cette infraction avec plus de sévérité.

Pendant plus de dix ans, donc, sans remettre en doute le caractère immoral et illégal de sa conduite, l'accusé a possédé plus de 545 000 fichiers de pornographie juvénile. Une telle quantité de fichiers donne le vertige. Sans être la plus grande quantité de fichiers jamais trouvée au Canada, force est d'admettre que la « collection » de l'accusé est parmi les plus importantes de l'histoire judiciaire. Certes, la quantité de fichiers en elle-même ne peut avoir un impact démesuré. Le processus de détermination de la peine ne saurait être assimilé à une simple opération mathématique où l'on ne tient compte que du nombre de fichiers. N'en demeure pas moins que la quantité de fichiers est pertinente pour jauger de la culpabilité morale de l'accusé. Par ailleurs, l'accusé a pris grand soin de classer chacun des fichiers dans une catégorie précise. Ultimement, l'arborescence du système de classement utilisé par l'accusé démontre bien le soin auquel il soumettait sa « collection ». Ce système de classification permet de considérer toute la préméditation et la planification des gestes. De surcroît, les images, photographies et vidéos qui étaient en possession de l'accusé relèvent de ce qu'il y a de plus vil et de plus abject. On y voit l'exploitation d'enfants fragiles, des agressions sexuelles graves et avilissantes et des actes de torture sur des êtres humains vulnérables, et ce, pour le plaisir sexuel de leurs agresseurs et d'une communauté d'adultes s'excitant du malheur d'êtres humains se retrouvant contre leur gré dans une position d'extrême faiblesse.

Mais il y a plus. Les policiers ont également trouvé, en ce qui concerne l'une des victimes que l'on voit grandir (7 à 14 ans) sur des photographies de la « collection » de l'accusé, des images anodines sur lesquelles on voit cette victime une fois devenue adolescente ou jeune adulte. Des informations personnelles sur cette victime (son véritable nom, sa date de naissance, la ville où elle demeure, le nom de ses frères et soeurs, le nom de l'école qu'elle fréquente et son adresse sur les médias sociaux) ont aussi été trouvées. Toujours dans la « collection » de l'accusé, les policiers ont trouvé, en outre, une vidéo éditée à partir d'un véritable documentaire dans lequel une victime relate les agressions sexuelles que son père a commises à son endroit. Dans cette vidéo, des séquences réellement filmées des agressions sexuelles subies par la victime ont été ajoutées. La possession de ces images et informations qui sortent du cadre strict de la définition de pornographie juvénile laisse le tribunal particulièrement perplexe quant aux affirmations de l'accusé suivant lesquelles il ne voyait que des images, et non de vrais enfants, lorsqu'il consommait de la pornographie juvénile. La possession consciente et délibérée de ces images et informations sur les victimes démontre plutôt toute la turpitude et la culpabilité morale de l'accusé. Ces faits doivent légalement être considérés comme un facteur aggravant d'une grande importance.

Enfin, on ne peut ignorer les impacts de l'infraction sur les victimes, lesquels sont indépendants des impacts des agressions sexuelles et de l'exploitation subies par ces mêmes victimes. Les infractions de pornographie juvénile entraînent des conséquences majeures et bien souvent perpétuelles. La manière dont certaines victimes décrivent les impacts de ces infractions sur leur vie le confirme d'ailleurs. Ces conséquences peuvent à juste titre être considérées comme des éléments aggravants. La « collection » de l'accusé a aussi eu des conséquences sur les enquêteurs/enquêtrices qui ont été exposés à ce matériel. Ces derniers ont subi les contrecoups de leur travail jusque dans leur vie personnelle. La tâche à laquelle ces hommes et ces femmes s'astreignent quotidiennement est absolument nécessaire, mais combien difficile! Leur sens du devoir, au péril de leur santé, doit être souligné à grands traits. Ces conséquences qui se font sentir chez les enquêteurs/enquêtrices sont un exemple patent des répercussions secondaires des infractions de pornographie juvénile dans nos collectivités.

N'eût été son plaidoyer de culpabilité, sa collaboration à l'enquête et le risque de récidive réduit qu'il présente, l'accusé aurait été condamné à la peine maximale pour l'infraction de possession de pornographie juvénile, soit cinq ans d'emprisonnement. Considérant ces éléments, une peine de quatre ans et demi d'emprisonnement est plus appropriée.

En ce qui a trait à l'infraction de distribution de pornographie juvénile, elle est objectivement plus grave que l'infraction de possession de pornographie juvénile (emprisonnement maximal de 14 ans, la peine minimale étant de un an) et elle commande une peine plus sévère que la peine pour l'infraction de possession de pornographie juvénile. Toutefois, dans la présente affaire, ce principe doit être mitigé. Vu la quantité de fichiers échangés (17) par rapport à la quantité de fichiers possédés (545 000), la peine doit être modulée à la baisse. La distribution de pornographie juvénile ne revêt pas ici le caractère exceptionnel et hors-norme de l'importante « collection » de l'accusé. Les circonstances entourant l'infraction, dont la période de plus de trois ans pendant laquelle l'accusé a rendu accessible de la pornographie juvénile, placent ce dernier dans une fourchette jurisprudentielle oscillant entre 20 et 36 mois d'emprisonnement. Plus précisément, à la lumière de ce qui précède, et compte tenu du profil de l'accusé et de son plaidoyer de culpabilité, une peine de 30 mois d'emprisonnement est une peine appropriée.

Reste l'infraction de production de pornographie juvénile, laquelle est aussi punissable d'un emprisonnement maximal de 14 ans (la peine minimale est de un an). La production dans le présent dossier est unique. En effet, l'accusé, qui a des connaissances en informatique, a produit, par la technologie dite de l'hypertrucage (ou deepfake en anglais), plus de 86 000 fichiers pédopornographiques. La criminalisation d'une telle production est inédite dans les affaires judiciaires au pays. On se retrouve visiblement dans une nouvelle ère de cybercriminalité. L'utilisation par des mains criminelles de la technologie de l'hypertrucage donne froid dans le dos. Ce procédé de manipulation audiovisuelle qui recourt aux algorithmes de l'apprentissage profond (deep learning) pour créer des trucages ultraréalistes (en l'espèce, certains des trucages sont d'une qualité visuelle exceptionnelle et empêchent de distinguer le vrai du faux) permet de commettre des crimes qui pourraient mettre en cause virtuellement tous les enfants de nos communautés. Un simple extrait vidéo disponible sur les réseaux sociaux ou encore une capture vidéo subreptice dans un lieu public pourrait transformer un enfant en victime potentielle de pornographie juvénile. La technologie dont disposent présentement les forces de l'ordre sera rapidement désuète. L'impact sur la sécurité de nos collectivités est grand.

Bien que la production en cause soit unique en raison de la technologie utilisée par l'accusé, il reste qu'elle n'a pas à recevoir un traitement exceptionnel en raison de ce fait. Que la production soit le fait de la technologie de l'hypertrucage ou le fait de moyens technologiques mieux connus a peu d'importance. L'essence de l'infraction demeure la même. En l'espèce, le nombre de fichiers produits est impressionnant et les actes de l'accusé sont délibérés. Par contre, rien ne permet de conclure que l'accusé entendait rendre ses fichiers hypertruqués accessibles à d'autres personnes. Rien n'indique non plus que les fichiers ont été dans les faits distribués. De plus, l'accusé a enregistré un plaidoyer de culpabilité et il a collaboré avec les autorités. Sa réhabilitation et sa réinsertion sociale apparaissent dès lors possibles, bien qu'elles doivent passer par un long processus thérapeutique. Considérant que les peines pour la production de pornographie juvénile oscillent historiquement entre 18 et 36 mois d'emprisonnement, et compte tenu des principes énoncés dans l'arrêt Friesen, une peine de 42 mois d'emprisonnement est appropriée.

À la lumière des préceptes de l'al. 718.3(4)b) C.cr., les peines pour les infractions de possession et de distribution de pornographie juvénile doivent être purgées de façon concurrente. En effet, l'accusé a rendu accessibles des fichiers qu'il possédait déjà ou qu'il était lui-même en train de télécharger. La peine pour l'infraction de production de pornographie juvénile doit, quant à elle, être consécutive. De fait, cette infraction ne découle pas des mêmes faits. Par conséquent, c'est une peine globale de huit ans d'emprisonnement (96 mois) qui doit être imposée. Cette peine est proportionnelle à la gravité des infractions et au degré de responsabilité de l'accusé. Étant donné cependant que ce dernier est détenu provisoirement depuis son arrestation, un crédit total de 25 mois doit lui être accordé. À compter de ce jour, l'accusé purgera alors une peine globale de 5 ans et 11 mois d'emprisonnement.

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