La demanderesse (Makar) revient chez elle après son travail le 30 avril 2021 pour découvrir qu’elle a été évincée du studio semi-meublé qu’elle occupait. Elle n’a plus accès au logement et tous ses biens sont dans des sacs à ordures empilés dans le garage. Elle se retrouve ainsi à la rue, une heure avant le début du couvre-feu lié à la COVID-19. En outre, elle découvre que plusieurs de ses biens sont endommagés. Elle réclame des dommages-intérêts totalisant 15 000 $ à la propriétaire et au gestionnaire de l’immeuble.
L'éviction est effectivement illégale. La locatrice s’est fait justice elle-même. Elle a mentionné à l’huissier mandaté pour procéder à l’expulsion qu’elle avait un jugement, mais cela était faux. Il est vrai qu’elle s’était adressée au TAL pour obtenir l'autorisation d'évincer Makar à la suite du départ du conjoint de celle-ci, seul signataire du bail mensuel. Toutefois, l’instruction avait été ajournée par manque de temps et devait se continuer à une date ultérieure. Sa décision d'expulser Makar sans attendre la décision du TAL constitue un exercice abusif de son droit à la résiliation. En agissant comme elle l’a fait, elle a court-circuité le processus judiciaire. Il s’agit d’un acte fautif et condamnable qui engage sa responsabilité extracontractuelle à l’endroit de Makar.
Le gestionnaire de l’immeuble ne comprend pas pourquoi il est poursuivi. Pourtant, il était présent lors de l'audience devant le TAL. Comme il travaille dans le domaine depuis 20 ans, il ne pouvait ignorer l'objet de la demande pendante et savait nécessairement que l'affaire devait être refixée pour un rôle complet à défaut d'entente avec Makar. De plus, le procès-verbal de l’huissier révèle que c’est lui qui a donné les instructions pour l’éviction et qui a décidé de s’introduire dans l’appartement occupé par Makar malgré l’absence de celle-ci. C’est aussi lui qui, avec l’aide de deux collègues, a mis les effets personnels de Makar dans des sacs à ordures et qui a transporté ces sacs dans le garage de l’immeuble. Bref, il est responsable de la façon dont les biens ont été déplacés et entreposés. Or, la preuve vidéo et photographique est convaincante quant à l’absence de soin qu’il y a mis. À le voir faire, il n’y a rien de surprenant à ce qu’une bonne partie des biens de Makar aient été endommagés. Il a donc participé à l’opération d’éviction illégale.
Makar a subi des dommages matériels considérables. Ses vêtements, sa literie et ses valises ont été contaminés par la fumée secondaire et la poussière, nécessitant même le nettoyage de la chambre où ils avaient été temporairement entreposés à la suite de l’éviction. Toutefois, on ignore si les biens ont pu être décontaminés et récupérés, ainsi que leur état avant l’éviction. Dans l’exercice de sa discrétion, le tribunal exerce une pondération d’environ 50 % et accorde 2 000 $ à Makar pour cette catégorie. Son bureau en chêne et sa chaise de bureau ont aussi été endommagés lors de leur transport sans ménagement. Une somme de 250 $ lui est accordée pour ces dommages. Rien ne lui est accordé pour son imprimante, ses cartouches d’encre et sa table, car la preuve n’est pas concluante quant à leur état et à ce qui leur en serait advenu. Pour ses produits de toilette qui ont coulé ou se sont mélangés entre eux, elle obtient 264,76 $. Pour les serviettes endommagées, il lui est accordé la moitié de ce qu’elle réclame, soit 37,50 $. Des montants de 50 $, 152 $ et 10 $ lui sont accordés respectivement pour les équipements de cuisine, les quatre affiches et une plante qui ont aussi été endommagés dans le processus.
Makar a dû se reloger temporairement, le temps de trouver un nouveau logement. Les frais de logement et d’entreposage de ses biens pour le mois de mai 2021 totalisent 950 $. Elle a droit à cette somme, mais il faut y soustraire le montant de 690 $ qu’elle aurait dû payer à titre de loyer pour le mois de mai. Elle a droit aussi au montant de 840 $ réclamé pour le nettoyage de la chambre dans laquelle ses biens ont été entreposés, à celui de 276 $ payés aux déménageurs et à celui de 608,90 $ réclamé pour ses produits de toilette rendus inutilisables. Pour les vêtements qu’elle a dû se procurer à la suite de l’éviction, il lui est accordé 131,58 $. Dans tous les cas, il s’agit de dommages directs résultant de l’expulsion. Rien ne lui est accordé pour l’aménagement de la chambre louée et pour les coûts de nettoyage à sec, faute de preuve suffisante. La réclamation en lien avec les médicaments est aussi rejetée. Quant à la nourriture, seule celle qu’elle a perdue en raison de l’éviction peut être indemnisée, car elle devait se nourrir de toute façon. Une somme de 100 $ lui est accordée à ce titre.
L'éviction illégale a causé un préjudice moral important à Makar. Elle s’est sentie démunie et humiliée. Elle a été contrainte de trouver rapidement un hébergement alors qu’elle n’avait que les vêtements qu'elle portait le jour de l’éviction. Elle a dû vivre avec le minimum pendant plusieurs jours et a subi des attaques d'anxiété, dont une est documentée. Sa vie personnelle, sociale et professionnelle (elle est enseignante) a été bouleversée par le comportement inhumain des défendeurs. L’éviction a aussi porté illicitement atteinte à son droit au respect de sa vie privée, à son droit à la dignité et à son droit à l'inviolabilité de sa demeure, des droits fondamentaux protégés par la Charte québécoise. Au vu de tous ces dommages, la compensation de 4 000 $ qu’elle réclame pour son préjudice moral apparaît bien modeste. Elle est accordée sans hésitation.
La situation donne aussi ouverture à l’octroi de dommages-intérêts punitifs en application de la Charte. Non seulement l’atteinte aux droits de Makar par les défendeurs était illicite, mais elle était clairement intentionnelle. L'exemplarité et la dissuasion justifient de lancer le message à tout locateur que ce type de conduite ne peut être toléré. La somme de 3 000 $ réclamée à ce titre est modeste et aucun des défendeurs n’a prétendu ne pas avoir les moyens de la payer. Elle est accordée.