Les notions générales
Il y a déjà plus de 30 ans que les règles du patrimoine familial ont été introduites au Code civil du Québec (C.c.Q.). Le titre de la loi qui les a d’ailleurs introduites résume assez bien l’objectif du législateur. Cette loi s’intitulait la « Loi modifiant le Code civil du Québec et d’autres dispositions législatives afin de favoriser l’égalité économique des époux. » Ainsi, les règles mises en place visaient à rééquilibrer les patrimoines des couples mariés lors de la séparation.
Il est important de savoir que les dispositions du patrimoine familial prévues aux articles 414 à 426 C.c.Q. sont d’ordre public: il est donc impossible pour les époux de se soustraire ou de renoncer à l’avance à l’application des règles du patrimoine familial par contrat de mariage ou autrement. De plus, peu importe le régime matrimonial choisi par les parties, que ce soit le régime de la séparation de biens ou le régime de la société d’acquêts, les règles du patrimoine familial ont toujours préséance.
À l’article 414 C.c.Q., le législateur indique que « le mariage emporte constitution d’un patrimoine familial formé de certains biens des époux sans égard à celui des deux qui détient un droit de propriété sur ces biens ». Cet article nous éclaire sur deux éléments.
Le premier élément est que le patrimoine familial s’applique aux couples mariés. Mentionnons d’emblée que le patrimoine familial s’applique également aux couples unis civilement depuis l’introduction de l’union civile au Code civil du Québec en 2002. Toutefois, en précisant l’application de ces dispositions aux couples mariés et unis civilement, le législateur n’a donc pas voulu assujettir les couples vivant en union libre aux règles du patrimoine familial.
Le deuxième élément est que le patrimoine familial est constitué de biens dont l’un ou l’autre des époux est propriétaire. Nous comprenons donc que la propriété d’un bien, en règle générale, est nécessaire à son inclusion dans le patrimoine familial. Par exemple, une voiture louée ne pourra faire partie du patrimoine familial même si elle sert aux déplacements de la famille.
Les biens composant le patrimoine familial
Le patrimoine familial regroupe quatre catégories de biens, lesquelles sont expressément énumérées à l’article 415 C.c.Q., à savoir :
1. Les résidences de la famille ou les droits qui en confèrent l’usage
Afin qu’une résidence soit incluse dans le patrimoine familial, le critère clé est qu’elle doit être utilisée par la famille. Il s’agit de la résidence principale. Il s’agit également de toute résidence secondaire de la famille. L’exemple classique est celui du chalet qui est utilisé l’été ou les fins de semaine par la famille.
Quant aux droits qui en confèrent l’usage, le Code civil du Québec fait référence à diverses situations qui confèrent des droits à l’usage d’une résidence. Il peut s’agir par exemple d’une résidence utilisée par la famille qui est au nom d’une société ou d’une fiducie détenue par un des conjoints.
2. Les meubles qui garnissent ou ornent ces résidences et qui servent à l’usage de la famille
Il s’agit de tous les meubles meublants la résidence familiale ou les résidences secondaires et qui servent à l’usage de la famille. Il n’est donc pas nécessaire que toute la famille utilise les meubles, mais ceux-ci doivent servir à l’usage de la famille. De plus, sont exclus du patrimoine familial les meubles qui servent à l’usage exclusif d’un conjoint tels que les instruments de travail.
3. Les véhicules automobiles utilisés pour les déplacements de la famille
La définition de véhicule automobile est large et inclut beaucoup plus que les voitures utilisées pour les déplacements de la famille. Par exemple, la jurisprudence a déjà reconnu qu’une roulotte, une motocyclette ou un bateau pouvaient être considérés à titre de véhicules automobiles s’ils servent aux déplacements de la famille. Il s’agit essentiellement d’une question de fait où la notion d’utilisation du véhicule pour les déplacements de la famille est centrale.
4. Les régimes de retraite
Cette catégorie inclut les l’argent/les droits accumulés durant le mariage au titre d’un régime de retraite, les régimes d’épargne-retraite ainsi que les gains inscrit au nom de chaque époux à la Régie des Rentes du Québec ou autres programmes équivalents.
Il importe de préciser que certains biens du patrimoine familial y sont inclus sans égard à leur date d’acquisition. C’est le cas des résidences de la famille, des meubles qui garnissent ou qui ornent ces résidences et qui sont utilisés par la famille ainsi que des véhicules automobiles utilisés pour les déplacements de la famille. Ainsi, la maison qu’un des deux époux possédait avant le mariage (ou l’union civile) et qui devient, pendant le mariage (ou l’union civile), la résidence familiale du couple ou de la famille sera incluse dans le patrimoine familial.
Toutefois, d’autres biens, tels que les droits accumulés au titre d’un régime de retraite, font partie du patrimoine familial s’ils ont été acquis durant le mariage ou l’union civile.
Les biens exclus du patrimoine familial
Essentiellement, les biens qui ne sont pas expressément désignés par le C.c.Q. comme faisant partie du patrimoine seront exclus de celui-ci. Ainsi, les biens suivants ne seront pas considérés comme faisant partie du patrimoine familial :
- L’entreprise ou le commerce d’un époux;
- Comptes de banque;
- Les obligations d’épargne, les bons du Trésor, les actions et autres placements d’un époux; et
- Les immeubles à revenus qui ne sont pas utilisés par la famille.
L’article 415 C.c.Q. exclut expressément trois biens du patrimoine familial, lesquels sont les suivants :
- Les gains inscrits au nom de chaque époux en application de la Loi sur le régime de rentes du Québec ou de programmes équivalents lorsque la dissolution du mariage résulte du décès;
- Les droits accumulés au titre d’un régime de retraite qui accorde au conjoint survivant le droit à des prestations de décès lorsque la dissolution du mariage résulte du décès;
- Les biens échus à l’un des époux par succession ou donation avant ou pendant le mariage.
Il importe de préciser que ces biens qui ne font pas partie du patrimoine familial seront partagés selon les règles du régime matrimonial ou du régime d’union civile choisi par les conjoints.
Le partage du patrimoine familial entre les époux
L’article 416 C.c.Q. alinéa 1 prévoit :
« En cas de séparation de corps, de dissolution ou de nullité du mariage, la valeur du patrimoine familial des époux, déduction faite des dettes contractées pour l’acquisition, l’amélioration, l’entretien ou la conservation des biens qui le constituent, est divisée à parts égales, entre les époux ou entre l’époux survivant et les héritiers, selon le cas. »
Cet article précise donc les situations pouvant entraîner le partage du patrimoine familial, à savoir la séparation de corps, la dissolution du mariage par le décès ou le divorce ou la nullité du mariage.
Lorsque la fin du mariage résulte du décès d’un époux, le liquidateur de la succession de l’époux décédé doit dans un premier temps procéder au partage du patrimoine familial avant de procéder à la liquidation de la succession.
Cette disposition énonce également que le partage doit s’effectuer en part égale entre les époux, après déduction des dettes reliées à ces biens. Il s’agit donc de déterminer la valeur nette des biens. Afin de déterminer cette valeur nette, la première étape consiste à déterminer la valeur marchande des biens à la date de l’introduction de l’instance en divorce, en séparation de corps ou en nullité du mariage ou à la date du décès lorsque le mariage se dissout par le décès d’un conjoint. La deuxième étape nécessite de déduire de la valeur marchande, les dettes reliées à ces mêmes biens en date de l’introduction de l’instance en divorce, en séparation de corps ou en nullité du mariage ou à la date du décès de l’un des époux (par exemple le solde du prêt ou de la marge de crédit hypothécaire qui reste à payer sur la maison familiale).
La troisième étape consiste à déterminer la valeur partageable des biens, c’est-à-dire la valeur qui sera partagée équitablement entre les époux. Il peut s’agir de la valeur nette qui sera partagée en parts égales. Il peut également s’agir de la valeur nette à laquelle seront soustraites certaines déductions avant d’être partagées en parts égales entre les époux.
C’est bien la valeur des biens qui composent le patrimoine familial qui sera partagée entre les époux, et non les biens ou la propriété de ces biens. D’une façon pratique, l’époux ayant la valeur partageable la plus élevée dans les biens du patrimoine familial devra compenser l’époux qui a la valeur partageable la moins élevée. La compensation peut s’effectuer soit en argent ou encore en biens.
En cas de désaccord sur la valeur partageable des biens du patrimoine familial, celle-ci devra être établie par un juge. Lorsqu’il y a entente entre les époux, ceux-ci peuvent convenir de se partager la valeur des biens de différentes manières et sans nécessairement que le partage soit à parts égales entre eux. Cette entente doit cependant être entérinée par un juge, mais les époux ont tout de même beaucoup de latitude afin de décider de leur propre partage.
Dans le cas où le versement en totalité de la somme pourrait entraîner un préjudice au conjoint qui doit payer, le juge peut lui ordonner de payer en versements échelonnés sur une période qui ne dépasse pas 10 ans.
Les déductions à soustraire dans le calcul de la valeur partageable
Une fois la valeur nette partageable établie, il faudra soustraire de cette valeur les déductions énumérées à l’article 418 C.c.Q. avant de procéder au partage en parts égales entre les époux. Ces déductions en faveur d’un des époux peuvent être résumées en trois catégories :
1. La déduction de la valeur nette d’un bien possédé par un époux à la date du mariage et inclus dans le patrimoine familial, ainsi que sa plus-value durant le mariage
Par exemple, la résidence possédée avant le mariage par un des époux sera incluse dans le patrimoine familial. Toutefois, afin d’effectuer un partage équitable, il sera possible d’effectuer une déduction en faveur de l’époux propriétaire pour la valeur nette qu’il a accumulée sur ladite résidence avant la date du mariage ainsi que pour l’augmentation de valeur proportionnelle sur ce bien durant le mariage.
2. La déduction de l’apport d’un époux pendant le mariage à un bien du patrimoine familial, lorsque cet apport est fait à même un bien échu par succession ou donation ainsi que la plus-value de cet apport
Par exemple, un époux reçoit en héritage une somme de 20 000,00 $ durant le mariage. Celui-ci investit cette somme reçue dans l’ajout d’un garage à la résidence principale. Lors du divorce, il faudra soustraire de la valeur nette partageable de la résidence familiale cette somme de 20 000,00 $ ainsi que la plus-value sur ledit garage de sa construction jusqu’à la date de l’introduction de l’instance en divorce.
3. La déduction du remploi, pendant le mariage, d’un bien du patrimoine familial possédé par un époux à la date du mariage
Il s’agit d’une situation où, avant le mariage, un des époux possédait un bien qui a fait partie du patrimoine familial, par exemple une résidence entièrement payée qui est devenue la résidence du couple/de la famille. Durant le mariage, il vend cette résidence et avec l’argent provenant de la vente, il acquiert un chalet. Lors du divorce, il faudra soustraire de la valeur nette partageable du chalet, l’apport de cet époux au chalet ainsi que la plus-value sur cet apport jusqu’à la date de l’introduction de l’instance en divorce.
L’exception du partage inégal
Dans certains cas particuliers, un partage inégal du patrimoine familial peut être demandé au tribunal en vertu de l’article 422 C.c.Q. lorsqu’une injustice découlerait d’un partage égal, notamment en raison de la brève durée du mariage, de la dilapidation de certains biens ou de la mauvaise foi de l’un des époux. L’époux qui demande au tribunal un partage inégal doit prouver cette injustice ainsi que le comportement reproché à l’autre époux.
La notion de paiement compensatoire
Afin de favoriser un partage équitable des biens du patrimoine familial et éviter que les époux tentent de se soustraire au partage en dilapidant ou en aliénant certains biens, le législateur a prévu à l’article 421 C.c.Q. la notion de paiement compensatoire.
Ainsi, un époux lésé peut demander au tribunal l’octroi d’un paiement compensatoire lorsqu’un bien a été dilapidé ou aliéné dans l’année précédant la date d’introduction de l’instance en divorce. Il est également possible d’aller au-delà d’un an, en faisant la preuve que l’aliénation a été faite dans le but de diminuer la part de l’autre époux dans le partage du patrimoine familial.
En terminant, il importe de préciser que les règles relatives au patrimoine familial vont s’ajouter aux règles du régime matrimonial auquel seront assujettis les époux (le régime de la société d’acquêts ou le régime de la séparation de biens).
Outre l’aspect émotionnel, un divorce est susceptible d’entraîner des conséquences financières très importantes pour les époux, ou du moins l’un des époux, lorsqu’il y a un grand écart au niveau de la valeur du patrimoine de chaque époux.
Ceci étant, les règles et les calculs du patrimoine sont complexes et sujets à diverses interprétations, d’où la nécessité de consulter un(e) avocat ou un(e) spécialisé(e) en droit de la famille afin de pouvoir clarifier et déterminer les droits de chacun des époux.