Le demandeur (Turpin) réclame des dommages-intérêts à la défenderesse (Lacasse), la tenant responsable du préjudice corporel qu’il a subi sur sa propriété le 19 août 2016. Il était alors ambulancier et s’était rendu à son domicile à la suite d’un appel d’urgence. Alors qu’il était sur place, le conjoint de Lacasse est décédé. Pour le transporter jusque dans l’ambulance, le défunt a été installé sur une planche dorsale. Turpin et sa collègue ambulancière sont sortis de la maison en tenant chacun une extrémité de la planche et ont longé la galerie située sur la façade avant pour se rendre à la rampe d’accès pour personnes à mobilité réduite installée au bout de la galerie. C’est en mettant le pied sur la marche installée sur le palier de la rampe d’accès que Turpin s’est blessé. Il explique que, en mettant son pied sur la marche, celle-ci a basculé, lui causant une perte d’équilibre. Pour éviter de tomber et d’échapper la planche, il a dû faire un grand écart avec sa jambe droite et une torsion au niveau lombaire. Les blessures qu’il s’est alors infligées ont pour conséquence qu’il ne peut plus être ambulancier ni non plus occuper le poste de pompier volontaire qu’il occupait aussi à cette époque.
Le régime de faute présumée pour un préjudice résultant du fait autonome d’un bien prévu à l’art. 1465 C.c.Q. ne s’applique pas au présent cas. C’est plutôt le régime de responsabilité du fait personnel de l’art. 1457 C.c.Q. qui s’applique. Pour réussir son recours, Turpin doit donc prouver que son préjudice découle d’une faute commise par Lacasse.
Lacasse nie avoir commis une faute dans l’installation de sa marche. Elle soutient que Turpin n’avait qu’à porter attention aux endroits où il mettait les pieds. Nous ne partageons pas son avis. Selon la preuve non contredite, la marche était constituée d’une planche reposant sur deux blocs de bois. En conséquence, elle n’était pas fixée au sol, représentant ainsi un danger — et même un piège — pour toute personne qui déposait son pied sur l’avant de la marche. Comme Turpin l’a expliqué, il n’avait aucune raison de douter de la solidité de la marche. Il faut donc conclure que Lacasse a failli à son obligation de s’assurer que son bien était sécuritaire et qu’elle a de ce fait commis une faute.
Lacasse, qui n’a pas vu l’incident, nie aussi que les dommages subis par Turpin soient survenus chez elle. Toutefois, la preuve est probante que l’incident s’est réellement passé chez elle à la date indiquée par Turpin. Par ailleurs, même le rapport d’expert produit en défense relie l’incident causé par la marche non fixée aux entorses diagnostiquées chez Turpin. Il y a donc manifestement un lien causal entre la faute et le préjudice subi.
Turpin a été évalué par plusieurs médecins depuis l’incident. La plus récente expertise, qui a été réalisée par l’expert en défense, fixe un DAP de 5 % (4 % pour l’entorse lombaire et 1 % pour l’entorse au genou droit). Par ailleurs, tous les médecins de même que la CNESST s’entendent pour dire que ces blessures empêchent Turpin d’exercer les métiers d’ambulancier et de pompier volontaire qu’il exerçait depuis plus de 20 ans. La CNESST a déterminé en 2020 que l’emploi convenable qu’il pouvait exercer est celui de « vendeur de produits de quincaillerie », pour lequel un revenu annuel de 27 072 $ est prévisible.
Tenant compte de ses revenus d’emploi et des indemnités que lui a versées la CNESST, Turpin établit sa perte de revenus passée (de la date de l’accident jusqu’au 23 octobre 2023, date de l’audition) à 378 535,89 $. Cette somme est justifiée et elle lui est accordée. Pour sa perte de capacité de gains jusqu’à l’âge de la retraite (65 ans), il réclame 716 840,44 $. Cette somme lui est accordée également. Il en est de même de la somme de 1 291,90 $ réclamée pour les traitements de massothérapie, ostéopathie, acupuncture et chiropractie. La preuve démontre que Turpin a engagé ces frais pour enrayer la douleur résultant du dommage causé par la faute de Lacasse et que ces frais n’étaient pas couverts par la CNESST.
C’est donc une somme totale de 1 096 668,20 $ qui est accordée à Turpin pour ses pertes pécuniaires.
Pour ses pertes non pécuniaires (souffrances, troubles et inconvénients), Turpin réclame une somme de 35 000 $. Cette indemnité est justifiée et elle est accordée. Il n’est pas contesté que, depuis l’accident, Turpin doit composer avec des douleurs chroniques. Ses séquelles physiques sont permanentes. Il ne pourra plus jamais retrouver la vie qu’il avait avant et exercer les métiers de pompier et d’ambulancier qui le passionnaient. Il se fatigue plus rapidement et il éprouve des difficultés significatives à effectuer certaines tâches. Il ne peut plus pratiquer certains loisirs. Ces diminutions physiques ont un impact significatif sur sa santé psychologique. Il a eu des idées suicidaires et a dû être traité pour un problème de dépression.