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Une municipalité qui devient propriétaire, en vertu d’un décret, de rues, ruelles, trottoirs, chemins et places utilisés à des fins publiques n’est pas tenue d’inscrire ses droits au registre foncier

Résumé de décision : Salaberry-de-Valleyfield (Ville de) c. Beauharnois (Officier de la publicité foncière de), EYB 2015-250002 (C.S., 27 mars 2015)
Blogue juridique

Le 24 avril 2002, le gouvernement du Québec publie un décret concernant le regroupement des villes de Salaberry-de-Valleyfield, de Saint-Timothée et de la municipalité de Grande-Île. Ce décret adopté en vertu de la Loi sur l'organisation territoriale municipale constitue la ville de Salaberry-de-Valleyfield. L'article 32 du décret prévoit que « Malgré l'article 422 de la Loi sur les cités et villes, les rues, ruelles, trottoirs, chemins et places utilisés à des fins publiques dans les limites des anciennes municipalités deviennent la propriété de la nouvelle ville et sont à cet effet des rues, ruelles, trottoirs, chemins et places publics sur toute leur superficie (…)». Au fil des ans, la ville exige à de multiples reprises des inscriptions au registre foncier relativement à des rues, ruelles, trottoirs, chemins et places publics situés sur son territoire. Le sommaire décrit le droit de la ville comme découlant du Décret 418-2002. Ces inscriptions ne soulèvent aucun problème jusqu'en 2013, époque à laquelle l'Officier de la publicité des droits signifie à la ville que l'inscription au registre foncier n'est pas obligatoire et, donc, non requise. La ville procède alors par jugement déclaratoire afin de faire déterminer si la publicité au registre foncier est requise. La procureure générale du Québec (la PGQ) comparaît et conteste la requête.

Soulignons tout d'abord que la ville remplit les critères de l'article 453 C.p.c. et qu'elle peut procéder par jugement déclaratoire. Son intérêt est d'autant plus actuel qu'elle agit en fonction de sa croyance que la publicité est requise depuis plusieurs années et qu'elle affronte maintenant une impasse juridique réelle sur la portée du décret. Au surplus, la validité du décret n'est pas mise en doute et c'est plutôt l'effet de celui-ci par son article 32 qui créé une difficulté d'application.

Quant au fond de la requête, l'article 32 du décret édicte que le transfert s'opère en dépit de l'article 422 de la Loi sur les cités et villes (la LCV). Cet article a été abrogé en 2005 et c'est l'article 72 de la Loi sur les compétences municipales (la LCM) qui le remplace. C'est donc dire que l'article 32 du décret libère la ville de l'obligation statutaire de respecter certaines conditions et la nouvelle ville devient propriétaire des lieux par la publication du décret. En effet, les mots utilisés par le législateur sont sans équivoque. Il s'ensuit que la ville n'a pas l'obligation de respecter les dispositions de l'article 422 LCV ou de l'article 72 LCM.

Qu'en est-il de la publicité selon l'article 2938 C.c.Q.? Dans le cas présent, il est manifeste que les biens transférés par le décret sont affectés à l'utilité publique et qu'ils sont des biens du domaine public. L'on parle ici de places publiques, rues et ruelles de la nouvelle ville. Selon la PGQ, l'effet du décret est translatif de propriété et l'article 32 prévoit comment la propriété peut être contestée. Il n'y a pas d'obligation d'inscription au registre foncier puisque les droits de la ville sont créés par le décret, lui-même adopté en vertu de la Loi sur l'organisation territoriale municipale. C'est la solution préconisée par le tribunal dans la décision de Mailhot c. St-Romuald (Ville de) où le juge conclut que les droits de propriété de la ville sur une bretelle de chemin découlant de la Loi sur la voirie n'exige pas la publicité des droits au registre foncier et qu'ils sont opposables aux demandeurs même si leur acte d'achat apparaît au registre sans indication de l'existence d'un autre droit. Dans St-Joachim de Courval (Municipalité) c. Janelle, le juge Chrétien emprunte cette voie pour conclure qu'en respectant les dispositions de la loi, la municipalité n'a pas eu à soumettre son titre à la publicité des droits. L'affaire Québec (P.G.) c. Désourdy Construction Ltée. apporte un éclairage similaire : une servitude établie par la loi en faveur du gouvernement ne demande pas une inscription de publicité. La preuve démontre que toutes les formalités requises par la loi sont respectées et la servitude est opposable à l'acquéreur même si elle n'apparaît pas au registre foncier. Il est vrai que les décisions précitées ne sont pas rendues sous l'empire de l'article 2938 C.c.Q Toutefois, rien n'indique que le législateur a voulu modifier la règle qu'un droit découlant de la loi n'impose pas une publicité sauf par une disposition expresse. En effet, les Commentaires du ministre ne pointent pas vers une volonté de modifier la jurisprudence existante sur le sujet en litige.

Le professeur Lamontagne est également d'avis que les biens du domaine public ne sont pas sujets à la publicité sauf dans les cas prévus par la loi. Il écrit que hormis dans les cas prévus par la loi, les biens du domaine public ne sont pas assujettis aux formalités de la publicité. Toujours selon le même auteur, le terme « admis » (à la publicité) de l'article 2940 C.c.Q. est particulièrement évocateur. Si le Code ne soumet pas les droits de l'État ou de ses substituts à la publicité (voir l'article 2938 C.c.Q.), il admet toutefois la publicité de certains transferts d'autorité relatifs à des immeubles par les gouvernements du Québec ou du Canada. L'inscription du transfert s'obtient par la présentation d'un avis. La publicité est également admise aux fins d'opposabilité lorsque l'État tient ses droits d'un tiers.

L'article 2940 C.c.Q n'entre pas ici en jeu. Il n'y a pas eu transfert entre les deux paliers de gouvernement et la ville conçoit qu'il n'y a pas de transfert d'autorité en sa faveur. Qu'elle ait décidé d'inscrire des droits au fil des ans et qu'elle exprime le souhait que le registre foncier soit fiable n'est pas générateur de droit. La nouvelle ville détient ses droits d'un décret dûment publié.

Pour conclure sur la question, le tribunal tranche queles droits conférés à la ville par le décret ne sont pas soumis à la publicité foncière. La requête demande une première déclaration sur l'inapplicabilité de l'article 72 de la Loi sur les compétences municipales et une seconde suivant laquelle la ville est autorisée à l'inscription de son droit en vertu du décret. Le tribunal n'est pas lié par la formulation des conclusions à la requête. Il y a lieu de faire droit à la requête, mais les conclusions confirmeront la position de la PGQ.

Comme la ville a raison de prétendre à l'inapplicabilité de la LCM et que ce problème devait être résolu, étant soulevé d'abord par l'Officier de la publicité foncière, le tribunal n'accordera pas de dépens de part et d'autre. Au surplus, la question débattue est d'intérêt public.


Ce résumé est également publié dans La référence, le service de recherche juridique en ligne des Éditions Yvon Blais. Si vous êtes abonné à La référence, ouvrez une session pour accéder à cette décision et sa valeur ajoutée, incluant notamment des liens vers les références citées et citant.

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